Le grand sommeil (Howard Hawks,1946)
Passion Brian de Palma, 2012)

Dans Le film Noir (éditions de La Matinière) Patrick Brion rappelle l'origine du terme :

Le terme "Film noir" est donné en France aux productions d'Hollywood qui n'ont pas été vu pendant l'occupation. Films d'atmosphère, ils illustrent une morale tragique : quelque que soit la direction que tu prendras, le destin finira par te rattraper.

C'est l'âge d'or du cinéma criminel américain. De Rebecca (1940) à Party girl (1958,) du premier film américain de Hitchcock au dernier film hollywoodien de Nicholas Ray.

1- Un genre à définir entre film de gangsters et film de policier.

Le film noir se distingue du film de policier ou de gangsters en ce qu'il s'intéresse de manière privilégiée à la victime.

Dans le drame à trois qui se joue entre le bourreau, la victime et le justicier, le film noir exclut tout aussi bien de se focaliser sur un personnage qui est entièrement passé du côté du crime ou qui au contraire a une conscience morale qui guide son action, fut-elle illégale.

La notion de victime doit ainsi s'entendre au sens large. C'est aussi être victime du crime que d'être amené à protéger sa vie au prix d'un meurtre non désiré. Contrairement au gangster, le criminel occasionnel est en effet, le plus souvent, une victime de son milieu. Le crime représentant la seule alternative possible dans un monde, réel ou mental, sans issue.

Il y a aussi film noir, lorsque le détective qui mêne l'enquête est tout aussi désabusé quant aux valeurs morales à défendre que les victimes qu'il est censé défendre ainsi Philippe Marlowe dans le Grand sommeil, Sam Spade dans le Faucon maltais ou L'inspecteur Harry dans les années 70. Même si le destin plane au dessus des personnages, le film noir ne se termine pas toujours mal (Rebecca, Laura).

2/ La couleur permise

Alors que le technicolor est déjà porté à sa perfection dans Autant en emporte le vent, ou Le magicien d'Oz, films contemporains de Rebecca, le film noir se développe en jouant sur toutes les richesses de noir et blanc. Les opérateurs des films noirs, à commencé par le plus célèbre d'entre eux, le hongrois John Alton, sont influencés par l'expressionnisme allemand. Ruelles mal éclairées, dock menaçants, cliniques et asiles : autant de lieux où tout peut arriver la nuit. La brigade du suicide (1948) et Marché de brutes (1948) de Mann essaient "de peindre avec la lumière" et se rapprochent de l'expressionnisme.

Si l'on excepte La Corde (1948), la couleur n'est utilisée qu'en toute fin de la période, magistralement, aussi bien dans Vertigo de Hitchcock que dans Party Girl de Nicholas Ray.

3 / Une crise morale qui n'est pas localisée aux Etats-Unis des années 40.

L'apogée du film noir se situe après celle du film de gangsters. Alors que celui-ci nait avec la Prohibition, le film noir est davantage lié à la détérioration de la situation économique et sociale. Les dockers de San Francisco font grève en 1934 et 1937 ainsi que les ouvriers de General Motors en 1936 et 1937. Et, cette même année, la sidérurgie est victime d'une crise particulièrement dure. Le 20 janvier 1937, Roosevelt, élu en 1932 et en 1936, déclare : "Je vois un tiers de notre population mal vêtue, mal nourrie et mal logée." Le film noir est ainsi une période qui verra la pré-guerre, le seconde guerre mondiale, le retour au pays des combattants, la guerre de Corée et la guerre froide.

Les théories de Freud et la psychanalyse marquent le film noir avec ses héros amnésiques, hantés par leur passé, à la recherche d'indices leur permettant de retrouver leur identité. La rue Rouge (1945) de Lang montre que le crime est au fond de chaque individu. Dans Détour (1945) de Ulmer, réalisé avec peu de moyen, le flou traduit le désarroi des personnages. Chasse au gang (De Toth, 1954) remet en cause le principe selon lequel, aux USA, on a toujours une seconde chance. Outrage (Ida Lupino, 1950) insiste sur les violences subies par les femmes : bigamie, grossesse non désirée ou viol.

La fin des grands studios entraine la fin provisoire du genre aux Etats-Unis. Après 1958, année particulièrement faste avec Vertigo, Traquenard et La soif du mal, il faut attendre 1967 avec Le point de non retour de Boorman pour retouver un grand film noirs américain.

Quelques films toutefois relancent et mettent à jour les drames policiers des années 1940. Dans la trilogie de Gordon Douglas : Tony Rome est dangereux ! (1967), Le détective (1967) et La femme en ciment (1968), l'interprétation de Frank Sinatra se veut plus désinvolte et moins austère que celle de Bogart dans Le grand sommeil ou Le port de l'angoisse. Participent aussi à cette actualisation du film noir : Bullitt (Peter Yates 1968), Police sur la ville (Don Siegel, 1968) ou Marlowe (Paul Bogart, 1969).

En trois ans, cinq films au moins vont en effet transformer les Sam Spade et Philippe Marlow des années 50 en des policiers aux prises avec une banalisation du mal dans l'exercice de leur métier dont ils ne peuvent sortir indemnes. Ce seront L'inspecteur Harry (Don Siegel, 1971), French connection (William Friedkin, 1971), Les flics ne dorment pas la nuit (Richard Fleischer, 1972), The offence (Sidney Lumet, 1973) et Serpico (Sidney Lumet, 1973). En 1974, Polanski rescussite le genre avec Chinatown mais cette réussite est uen résurgeance du film noir des années cinquante.

La figure de Harry Callahan, inspecteur de police de San Francisco, connu pour ses méthodes brutales, dangereuses, parfois proches de l'illégalité, mais en général efficaces et guidées par un sens moral très élevé même s'il n'est pas partagé par sa hiérarchie va dominer le film noir des années 70 et 80.

Il est toujours interprété par Clint Eastwood à chaque fois dirigé par un metteur en scène différent. Dans L'Inspecteur Harry (Dirty Harry, Don Siegel, 1971), il se retrouve aux prises avec un tueur en série, Scorpio, et sera amené à jeter son insigne à la fin du film pour l'avoir exécuté sans avoir pu sauver sa victime retardé par l'attitude de ses chefs. Dans Magnum Force (Ted Post, 1973), il doit faire face à son chef, Briggs, aux méthodes encore plus expéditives que les siennes. Dans L'Inspecteur ne renonce jamais (The Enforcer, James Fargo, 1976), son chef est un incapable. Le maire est enlevé et il fait équipe avec une femme. Dans Le Retour de l'inspecteur Harry (Sudden Impact, Clint Eastwood, 1983), il laisse échapper la criminelle qui exécutait ses violeurs. Dans La dernière cible (The Dead Pool, Buddy Van Horn, 1988), il est devenu la coqueluche des médias, s'éprend d'une journaliste et tue un tueur en série : la boucle est bouclée.

Clint Eastwood a par ailleurs interprété d'autres policiers dans deux de ses films. Il est Ben Shockley, policier non conformiste, dans L'épreuve de force (1977) et Nick Pulovski, vétéran de la police de Los Angeles dans La relève (1991). Plus marquant est son rôle dans La corde raide (Richard Tuggle, 1984) où il est Wes Block, policier de La Nouvelle-Orléans que sa femme a récemment quitté et qui doit élever seul ses deux filles. Il découvre que l'assassin a des pratiques sado-masochistes similaires à celles dont il use avec les prostituées auxquelles il rend visite.

Dans les années 90, Brian de Palma, Joël Coen et Clint Eastwwod perpétuent avec succès le genre dans sa patrie d'origine. Mais c'est Abel Ferrara qui avec Bad lieutenant (1992) pousse à bout les effets de la contamination du mal dans un élan mystique qui fera de ce film le film culte des années 90. Le mal banalisé contamine le quotidien de Harvey Keitel avant que, dans une atmosphère judéo-chrétienne maintenue de bout en bout, la grâce ne finisse par surgir, libérant le héros de sa folie meurtrière et autodestructrice pour le laisser mort, abattu par des tueurs, mais "sauvé".

En France, le réalisme poétique, qui traite de la crise des années 30 puis du climat d'abbattement qui succède au front populaire et dans lequel le poid du destin est particulièrement fort, donne grâce à Marcel Carné quelques films noirs, précurseurs ; Quai des brumes (1937), Hôtel du Nord (1938) et Le jour se lève (1939). La Nouvelle vague avec ses criminels d'occasionnels en rupture avec la société A bout de souffle (1960), Pierrot le fou (1965) ouvrira la période moderne du genre.

Période moderne
Le lac aux oies sauvages Diao Yinan Chine
2019
Un grand voyage vers la nuit Bi Gan Chine
2018
3 Billboards, les panneaux de la v.. Martin McDonagh U.S.A. 2017
Good time Les frères Safdie U.S.A. 2017
L'amant double François Ozon France 2017
Mademoiselle Park Chan-wook U.S.A. 2016
Inherent vice Paul Thomas Anderson U.S.A. 2014
Black coal Diao Yinan Chine 2014
Mystery Lou Ye Chine 2012
Passion Brian de Palma U.S.A. 2012
Killer Joe William Friedkin U.S.A. 2011
The murderer Na Hong-jin Corée 2011
Bad lieutenant: escale à la N. O. Werner Herzog U.S.A. 2010
Mother Bong Joon-ho Corée 2009
L'heure du crime Guisepe Capotondi Italie 2009
Lady Jane Robert Guédigian France 2007
Le dahlia noir Brian de Palma U.S.A. 2006
Match point Woody Allen U.S.A. 2005
Mystic river Clint Eastwood U.S.A. 2003
Les sentiers de la perdition Sam Mendes U.S.A. 2002
Mulholland drive David Lynch U.S.A. 2001
The barber Joel Coen U.S.A. 2001
Suzhou river Lou Ye Chine 2012
Merci pour le chocolat Claude Chabrol France 2000
Hana-Bi Takeshi Kitano Japon 1997
Secret défense Jacques Rivette France 1997
Fargo Joel Coen U.S.A. 1996
La cérémonie Claude Chabrol France 1995
Seven David Fincher U.S.A. 1995
Un monde parfait Clint Eastwood U.S.A. 1993
L'esprit de Caïn Brian de Palma U.S.A. 1992
Bad lieutenant Abel Ferrara U.S.A. 1992
Miller's Crossing Joel Coen U.S.A. 1990
L'argent Robert Bresson France 1982
Le choix des armes Alain Corneau France 1981
Blow out Brian de Palma U.S.A. 1981
La chasse William Friedkin U.S.A. 1980
Série noire Alain Corneau France 1979
Obsession Brian de Palma U.S.A. 1976
Complot de famille Alfred Hitchcock U.S.A. 1975
Chinatown Roman Polanski U.S.A. 1974
Le privé Robert Altman U.S.A. 1973
The offence Sidney Lumet U.S.A. 1973
Serpico Sidney Lumet U.S.A. 1973
Les noces rouges Claude Chabrol France 1973
Les filcs ne dorment pas la nuit Richard Fleischer U.S.A. 1972
Guet-apens Sam Peckinpah U.S.A. 1972
Solo Jean-Pierre Mocky France 1971
French connection William Friedkin U.S.A. 1971
L'inspecteur Harry Don Siegel U.S.A. 1971
Frenzy Alfred Hitchcock U.S.A. 1971
La sirène du Mississippi François Truffaut France 1969
Que la bête meure Claude Chabrol France 1969
Bullitt Peter Yates U.S.A. 1968
Tony Rome est dangereux ! Gordon Douglas U.S.A. 1967
Le point de non retour John Boorman U.S.A. 1967
Pierrot le fou Jean-Luc Godard France 1965
Pas de printemps pour Marnie Alfred Hitchcock U.S.A. 1964
Solo pour une blonde Roy Rowland U.S.A. 1963
L'ainé des Ferchaux Jean-Pierre Melville France 1962
Psychose Alfred Hitchcock U.S.A. 1960
Tirez sur le pianiste François Truffaut France 1960
A bout de souffle Jean-Luc Godard France 1960
Les yeux sans visage George Franju France 1959
Plein soleil René Clément France 1959
 
Période classique
L'inconnu du Nord Express Alfred Hitchcock U.S.A. 1959
Vertigo Alfred Hitchcock U.S.A. 1958
La soif du mal Orson Welles U.S.A. 1958
Traquenard Nicholas Ray U.S.A. 1958
Le dos au mur Edouard Molinaro France 1958
Ascenceur pour l'échafaud Louis Malle France 1957
L'ultime razzia (The killing) Stanley Kubrick U.S.A. 1956
Deux rouquines dans la bagarre Allan Dwan U.S.A. 1956
Nightfall Jacques Tourneur U.S.A. 1956
La cinquième victime Fritz Lang U.S.A. 1956
Bob le flambeur Jean-Pierre Melville France 1956
Le baiser du tueur Stanley Kubrick U.S.A. 1955
L'invraisemblable vérité Fritz Lang U.S.A. 1956
Les inconnus dans la ville Richard Fleischer U.S.A. 1955
La nuit du chasseur Charles Laugton U.S.A. 1955
En quatrième vitesse Robert Aldrich U.S.A. 1955
Du rififi chez les hommes Jules Dassin France 1955
Les diaboliques Henri-Georges Clouzot France 1954
Réglement de compte Fritz Lang U.S.A. 1953
House by the river Fritz Lang U.S.A. 1950
Quand la ville dort John Huston U.S.A. 1950
Les forbans de la nuit Jules Dassin U.S.A. 1950
Outrage Ida Lupino U.S.A. 1950
Le démon des armes Joseph H. Lewis U.S.A. 1950
Menaces dans la nuit John Berry U.S.A. 1950
Tension John Berry U.S.A. 1949
Les amants de la nuit Nicholas Ray U.S.A. 1949
La dame de Shanghai Orson Welles U.S.A. 1948
Pour toi j'ai tué Robert Siodmak U.S.A 1948
Le secret derrière la porte Fritz Lang U.S.A. 1948
La corde (Rope) Alfred Hitchcock U.S.A. 1948
Marché de brutes Anthony Mann U.S.A. 1948
L'homme aux abois (I walk alone) Byron Haskin U.S.A. 1947
La brigade du suicide Anthony Mann U.S.A. 1947
La griffe du passé Jacques Tourneur U.S.A. 1947
La dame du lac Robert Montgomery U.S.A. 1947
Les tueurs Robert Siodmak U.S.A 1946
Quelque part dans la nuit Joseph L. Mankiewicz U.S.A. 1946
Lame de fond Vincente Minnelli U.S.A. 1946
Le facteur sonne toujours deux fois Tay Garnett U.S.A. 1946
Le grand sommeil Howard Hawks U.S.A. 1946
L'impasse tragique Henry Hathaway U.S.A. 1946
Gilda Charles Vidor U.S.A. 1946
La maison du docteur Edwardes Alfred Hitchcock U.S.A. 1945
La rue rouge Fritz Lang U.S.A. 1945
Détour Edgar G. Ulmer U.S.A. 1945
Péché mortel John M. Stahl U.S.A. 1945
Le roman de Mildred Pierce Michael Curtiz U.S.A. 1945
Les mains qui tuent Robert Siodmak U.S.A 1944
Laura Otto Preminger U.S.A. 1944
La femme au portrait Fritz Lang U.S.A. 1944
Assurance sur la mort Billy Wilder U.S.A. 1944
Adieu, ma belle Edward Dmytryk U.S.A. 1944
L'ombre d'un doute Alfred Hitchcock U.S.A. 1943
Le corbeau Henri-Georges Clouzot France 1943
Tueur à gages Frank Tuttle U.S.A. 1942
La clé de verre Stuart Heisler U.S.A 1942
La grande évasion Raoul Walsh U.S.A. 1941
Soupçon Alfred Hitchcock U.S.A. 1941
Le faucons maltais John Huston U.S.A. 1941
Rebecca Alfred Hitchcock U.S.A. 1940
 
Précurseurs
Le jour se lève Marcel Carné France 1939
Hôtel du Nord Marcel Carné France 1938
Quai des brumes Marcel Carné France 1937
Rue sans issue William Wyler U.S.A. 1937
J'ai le droit de vivre Fritz Lang U.S.A. 1937
Pépé le Moko Julien Duvivier France 1936
M. Le maudit Fritz Lang Allemagne 1931
The lodger Alfred Hitchcock G-B 1926
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