Dans Le film Noir (éditions de La Matinière) Patrick Brion rappelle l'origine du terme :
Le terme "Film noir" est donné en France aux productions d'Hollywood qui n'ont pas été vu pendant l'occupation. Films d'atmosphère, ils illustrent une morale tragique : quelque que soit la direction que tu prendras, le destin finira par te rattraper.
C'est l'âge d'or du cinéma criminel américain. De Rebecca (1940) à Party girl (1958,) du premier film américain de Hitchcock au dernier film hollywoodien de Nicholas Ray.
1- Un genre à définir entre film de gangsters et film de policier.
Le film noir se distingue du film de policier ou de gangsters en ce qu'il s'intéresse de manière privilégiée à la victime.
Dans le drame à trois qui se joue entre le bourreau, la victime et le justicier, le film noir exclut tout aussi bien de se focaliser sur un personnage qui est entièrement passé du côté du crime ou qui au contraire a une conscience morale qui guide son action, fut-elle illégale.
La notion de victime doit ainsi s'entendre au sens large. C'est aussi être victime du crime que d'être amené à protéger sa vie au prix d'un meurtre non désiré. Contrairement au gangster, le criminel occasionnel est en effet, le plus souvent, une victime de son milieu. Le crime représentant la seule alternative possible dans un monde, réel ou mental, sans issue.
Il y a aussi film noir, lorsque le détective qui mêne l'enquête est tout aussi désabusé quant aux valeurs morales à défendre que les victimes qu'il est censé défendre ainsi Philippe Marlowe dans le Grand sommeil, Sam Spade dans le Faucon maltais ou L'inspecteur Harry dans les années 70. Même si le destin plane au dessus des personnages, le film noir ne se termine pas toujours mal (Rebecca, Laura).
2/ La couleur permise
Alors que le technicolor est déjà porté à sa perfection dans Autant en emporte le vent, ou Le magicien d'Oz, films contemporains de Rebecca, le film noir se développe en jouant sur toutes les richesses de noir et blanc. Les opérateurs des films noirs, à commencé par le plus célèbre d'entre eux, le hongrois John Alton, sont influencés par l'expressionnisme allemand. Ruelles mal éclairées, dock menaçants, cliniques et asiles : autant de lieux où tout peut arriver la nuit. La brigade du suicide (1948) et Marché de brutes (1948) de Mann essaient "de peindre avec la lumière" et se rapprochent de l'expressionnisme.
Si l'on excepte La Corde (1948), la couleur n'est utilisée qu'en toute fin de la période, magistralement, aussi bien dans Vertigo de Hitchcock que dans Party Girl de Nicholas Ray.
3 / Une crise morale qui n'est pas localisée aux Etats-Unis des années 40.
L'apogée du film noir se situe après celle du film de gangsters. Alors que celui-ci nait avec la Prohibition, le film noir est davantage lié à la détérioration de la situation économique et sociale. Les dockers de San Francisco font grève en 1934 et 1937 ainsi que les ouvriers de General Motors en 1936 et 1937. Et, cette même année, la sidérurgie est victime d'une crise particulièrement dure. Le 20 janvier 1937, Roosevelt, élu en 1932 et en 1936, déclare : "Je vois un tiers de notre population mal vêtue, mal nourrie et mal logée." Le film noir est ainsi une période qui verra la pré-guerre, le seconde guerre mondiale, le retour au pays des combattants, la guerre de Corée et la guerre froide.
Les théories de Freud et la psychanalyse marquent le film noir avec ses héros amnésiques, hantés par leur passé, à la recherche d'indices leur permettant de retrouver leur identité. La rue Rouge (1945) de Lang montre que le crime est au fond de chaque individu. Dans Détour (1945) de Ulmer, réalisé avec peu de moyen, le flou traduit le désarroi des personnages. Chasse au gang (De Toth, 1954) remet en cause le principe selon lequel, aux USA, on a toujours une seconde chance. Outrage (Ida Lupino, 1950) insiste sur les violences subies par les femmes : bigamie, grossesse non désirée ou viol.
La fin des grands studios entraine la fin provisoire du genre aux Etats-Unis. Après 1958, année particulièrement faste avec Vertigo, Traquenard et La soif du mal, il faut attendre 1967 avec Le point de non retour de Boorman pour retouver un grand film noirs américain.
Quelques films toutefois relancent et mettent à jour les drames policiers des années 1940. Dans la trilogie de Gordon Douglas : Tony Rome est dangereux ! (1967), Le détective (1967) et La femme en ciment (1968), l'interprétation de Frank Sinatra se veut plus désinvolte et moins austère que celle de Bogart dans Le grand sommeil ou Le port de l'angoisse. Participent aussi à cette actualisation du film noir : Bullitt (Peter Yates 1968), Police sur la ville (Don Siegel, 1968) ou Marlowe (Paul Bogart, 1969).
En trois ans, cinq films au moins vont en effet transformer les Sam Spade et Philippe Marlow des années 50 en des policiers aux prises avec une banalisation du mal dans l'exercice de leur métier dont ils ne peuvent sortir indemnes. Ce seront L'inspecteur Harry (Don Siegel, 1971), French connection (William Friedkin, 1971), Les flics ne dorment pas la nuit (Richard Fleischer, 1972), The offence (Sidney Lumet, 1973) et Serpico (Sidney Lumet, 1973). En 1974, Polanski rescussite le genre avec Chinatown mais cette réussite est uen résurgeance du film noir des années cinquante.
La figure de Harry Callahan, inspecteur de police de San Francisco, connu pour ses méthodes brutales, dangereuses, parfois proches de l'illégalité, mais en général efficaces et guidées par un sens moral très élevé même s'il n'est pas partagé par sa hiérarchie va dominer le film noir des années 70 et 80.
Il est toujours interprété par Clint Eastwood à chaque fois dirigé par un metteur en scène différent. Dans L'Inspecteur Harry (Dirty Harry, Don Siegel, 1971), il se retrouve aux prises avec un tueur en série, Scorpio, et sera amené à jeter son insigne à la fin du film pour l'avoir exécuté sans avoir pu sauver sa victime retardé par l'attitude de ses chefs. Dans Magnum Force (Ted Post, 1973), il doit faire face à son chef, Briggs, aux méthodes encore plus expéditives que les siennes. Dans L'Inspecteur ne renonce jamais (The Enforcer, James Fargo, 1976), son chef est un incapable. Le maire est enlevé et il fait équipe avec une femme. Dans Le Retour de l'inspecteur Harry (Sudden Impact, Clint Eastwood, 1983), il laisse échapper la criminelle qui exécutait ses violeurs. Dans La dernière cible (The Dead Pool, Buddy Van Horn, 1988), il est devenu la coqueluche des médias, s'éprend d'une journaliste et tue un tueur en série : la boucle est bouclée.
Clint Eastwood a par ailleurs interprété d'autres policiers dans deux de ses films. Il est Ben Shockley, policier non conformiste, dans L'épreuve de force (1977) et Nick Pulovski, vétéran de la police de Los Angeles dans La relève (1991). Plus marquant est son rôle dans La corde raide (Richard Tuggle, 1984) où il est Wes Block, policier de La Nouvelle-Orléans que sa femme a récemment quitté et qui doit élever seul ses deux filles. Il découvre que l'assassin a des pratiques sado-masochistes similaires à celles dont il use avec les prostituées auxquelles il rend visite.
Dans les années 90, Brian de Palma, Joël Coen et Clint Eastwwod perpétuent avec succès le genre dans sa patrie d'origine. Mais c'est Abel Ferrara qui avec Bad lieutenant (1992) pousse à bout les effets de la contamination du mal dans un élan mystique qui fera de ce film le film culte des années 90. Le mal banalisé contamine le quotidien de Harvey Keitel avant que, dans une atmosphère judéo-chrétienne maintenue de bout en bout, la grâce ne finisse par surgir, libérant le héros de sa folie meurtrière et autodestructrice pour le laisser mort, abattu par des tueurs, mais "sauvé".
En France, le réalisme poétique, qui traite de la crise des années 30 puis du climat d'abbattement qui succède au front populaire et dans lequel le poid du destin est particulièrement fort, donne grâce à Marcel Carné quelques films noirs, précurseurs ; Quai des brumes (1937), Hôtel du Nord (1938) et Le jour se lève (1939). La Nouvelle vague avec ses criminels d'occasionnels en rupture avec la société A bout de souffle (1960), Pierrot le fou (1965) ouvrira la période moderne du genre.
Période moderne
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Le lac aux oies sauvages | Diao Yinan | Chine | 2019 |
Un grand voyage vers la nuit | Bi Gan | Chine | 2018 |
3 Billboards, les panneaux de la v.. | Martin McDonagh | U.S.A. | 2017 |
Good time | Les frères Safdie | U.S.A. | 2017 |
L'amant double | François Ozon | France | 2017 |
Mademoiselle | Park Chan-wook | U.S.A. | 2016 |
Inherent vice | Paul Thomas Anderson | U.S.A. | 2014 |
Black coal | Diao Yinan | Chine | 2014 |
Mystery | Lou Ye | Chine | 2012 |
Passion | Brian de Palma | U.S.A. | 2012 |
Killer Joe | William Friedkin | U.S.A. | 2011 |
The murderer | Na Hong-jin | Corée | 2011 |
Bad lieutenant: escale à la N. O. | Werner Herzog | U.S.A. | 2010 |
Mother | Bong Joon-ho | Corée | 2009 |
L'heure du crime | Guisepe Capotondi | Italie | 2009 |
Lady Jane | Robert Guédigian | France | 2007 |
Le dahlia noir | Brian de Palma | U.S.A. | 2006 |
Match point | Woody Allen | U.S.A. | 2005 |
Mystic river | Clint Eastwood | U.S.A. | 2003 |
Les sentiers de la perdition | Sam Mendes | U.S.A. | 2002 |
Mulholland drive | David Lynch | U.S.A. | 2001 |
The barber | Joel Coen | U.S.A. | 2001 |
Suzhou river | Lou Ye | Chine | 2012 |
Merci pour le chocolat | Claude Chabrol | France | 2000 |
Bullet Ballet | Shin'ya Tsukamoto | Japon | 1998 |
Tokyo Fist | Shin'ya Tsukamoto | Japon | 1998 |
Hana-Bi | Takeshi Kitano | Japon | 1997 |
Secret défense | Jacques Rivette | France | 1997 |
Fargo | Joel Coen | U.S.A. | 1996 |
La cérémonie | Claude Chabrol | France | 1995 |
Seven | David Fincher | U.S.A. | 1995 |
Un monde parfait | Clint Eastwood | U.S.A. | 1993 |
L'esprit de Caïn | Brian de Palma | U.S.A. | 1992 |
Bad lieutenant | Abel Ferrara | U.S.A. | 1992 |
Miller's Crossing | Joel Coen | U.S.A. | 1990 |
L'argent | Robert Bresson | France | 1982 |
Le choix des armes | Alain Corneau | France | 1981 |
Blow out | Brian de Palma | U.S.A. | 1981 |
La chasse | William Friedkin | U.S.A. | 1980 |
Série noire | Alain Corneau | France | 1979 |
Obsession | Brian de Palma | U.S.A. | 1976 |
Complot de famille | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1975 |
Chinatown | Roman Polanski | U.S.A. | 1974 |
Le privé | Robert Altman | U.S.A. | 1973 |
The offence | Sidney Lumet | U.S.A. | 1973 |
Serpico | Sidney Lumet | U.S.A. | 1973 |
Les noces rouges | Claude Chabrol | France | 1973 |
Les filcs ne dorment pas la nuit | Richard Fleischer | U.S.A. | 1972 |
Guet-apens | Sam Peckinpah | U.S.A. | 1972 |
Solo | Jean-Pierre Mocky | France | 1971 |
French connection | William Friedkin | U.S.A. | 1971 |
L'inspecteur Harry | Don Siegel | U.S.A. | 1971 |
Frenzy | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1971 |
La sirène du Mississippi | François Truffaut | France | 1969 |
Que la bête meure | Claude Chabrol | France | 1969 |
Bullitt | Peter Yates | U.S.A. | 1968 |
Tony Rome est dangereux ! | Gordon Douglas | U.S.A. | 1967 |
Le point de non retour | John Boorman | U.S.A. | 1967 |
Pierrot le fou | Jean-Luc Godard | France | 1965 |
Pas de printemps pour Marnie | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1964 |
Solo pour une blonde | Roy Rowland | U.S.A. | 1963 |
L'ainé des Ferchaux | Jean-Pierre Melville | France | 1962 |
Psychose | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1960 |
Tirez sur le pianiste | François Truffaut | France | 1960 |
A bout de souffle | Jean-Luc Godard | France | 1960 |
Les yeux sans visage | George Franju | France | 1959 |
Plein soleil | René Clément | France | 1959 |
Période classique
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L'inconnu du Nord Express | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1959 |
Vertigo | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1958 |
La soif du mal | Orson Welles | U.S.A. | 1958 |
Traquenard | Nicholas Ray | U.S.A. | 1958 |
Le dos au mur | Edouard Molinaro | France | 1958 |
Ascenceur pour l'échafaud | Louis Malle | France | 1957 |
L'ultime razzia (The killing) | Stanley Kubrick | U.S.A. | 1956 |
Deux rouquines dans la bagarre | Allan Dwan | U.S.A. | 1956 |
Nightfall | Jacques Tourneur | U.S.A. | 1956 |
La cinquième victime | Fritz Lang | U.S.A. | 1956 |
Bob le flambeur | Jean-Pierre Melville | France | 1956 |
Le baiser du tueur | Stanley Kubrick | U.S.A. | 1955 |
L'invraisemblable vérité | Fritz Lang | U.S.A. | 1956 |
Les inconnus dans la ville | Richard Fleischer | U.S.A. | 1955 |
La nuit du chasseur | Charles Laugton | U.S.A. | 1955 |
En quatrième vitesse | Robert Aldrich | U.S.A. | 1955 |
Du rififi chez les hommes | Jules Dassin | France | 1955 |
Les diaboliques | Henri-Georges Clouzot | France | 1954 |
Réglement de compte | Fritz Lang | U.S.A. | 1953 |
House by the river | Fritz Lang | U.S.A. | 1950 |
Quand la ville dort | John Huston | U.S.A. | 1950 |
Les forbans de la nuit | Jules Dassin | U.S.A. | 1950 |
Outrage | Ida Lupino | U.S.A. | 1950 |
Le démon des armes | Joseph H. Lewis | U.S.A. | 1950 |
Menaces dans la nuit | John Berry | U.S.A. | 1950 |
Tension | John Berry | U.S.A. | 1949 |
Les amants de la nuit | Nicholas Ray | U.S.A. | 1949 |
La dame de Shanghai | Orson Welles | U.S.A. | 1948 |
Pour toi j'ai tué | Robert Siodmak | U.S.A | 1948 |
Le secret derrière la porte | Fritz Lang | U.S.A. | 1948 |
La corde (Rope) | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1948 |
Marché de brutes | Anthony Mann | U.S.A. | 1948 |
L'homme aux abois (I walk alone) | Byron Haskin | U.S.A. | 1947 |
La brigade du suicide | Anthony Mann | U.S.A. | 1947 |
La griffe du passé | Jacques Tourneur | U.S.A. | 1947 |
La dame du lac | Robert Montgomery | U.S.A. | 1947 |
Les tueurs | Robert Siodmak | U.S.A | 1946 |
Quelque part dans la nuit | Joseph L. Mankiewicz | U.S.A. | 1946 |
Lame de fond | Vincente Minnelli | U.S.A. | 1946 |
Le facteur sonne toujours deux fois | Tay Garnett | U.S.A. | 1946 |
Le grand sommeil | Howard Hawks | U.S.A. | 1946 |
L'impasse tragique | Henry Hathaway | U.S.A. | 1946 |
Gilda | Charles Vidor | U.S.A. | 1946 |
La maison du docteur Edwardes | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1945 |
La rue rouge | Fritz Lang | U.S.A. | 1945 |
Détour | Edgar G. Ulmer | U.S.A. | 1945 |
Péché mortel | John M. Stahl | U.S.A. | 1945 |
Le roman de Mildred Pierce | Michael Curtiz | U.S.A. | 1945 |
Les mains qui tuent | Robert Siodmak | U.S.A | 1944 |
Laura | Otto Preminger | U.S.A. | 1944 |
La femme au portrait | Fritz Lang | U.S.A. | 1944 |
Assurance sur la mort | Billy Wilder | U.S.A. | 1944 |
Adieu, ma belle | Edward Dmytryk | U.S.A. | 1944 |
L'ombre d'un doute | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1943 |
Le corbeau | Henri-Georges Clouzot | France | 1943 |
Tueur à gages | Frank Tuttle | U.S.A. | 1942 |
La clé de verre | Stuart Heisler | U.S.A | 1942 |
La grande évasion | Raoul Walsh | U.S.A. | 1941 |
Soupçon | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1941 |
Le faucons maltais | John Huston | U.S.A. | 1941 |
Rebecca | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1940 |
Précurseurs | |||
Le jour se lève | Marcel Carné | France | 1939 |
Hôtel du Nord | Marcel Carné | France | 1938 |
Quai des brumes | Marcel Carné | France | 1937 |
Rue sans issue | William Wyler | U.S.A. | 1937 |
J'ai le droit de vivre | Fritz Lang | U.S.A. | 1937 |
Pépé le Moko | Julien Duvivier | France | 1936 |
M. Le maudit | Fritz Lang | Allemagne | 1931 |
Blackmail | Alfred Hitchcock | G-B | 1929 |
The lodger | Alfred Hitchcock | G-B | 1926 |