(Lu bian ye can). Avec : Chen Yongzhong (Chen Sheng), Guo Yue (Yang Yang), Luo Feiyang (Le jeune Wei Wei), Xie Lixun (Crazy Face), Yang Zhuohua (Monk), Yu Shixue (Wei Wei, l'adolescent), Daqing Zhao (Guanglian, la doctoresse), Liu Linyan (Zhang Xi). 1h53.
Kaili, ville de la province montagneuse du Guizhou. Chen, médecin, la quarantaine, tousse. Son amie la doctoresse, Guanglian, très âgée, qui tient le dispensaire de fortune avec lui, lui conseille de prendre des médicaments.
"Le bouddha dit "Pourquoi toutes les pensées de tous les êtres sont-elles connues du Tathagata ?". Toutes sont appelées "pensées" mais il s’agit de non-pensées car on ne peut retenir la pensée passée, ni garder la pensée présente, ni saisir la pensée future » (Soutra du Diamant)"
Chen, dans un curieux entrepôt souterrain où l'on conserve des bananes, s'inquiète de l'absence de son jeune neveu, Wei Wei. Il le trouve finalement chez lui, enfermé par son père pour, prétendument, faire ses devoirs. La télévision passe un court hommage aux poèmes de Chen, auteur du recueil célèbre : Pique-nique au bord de la route. Wei Wei dit avoir été terrorisé par les histoires d’hommes sauvages couverts de poils qui hantent la région racontées par le poivrot de l'entrepôt. Pour le réconforter, Chen, qui n'ignore rien du secret des serrures, libère Wei Wei et l'emmène faire un tour de manège.
Chen et Wei Wei retrouvent le père de celui-ci, Crazy Face, un vaurien irresponsable qui joue avec ses amis aux cartes. Crazy Face rejoint son stand forain de tir à la carabine mais refuse d'expliquer à Chen pourquoi il a changé la serrure de sa maison.
Au dispensaire, la doctoresse parle à Chen de son amant d’autrefois, Lin Airen, dont la révolution culturelle l’a séparé. Chen promet de lui réparer son radiocassettes qui ne lui permet plus d'entendre la radio ou la K7 de musique que lui a laissé Lin Airen, il y a bien longtemps, lors de sa dernière visite.
Chen va enterrer des bocaux à ventouses un peu plus haut sur la colline.
Wei Wei dessine une pendule sur le mur de sa maison, celle qui fut autrefois celle de Chen près de la cascade. Crazy Face insiste pour que Wei Wei se lave. Le matin, il va chez le garagiste prendre une moto pour Le Moine. Le soir, Le Moine vient chez lui et offre une montre à Wei Wei qui se fait inviter à rester quelques jours chez lui. Un train semble passer dans la pièce dont le bruit est perçu dans l’oreille de Chen quand il dort et rêve des chaussons bleu brodés de sa mère, emportés par les eaux . Chen somnole et écoute ses poèmes sur sa cassette. La radio parle de l'homme sauvage dont des traces sont réapparues pour la première fois depuis neuf ans.
Chen est venu dîner chez son amie la doctoresse et manger du poulet sur sa terrasse qui domine la ville. Il lui dit rêver souvent de sa mère de l’ethnie Miao qui lui a laissé sa belle maison en mourant. Pour se défaire de ses cauchemars, la doctoresse lui conseille de se rendre sur la tombe de celle-ci.
Carton : Kaili -Pique-nique au bord de la route- Blues (mixte du titre original et du titre international)
Chen se rend en moto vers la partie montagneuse à l'extérieur de la ville. Il a la désagréable surprise de constater que la pierre tombale a été changée. De retour à Kaili, il tente de s'en expliquer dans la salle de billard avec Crazy Face qui est son demi-frère. Lui revient alors le moment où il tenta, il y a des années, de savoir qui avait eu l'idée de couper la main du fils de Le Moine, son chef des triades, avant de l'enterrer vivant. Mais, bien vite, le présent fait retour et il se bat avec son Crazy Face qui lui dénie le droit d'avoir son nom sur la pierre tombale n'étant qu'un demi-frère, abandonné à la naissance à Zhenyuan et pas même présent lors des obsèques de la mère car en prison. Plus tard, un ami dira à Chen combien sa mère l'aimait, tenait à ce qu'il ait la maison familiale et espérait qu'il s'occuperait de Wei Wei.
Devant la moto de Le Moine qu'il répare, Crazy Face affirme à Chen qu'il pourrait vendre Wei Wei comme un ancien droit de la province le permet. Il semble ne pas accepter l'échange de la maison contre la garde de son fils mais lui déclare quand même à Chen que Wei Wei est à Zhenyuan avec Le Moine.
Chen rend le radiocassette, réparé, à son amie la doctoresse. Elle lui pose des ventouses et lui parle de son ancien amant, dorénavant sur son lit de mort. Elle demande à Chen de lui apporter en son nom quelques souvenirs de leur passé : une chemise et la cassette que lui offrit ce maître de musique. Chen doit en effet se rendre dans la même région, celle de l'ethnie Miao, pour retrouver son neveu Wei Wei, abandonné à la garde de Le Moine.
Dans le train qui l'emporte, Chen se souvient de sa sortie de prison, neuf ans auparavant ; comment, seul, il avait attendu près d'un lac. Un ami était venu le chercher en voiture. Il avait appris le décès de sa mère qui lui avait laissé la maison en héritage. Il avait raconté sa vie très dure en prison où il travaillait au fond d'une mine. La radio parlait de l'apparition d’un homme sauvage couvert de poils qui avait troublé un conducteur, ivre, qui avait tué un adolescent en moto tenant un batik Miao. L'ami informa aussi Chen que sa femme Zhang Xi qui, en prison, ne lui parlait que du passé, est morte de maladie l’an passé.
Le train est arrivé à destination et Chen s'engage sur une voie de chemin de fer. Il semble explorer mentalement un curieux tissu brodé.
Arrivé près du village de Dangmai, Chen demande à un adolecent, Wei Wei, de le conduire auprès de la famille de la minorité Miao qui joue du lucheng (orgue à bouche en roseau). Le chef de famille, l'ancien amant de la doctoresse est mort. Chen décide donc de se rendre plus loin chercher son neveu et monte sur le pick-up d'un groupe de rock qui s'en va donner un concert. Sur la route, il croise Wei Wei, pied et tête dans un seau; humilié ainsi par ses camarades. Chen l'aide à ôter le blocage de la moto. Wei Wei est amoureux de la couturière du village, Yang Yang, qui ne le prend pas au sérieux. En traversant la rivière, Yang Yang achète un moulin à vent. Wei Wei la rattrape et abime malencontreusement le moulin et lui promet d'en confectionner un autre. Chen raconte sa vie à la coiffeuse du village : la mort de sa femme, Zhang Xi, sa vie de gangster dans les triades, son emprisonnement. Il lui donne la K7 de l'amant de doctoresse et chante" Fleur de jasmin" qu'il avait préalablement entendu sur la moto avec Wei Wei avec le groupe de rock.
Après un voyage en bateau, Chen retrouve son neveu Wei Wei sous la protection du Moine. Devant le bonheur de son neveu, il lui en laisse la garde. Endormi dans le train, Chen ne voit pas les horloges de Wei Wei peintes sur le train qui le croise. Elles semblent faire défiler le temps à l'envers, signe qui lui permet d'espérer l'amour de Yang Yang.
Chen est médecin dans une petite clinique de Kaili, ville brumeuse et humide de la province subtropicale du Guizhou. Il a perdu sa femme lorsqu'il était en prison pour avoir servi dans les triades. Aujourd'hui, il s'occupe de Weiwei, son neveu, qu'il aimerait adopter. Lorsqu’il apprend que son frère a vendu Weiwei, Chen décide de partir à sa recherche. Sur la route, il traverse un village étrange nommé Dangmai, où le temps n’est plus linéaire. Là, il retrouve des fantômes du passé et aperçoit son futur... Il est difficile de savoir si ce monde est le produit de sa mémoire, ou s'il fait simplement partie du rêve de ce monde.
L'élément formel le plus marquant du film est un immense plan-séquence de 41 minutes qui débute à la moitié du film. Il commence une fois le train arrivé à destination et que Chen se soit engagé sur une voie de chemin de fer. Chen semble alors explorer mentalement un curieux tissu brodé. Le plan-séquence démare ainsi quand Yang Yang sort de chez elle et demande à Wei Weil de la conduire en moto et que celel-ci refusera alors de démarrer.
Le plan-séquence se clôt sur la rivière Kaili avec un gros-plan du visage de Chen. On a suivi l'arrivée de celui-ci près de la moto de Wei Wei qui le conduit à l'entrée du village où habitait l'ancien amant de la doctoresse puis au village près de la rivière. Il y rencontre Yang Yang puis la coiffeuse à laquelle il raconte sa vie et interprète une chanson avant de prendre le bateau pour rejoindre son neveu.
Ce grand plan-séquence, réalisé sans trucage, n'est pas le seul élément formel du film. Celui-ci commence en effet par un panoramique à près de 360 degrés dans la pièce du dispensaire qui se termine sur la terrasse la nuit. Le défilement d'un train retro-projeté sur le mur de la demeure de Crazy Face se terminan dans l'oreille de Chen comme un flash-forward du trajet qu'il va devoir faire pour retrouver Wei Wei est également très surprenant.
Le carton tiré de la Soutra du Diamant qui ouvrait le film avait prévenu: "Le bouddha dit : “Pourquoi toutes les pensées de tous les êtres sont-elles connues du Tathagata ?” Toutes sont appelées “pensées” mais il s’agit de non-pensées. Car on ne peut retenir la pensée passée, ni garder la pensée présente, ni saisir la pensée future." Dès lors, comment concevoir un film orienté par la seule flèche du temps. Ici passé, présent et futur se combinent dans un espace quasi-onirique où les flèches du temps (train, cours d'eau) semblent pouvoir être remontées comme défile à l'envers les aiguilles des horloges (celle de Wei Wei enfant sur son mur, celles de Le Moine qui en est obsédé, celles de Wei Wei dessinées sur le train)
D'autres objets remontent aussi le cours du temps. Ainsi la cassette que Chen donne à la coiffeuse qui rappelle le cadeau que fit l'amant de la doctoresse à celle-ci. Ainsi les animaux sauvages ou la séquence filmée dans un rétroviseur de moto ou la boule à facettes toujours dans l'ancienne maison, souvenir des jours heureux dans la boite de nuit où Chen rencontra sa femme.
La narration entremêle flashes-back (les plans dans la boîte de nuit où la nuque de Chen apparait en amorce, le souvenir de la vengeance de la mort du fils du Moine dans la salle de billards, la séquence dans la voiture dont Chen se souvient en somnolant dans le train), quelques séquences de rêves (les sandales bleues de la mère dans la rivière) et un dévoilement progressif de l'histoire de Chen qui, après la séquence dans la voiture, explique à la coiffeuse pourquoi il a été emprisonné.
Ainsi s'entremêlent trois histoires d'amour, celle de Chen et sa femme, de la doctoresse et de son amant, de Wei Wei et Yang Yang dans une poésie fragile comme la navigation sur la rivière Kaili ou les poèmes de Chen. Ceux ci sont écrits par l'acteur lui-même, l'oncle du réalisateur qui les a rassemblés dans un recueil intitulé Lu Bian Ye Can («Pique-nique au bord de la route »), qui est le titre chinois du film. Film onirique et impressionniste, Kaili blues est aussi probablement un voyage libérateur : Chen se défaisant du poids de devoir s'occuper de son neveu, bien plus heureux à la campagne.
Jean-Luc Lacuve, le 30 mars 2016.