En rentrant chez elle, Mildred Hayes passe près de panneaux délabrés sur le bord d’une route de campagne que plus personne n’emprunte depuis qu’une autoroute a été construite à côté. Mildred a alors l’idée de les louer pour y inscrire, en lettres noires sur fond rouge, un message scindé en trois parties : « Violée pendant qu’elle agonisait il y a plusieurs mois/Toujours pas la moindre arrestation/Pourquoi, shérif Willoughby ? »
Ainsi, après des mois sans que l'enquête sur la mort de sa fille ait avancé, Mildred Hayes prend les choses en main, affichant ce message visant le très respecté chef de la police. Ce faisant, elle se met la ville à dos. Il n’y a guère que Red Welby, le publicitaire qui lui a loué ses panneaux et James, le nain de la ville qui souhaite sortir avec elle, pour prendre son parti...
Les premiers plans montrent les trois panneaux délabrés où l'on distingue encore les traces d'une publicité avec un bébé dans les bras de sa maman. Ce pourrait être une publicité pour savonnette ou une machine à laver. Quoi qu'il en soit, ce sont les traces d'un monde plus simple, lisse et heureux ; celui d'une société américaine installée dans l'insouciance de l'American way of life des années 80.
Ce sont ces panneaux que Mildred veut recouvrir du rouge et noir de la vengeance. Les westerns d'Anthony Mann avec James Stewart montraient à quel point le processus de la vengeance est mortifère. Il engage celui qui l'accomplit dans un voie qui le laisse encore plus solitaire une fois son but atteint, au mépris des règles élémentaires de l'humanité. Même chose avec Que la bête meure (Claude Chabrol, 1969) qui s'ouvre sur une citation de l'Ecclésiaste : "Il faut que la bête meure ; mais l'homme aussi. L'un et l'autre doivent mourir."
L'enjeu du film est ici, constamment, de maintenir la possibilité de sortir du cercle vicieux de la vengeance alors que la détermination de Mildred ne fait que grandir. Si la mélodie est bien celle de la vengeance, deux harmoniques permettent de préparer la résolution. Il y a d'une part l'harmonique de la psychologie des personnages qui n'encourage pas au radicalisme et, d'autre part, la nature, toujours du côté d'une grandeur calme et apaisée.
Des personnages baroques
Les psychologies contrastées des personnages concourent à dynamiter l'esprit de sérieux qui conduirait à une vengeance implacable et sans état d'âme. Bill Willoughby, Le chef de la police ne considère pas Mildred comme une ennemie, au contraire il cherche à l'aider. Elle lui fait bien davantage oublier son cancer qu'elle ne l'aggrave...Ce qui est le cas avec le ton compatissant que ses administrés lui renvoient.
La lettre de Bill à Jason le mettra sur une meilleure voie tout comme c'est à Penelope l'écervelée que Mildred demandera de prendre soin de son ex-mari perdu et violent.
La nature réconciliatrice
La couverture des panneaux en rouge et noir engage Mildred dans une voie sans issue. Martin McDonagh rend compte d'une sortie possible en faisant suivre le plan de leur installation par le simple plan, plus ample, de la nature qui se déploie derrière eux. Un plan d'ensemble sur la nature vient très souvent clôturer une séquence où Mildred s'engage dans la violence.
Presque systématiquement, le réalisateur donne à voir entre les séquences où la détermination de Mildred s'affirme, d'autres où elle se souvient des jours heureux (la chambre de la jeune fille) ou des plans de nature réconciliateurs (celui avec la biche bien évidemment). Les discussions sur la balançoire, avec Bill Willoughby plus, plus tard, avec Jason montrent aussi une proximité que semblait nier leur position sociale d'adulte. Bill Willoughby apprécie pleinement ses derniers instants, avec la belle séquence de la pêche aux nounours ce qui rend très émouvante la lettre adressée à sa femme qu'elle lit alors qu'il vient de se suicider après avoir libéré ses chevaux.
La dernière séquence, détendue et apaisée entre les deux ennemis d'hier, Mildred et Jason, dit qu'ils n'iront pas au bout de leur folle équipée vengeresse. Le matin, le soleil et la nature ont été plus forts que les cauchemars de la nuit et du passé.
Jean-Luc Lacuve, le 3 février 2018