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Lame de fond

1946

Voir : Photogrammes
Genre : Film noir

(Undercurrent) Avec : Katharine Hepburn (Ann Hamilton), Robert Taylor (Alan Garroway), Robert Mitchum (Michael Garroway), Edmund Gwenn (Dink Hamilton), Marjorie Main (Lucy), Jayne Meadows (Sylvia Lea Burton), Clinton Sundberg (Mr. Warmsley), Dan Tobin (Joseph Bangs). 1h56.

Ann Hamilton, une jeune femme simple et romantique, vit avec son père, Dink, ingénieur chimiste, dans une ville de province. Lucy, la gouvernante et seconde mère de Ann depuis la mort de celle-ci, s'inquiète toutefois de la voir rester vieille fille et ce d'autant plus qu'elle dédaigne ostensiblement Joseph Bangs, le jeune collègue de son père qui lui fait la cour.

Dink s'apprête à vendre sa dernière invention, la tétradyte, à Alan Garroway, célèbre et séduisant industriel, auteur du procédé de téléguidage qui en a fait un héros national durant la guerre. Le capitaine d'industrie se déplace de San Francisco pour la circonstance. Il promet de la fabriquer la tétradyte en grande quantité pour un faible coût dans son usine de Baltimore... et découvre Ann.

Ann et Alan tombent amoureux, se marient et s'installent à Washington. Le premier soir, Alan a organisée une réception d'une cinquantaine d'invités du microcosme de la capitale pour présenter sa femme. Anne se sent terriblement mal préparée et mal habillée. Dès le lendemain, Alan la conduit chez une grande couturière. Il y rencontre Mme Foster, la voisine de leur grande propriété familiale de Middelburg en Virginie. Elle lui parle de Michael, son frère, ce qui trouble profondément Alan. Ann lui demande des informations sur ce frère dont il ne lui avait jamais parlé. Il lui explique, qu'à la mort de leur père, Michael, le fils préféré de leur mère, est devenu directeur de l'usine familiale et lui ingénieur. Michael a acheté un ranch et dépensé sans compter pour les femmes et des chevaux. Alan a demandé un contrôle financier et découvert que Michael le volait. Celui-ci n'a pas nié, sachant qu'Alan ne ferait rien avant la mort de leur mère. Quand celle-ci est décédée, il s'est enfuit. Anne lui promet tout son amour pour faire face à ce traumatisme.

Ann devient rapidement une parfaite maîtresse de maison. Un jour qu'elle cherche une lithographie pour son salon, le libraire lui confie un livre de poésies anglaises au nom de Garroway. Ann est émue par un poème de Stevenson "Je dis ma maison". Elle en fait lecture à son mari mais celui-ci en fait peu de cas et, comme elle insiste, il éclate de colère : le livre était pour Michael.

Pour se faire pardonner de son emportement, Alan convie Ann à Middelburg. Annci s'étonne de n'y trouver aucune photo de famille. Alors qu'il rentre tard d'un voyage d'affaire, Alan se précipite avec furie dans la maison quand il entend Ann jouer le thème de la 3e symphonie de Brahms. Elle lui explique qu'elle avait l'habitude de jouer ce morceau avec son père. Pour justifier sa colère, Alan lui dit que sa mère est morte en jouant ce morceau. Mais George, le domestique, révèle bientôt à Ann qu'il n'en est rien.

Alan emmène Ann à San Francisco où elle croise incidemment Sylvia Burton dont elle comprend qu'elle fut une ancienne maitresse d'Alan. Lorsqu'Ann retourne voir Sylvia, celle-ci lui dit sa détestation d'Alan et sa crainte qu'il ait tué Michael.

Lorsqu'Alan s'en va pour Seattle, Ann exige de Warmsley les clés du ranch de Michael. Elle est éblouie par la splendeur de la maison et déclare à celui qui se présente comme Gordon, le gardien, mais qui n'est autre que Michael, que le temps semble s'être arrêté dans ce lieu calme, heureux, majestueux et digne qui semble attendre quelqu'un avec sérénité et quiétude. Michael lui défend de se baigner car si la mer parait calme en surface il existe des courants sous-marins contraires. Alan débarque brusquement et s'emporte contre les pipes et livres que son frère dispose, dit-il, pour poser au philosophe. Ann rentre bouleversée et entend des commères dont les propos lui semblent justes. Elle jette alors à la figure d'Alan qu'il ne l'a présentée à washington que pour montrer quelle transformation il avait opérée. Elle était une de ses inventions. Elle lui affirme qu'il convoitait Sylvia Burton. Lorsque celle-ci l'a rejeté pour son frère, il ne s'est épris d'elle que parce qu'elle ressemblait à Sylvia mais, qu'à sa différence, elle l'aimait et l'admirait.

Ann retourne en Virginie et trouve George inquiet et Bate tout joyeux. Elle comprend que Michael est de retour, mais le cherche en vain. Le soir, dans l'écurie, Michael explique sa fuite à Alan par son dégoût de le savoir l'assassin de leur meilleur ingénieur de San Francisco dont il s'est approprié la découverte pour faire fortune. Il lui fait promettre de révéler la vérité à Ann. Mais celle-ci, en lui avouant qu'elle avait cru qu'il avait tué son frère, lui avoue aussi qu'elle l'aurait quitté si cela avait été le cas. Malgré sa promesse, Alan se refuse à avouer son crime. Cependant, il comprend que c'est sa femme qui est dorénavant obsédée par Michael. Elle n'est pas tant heureuse qu'il n'ait pas tué son frère qu'il ne soit, lui, vivant. Horrifiée par sa colère et vérité de ses propos, Ann fait ses bagages et tente de partir. Alan l'en empêche.

Le lendemain, Alan monte l'escalier, décidé à tuer sa femme qui s'est baricadée dans sa chambre. Grâce à la visite de Mme Foster, il en est empêché. Le couple accepte une promenade à cheval. Mais Alan tombe volontairement et feint d'être blessé. Ann reste auprès de lui et il tente de la tuer en l'écrasant d'une grosse pierre. Son geste déclenche la colère de l'étalon de Michael, qu'il avait impudemment monté, et se fait piétiner à mort par lui.

Veuve et convalescente, Ann reçoit enfin la visite de Michael qu'elle a convié pour partager sa fortune avec lui et la famille de Steuer, l'ingénieur autrefois spolié par Alan. Ce n'était toutefois qu'un prétexte et Ann et Michael s'avouent leur amour, révélé, pour l'un comme pour l'autre, lors de leur première rencontre.

Lorsque Ann rencontre pour la première fois Michael, il lui déconseille la baignade car, si la mer parait calme, il existe des courants sous-marins (undercurrent) qui pourraient l'emporter au loin. Le film est à l'image de cette mer. Le début pourrait être celui d'une brillante comédie, puis, peu à peu, le ton change. Ann découvre que son mari est un être inquiet, que le monde qu'il lui ouvre n'est qu'apparence de douceur et vrai enfer carcéral, froid et déshumanisé. Parallèlement, elle découvre un autre monde, celui de Michael, qui va se révéler conforme à ses rêves de jeunes filles, ceux qu'elle partageait avec son père.

Un mélodrame psychanalytique

Célèbre en tant que spécialiste de la comédie musicale et de la comédie, Minnelli se révèle aussi un maître du mélodrame. Lame de fond poursuit en 1946, le travail sur ce registre amorcé avec The clock, grand succès en 1945.

Le personnage d'Alan permet d'allier une trame de film noir au film psychanalytique. Le visage souriant du capitaine d'industrie en masque un autre, prêt à tout pour refouler son complexe d'infériorité. L'apport de Karl Freund, un des plus grands chefs opérateurs allemands qui a travaillé avec Murnau est notable dans nombre de séquences où l'ombre et la lumière se pénètrent l'une l'autre. Ainsi dans la grande scène explicative dans l'écurie. La lumière qui éclaire le visage d'Alan est celle d'une lampe mise en mouvement par les ruades de l'étalon. Michael lui révèle qu'il a compris qu'il avait volé l'invention de Carl Steuer qu'il appelait sa "Fern" capable d'abattre les nazis à distance, or, en allemand, Fernsteuerung signifie contrôle à longue distance où téléguidage ainsi que la nommera Alan quand il se la sera approprié. Il explique aussi le comportement de Warmsley, jusque-là assez étrange, qui a deviné le crime de son patron et est devenu son homme de confiance, lucide dès le premier regard sur la ressemblance entre Ann et Sylvia, l'ancienne maîtresse d'Alan. La lumière est aussi essentielle lorsqu'Ann éteint les bougies pour piéger George qui ne sait qui joue au piano ou lorsqu'Alan arrive à l'improviste et plonge la pièce dans l'obscurité en renversant la lampe.

Le refoulé d'Alan se traduit aussi par la disparition de toutes photos, aussi bien dans la propriété familiale que dans son bureau de Washington.

Alan n'a cessé de tromper Ann, lui déclarant qu'il l'aimait parce qu'elle ne ressemble à personne, et prétextant lui faire plaisir en la présentant dès son arrivée à Washington alors qu'il voulait montrer à quel point il serait capable de faire de cette provinciale une femme digne de lui, forte, mondaine. Ann représente l'apogée de sa possession et de son pouvoir. Lorsqu'il l'habille chez les grands couturiers, elle est devenue sa chose et il conclue la soirée par "A qui appartiens-tu ?" demande Alan et comme elle répond "A toi", Michael peut l'embrasser apaisé "c'est ça qui compte... Si tu l'oublies, tu le regretteras".

Retrouver le rêve de blancheur, de douceur et d'innocence

Ann accomplit le chemin inverse de l'héroïne de Soupçons (Hitchcock, 1941). Celle-ci devait apprendre à se défaire de ses soupçons et à aimer son mari. Ici Ann femme qui a peur d'elle, qui n'est pas sûr d'elle, sort d'elle-même, se montre courageuse et déterminée envers Alan, Sylvia et Warmsley. Mais n'est-ce pas pour retourner aux rêves de l'enfance ?

Comme souvent chez Minnelli, le rapport social s'incarne dans la famille. Le drame se joue dans le couple, oppose deux frères et en revient au rêve du père. Lorsque son père vend la tetradytre à Alan, il semble aussi lui offrir sa fille tant il parait alors le gendre idéal et c'est à ce rêve que se conforme d'abord Ann.

Se sentant étrangère au monde de Washington, elle ne peut toutefois qu'être sensible au sentiment d'être une invitée, ne possédant pas les codes adéquats. Elle ne peut qu'être touchée par le poème de Stevenson, "Je dis ma maison..." qui marque le plaisir de se savoir de passage et de tout partager avec la nature. La musique romantique de la 3e symphonie de Brahms est sans cesse contrariée par le comportement d'Alan. Minnelli oppose le bureau froid de San Francisco sans photos à la chaleureuse maison de Michael, emplie d'affectivité (guitare, pipes, livres).

La grande scène de réconciliation finale porte les mêmes stigmates de l'indépassable bonheur familial que dans Le chant du Missouri réalisé deux ans plus tôt. Si Ann n'a plus son petit chien Rummy, celui qui aimant tant l'odeur d'hamburger de la tétradyte, elle a retrouvé en Bate un chien joyeux et affectueux. Anne en peut distinguer l'interprétation du thème fameux de la 3e symphonie de Brahms par son père qu'elle croit d'abord au piano et par Michael qui la joue en réalité. Assise au piano avec lui comme elle l'était avec son père et toute de blanc vêtue elle retrouve la blancheur de la scène initiale sous la neige. Les courants sous-marins sont décidemment les plus forts et ramènent vers le rivage celle qui s'était imprudemment lancée dans un océan de nouveauté.

Parallèles entre le prologue et l'épilogue
   
Retour à la blancheur initiale
   
Dick présent pour offrir sa fille à Alan puis Michael
   
Douceur du foyer marqué par la présence de Rummy puis de Bate
   
et surtout la 3e symphonie de Brahms

Jean-Luc Lacuve le 28/09/2011

Test du DVD

Editeur : Wild Side Video, septembre 2011; Master restauré. Anglais mono Sous-titres : Français. Durée : 1h51. 15 €.

supplément :

  • Minnelli, au fond de l'âme : entretien avec Jean Douchet (0h13)

 

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