Si un plan possède la durée et le contenu dramatique d'une séquence entière, on le qualifie de plan séquence. Il est souvent obtenu par un plan fixe long ou par un travelling, un panoramique ou un mixte de ces deux mouvements : on parle de pano-travelling.
L'ampleur et la rapidité des mouvements sont infiniment variables, du lent recadrage d'une scène à la poursuite sur route ou dans les airs. La caméra peut être montée sur grue et opérer des mouvements pour se rappocher, s'éloigner, suivre, contourner (travelling circulaire) le personnage. Abel Gance dans Napoléon (1927) place une caméra sur une balençoire pour les houleux débats de la Convention une autre sur un cheval blanc au galop pour traduire la rapidité de la course. Pour Week-end (Godard, 1967) la publicité affirme qu'on y voit le plus long travelling de l'histoire du cinéma. En fait Godard le coupe au milieu pour éviter cette performance trop démonstrative.
La nature des déplacements de l'appareil est également très diverse : la caméra portée a produit des effets de mouvements dont certains sont restés célèbres comme la déambulation d'un homme ivre obtenue par l'opérateur allemand Karl Freund dans Le dernier des hommes (Murnau, 1924). Le steadicam inventé en 1972 est expérimenté en 1976 au cinéma avec un premier plan séquence tourné par Garrett Brown muni de son invention dans Bound for Glory (Hal Ashby, 1976). Vient ensuite Shining en 1980, où Kubrick en fait une utilisation brillante notamment avec une caméra qui se déplace à hauteur d'homme mais aussi, plus spectaculairement, au ras du sol.
On est ainsi bien loin des conceptions de Wyler ou de Preminger qui voulaient faire oublier le découpage et le montage, dans ce rêve idéalement classique d'un film qui serait composé d'un seul plan. Tous deux utilisent aussi la profondeur de champ comme superposition de deux actions dans un seul plan. Ce sera aussi le cas d'Orson Welles qui revendique chacune des secondes de ses plans-séquences comme une prouesse destinée à couper le souffle et à engendrer un suspens interne qui concerne moins l'action proprement dite que la virtuosité du metteur en scène.
C'est cette conception du plan-séquence virtuose qui domine dans les 30 plans-séquences les plus célèbres de l'histoire du cinéma :
Plan-séquence avec mouvement d'appareil sophistiqué : l'homme franchit la barrière, la caméra file alors à travers les arbres pour saisir la vamp se maquillant au bord de l'eau et regarder l'homme venir à sa rencontre par le côté gauche du cadre.
Plan séquence initial de 3'10, assassinnat de Big Louis en ombre chinoise.
Le héros s'en va vers sa gauche (droite du photogramme), alors que la caméra, placée au centre de la cour, pivote dans un panoramique de 360° vers la gauche pour récupérer Lange poignardant Batala.
Plan-séquence jouant de la profondeur de champ. Kane enfant joue dans la neige. La caméra le regarde, recule, entre par la fenêtre dans le chalet, emprisonnant ainsi le gamin dans un cadre de plus en plus petit. Puis elle continue son mouvement et découvre les parents de Kane qui sont en train de le confier à Thatcher. Une fois la transaction signée, un travelling-avant nous rapproche de la fenêtre : le père vaincu baisse la tête ; le jeune Kane joue toujours.
Onze plans pour un film pourtant film très découpé
Succédant au générique, le plan de 5 minutes sur Bardot, nue, discutant avec Paul. Il conviendrait davantage ici de parler de plan long, davantage que de plan-séquence.
La publicité affirme que Godard a réalisé le plus long travelling de l'histoire du cinéma. En fait Godard le coupe au milieu pour éviter cette performance trop déemonstrative.
Le plan de l'arrivée de Jill
Giovanni semble lire un journal. La caméra s'élève et révèle qu'il s'agit d'un immense collage de journaux : ces titres qui semblent si différents sont en fait un même et grand journal plein d'intérêts et de collusions cachées qui ne peut éveiller la conscience et la vigilance des lecteurs mais qui constitue, au mieux, un lit dans lequel on s'endort et, au pire, une tombe.
Du débarquement des émigrés irlandais à leur embarquement dans un navire de l'armée se vidant de cercueils d'anciens soldats.
Pour Vincent Amiel et José Moure, Dans Histoire vagabonde du cinéma (2020), "la caméra virtuelle, devient une des figures principales du film, un personnage immatériel, intrusif, omnipotent qui investit et hante par ses mouvements continus et multidirectionnels et par son regard autonome et sans corps "l'esprit" de la maison où, retranchées dans une pièce refuge pour échapper à des cambrioleurs, s'enferment Mag Altman (Jodie Foster) et sa fille Sarah (Kristen Stewart). Le plan de deux minutes et quarante secondes qui intervient à la quinzième minute du film, au moment où les trois cambrioleurs explorent toutes les voies possibles (porte, fenêtre, baie vitrée, puits de lumière...) pour s’introduire par effraction dans la demeure est assurément la manifestation la plus spectaculaire des pouvoirs de la caméra virtuelle.
La caméra part du lit où est allongée Jodie Foster, descend le long d'une cage d'escalier jusqu'au rez-de-chaussée, glisse vers une fenêtre d'où l'on voit au travers des barreaux arriver dans l'obscurité des cambrioleurs; elle s'avance vers une porte dont elle semble vouloir traverser la serrure qu'un cambrioleur essaie en vain de forcer; accompagnant de l'extérieur les déplacements des cambrioleurs qui, à l'extérieur de l'appartement, cherchent un moyen de pénétrer les lieux, elle longe la fenêtre à barreaux puis traverse rapidement la cuisine, survole le plan de travail, se faufile à travers l'anse d'une cafetière pour rejoindre une porte-fenêtre qu'un des voleurs essaie d'ouvrir; alors que l'on voit le voleur s'engager dans les escaliers de l'immeuble, la caméra, dans un mouvement continu et fluide, le suit à l'intérieur, monte les étages en traversant le plancher, passe devant la chambre où dort Jodie Foster et s'élève jusque sous le puits de lumière au dessus de l'appartement où un cambrioleur, introduisant une barre dans une trappe en fer qui finit par céder (fin du plan), déclenche un signal que Jodie Foster endormie n'entend pas.
Dans ce plan qui, tout en suivant l'intrusion des cambrioleurs dans la maison, construit l'espace scénique, à la fois visuel et mental, dans lequel va se dérouler le huis clos, aucune coupe visible, aucun obstacle matériel ne semble pouvoir stopper le déplacement continu et fluide de la caméra. Celle-ci voit son rôle et son statut redéfinis. Libérée des contraintes physiques, elle exhibe son immatérialité et affiche son mouvement comme pur effet spécial ne cherchant plus à mimer un regard humain ou à simuler, comme souvent dans les films en images de synthèses, les travellings, panoramiques et effets de mise au point d'une caméra réelle"
Le film n'est pas avare de plans-séquences. Mais la performance la plus magistrale est le long plan-séquence qui suit Jordan, Nicole et Brittany. Juste après le carton indiquant le nom des trois filles (15) c'est d'abord Nathan qui surgit de la porte de face. Il tourne sur sa droite et sort par la gauche de l'écran. Les files le suivent du regard tandis que la caméra tourne autour d'elles, dépasse l'axe de la porte et les saisit de face lorsqu'elles font demi-tour pour se diriger vers ce qui était la droite du plan au départ. Elles sont alors suivies en travelling arrière (GVS dit l'importance qu'il accorde à ce plan dans le making off) Le plan séquence débute sur le plan de dos qui le cadre toutes les trois (15, 13e photogramme). Elles se plaignent de ce que leur mère fouille leurs affaires. La caméra les saisit de face au self lorsqu'elles se sont retournées pour saisir leur plateau. elle les abandonne pour suivre les hommes des cuisines dont l'un débouche dans la cantine et croise les trois filles que l'on suit à nouveau en train de déjeuner et de se disputer avant de rejoindre les toilettes (5mn 10 : de 15, 13ème photogramme, à 16 puis 17, 12ème photogramme).
Nombreux plans-séquences avec plans fixes pour rendre hommage à Yasujiro Ozu et son Voyage à Tokyo.
un plan d'environ vingt minutes, fixe, qui cadre le dialogue du leader Bobby Sands avec un prêtre. Un échange vif et bavard qui rompt avec le silence du reste du film, et dont le plan séquence ne sera interrompu qu'au bout de vingt minutes pour que la caméra cadre Michael Fassbender et que l'on entre cette fois dans un monologue. Les plans de ce film sont pertinents et nous apprennent autant que tout discours.
Une petite camionnette rouge monte et se gare à l'entrée de la ville, en face de l'enclos dans lequel les chèvres attendent d'être conduites aux champs. En descendent trois "centurions" dont l'un place une pierre sous la roue de la camionnette garée en pente. Un scooter descend avec deux jeunes gens et dépose une spectatrice avant de remonter vers la ville. La procession sort de la ville avec Jésus-Christ en tête surveillé par les romains. La caméra les suit (3') avec un panoramique à 180° pour voir le chien qui ayant dérangé le défilé est chassé par un "romain" vers le bas de la route. Le chien s'enfuit dans les fourrés et la route s'emplit de la procession avec, au loin sur la colline, les croix du calvaire. (4'30). Le chien surgit derrière la procession et remonte la route. La caméra le suit dans un panoramique à 180° symétrique du premier jusqu'à la porte de la ville dont surgit un enfant de chœur en retard (5') celui-ci essaie de se débarrasser du chien en envoyant plusieurs pierres. La troisième, en direction de la camionnette, est la bonne, mais le chien retire celle qui calait la camionnette et celle-ci glisse en direction de la palissade fermant l'enclos des chèvres. Le chien poursuit dans un troisième panoramique à 180° le garçon qui dévale la route pour lui ramener la pierre. Le chien est chassé par la famille qui attend l'enfant et remonte la rue (7') suivi par la caméra pour son quatrième panoramique à 180°. Le chien fait entrer les chèvres sorties de leur enclos dans la ville désertée de ses habitants (7'50).
Pour Vincent Amiel et José Moure, Dans Histoire vagabonde du cinéma (2020), "Alfonso Cuaron a d'abord réalisé son film entièrement en animation; puis les acteurs, en particulier les visages ont été filmés, enfin les images de synthèse générées par ordinateur (ou CGI) et les prises de vues réelles ont été assemblées et fusionnées dans la mise en scène de manière à ce qu'elles se confondent.
Le plan d'ouverture de plus de quinze minutes d'une impressionnante fluidité montre l'approche de la station Hubble qui d'abord microscopique dans l'univers, finit au terme d'un mouvement très lent par occuper tout l'écran, puis fait découvrir, passant de l'un à l'autre sans montage, trois astronautes cadrés en plan moyen et rapproché, attelés à des travaux de maintenance en extérieur, avant de se centrer en très gros plan sur une vis minuscule qui échappe à Sandra Bullock. Dans cette métamorphose continue de l'image qui fait passer du plan général de la station noyée dans l'immensité du cosmos au très gros plan de la vis, non seulement les notions de plans et d'échelle de plans sont bouleversées mais surtout les codes visuels du spectateur et sa manière d'appréhender et d'habiter l'espace-temps filmique. Si le spectateur sait encore plus ou moins ce qu’il regarde, il ne sait plus d'où et comment et pourquoi il regarde. Comme si l'effet spécial suprême ou l'ultime aventure du cinéma consistait à couper le fil de plus en plus ténu qui relie l'expérience filmique à l'expérience du monde, à renoncer à l'attraction terrestre pour immerger le spectateur dans un bain de sensation sidéral."
Le film, grâce à des trucages, se présente visuellement comme un seul plan-séquence qui dure sur la presque totalité du film. Cela en fait le second plus plus long faux plan-séquence de l'histoire du cinéma, entre les 1h36 de L'arche russe (Alexandre Sokourov, 2002)et les 2h14 de Victoria (Sebastian Schipper, 2014).
L'élément formel le plus marquant du film est un immense plan-séquence, réalisé sans trucage de 41 minutes qui débute à la moitié du film. Il commence non loin du village de Dangmai où Yang Yang tente vainement de se faire conduire par la moto de Wei Wei qui refuse alors de démarrer. Il se clôt sur la rivière Kaili avec un gros-plan du visage de Chen. On a suivi l'arrivée de celui-ci près de la moto de Wei Wei qui le conduit à l'entrée du village où habitait l'ancien amant de la doctoresse puis au village où a lieu le concert. Il y rencontre Yang Yang puis la coiffeuse à laquelle il raconte sa vie et interprète une chanson avant de prendre le bateau pour rejoindre son neveu.
Comme il est dit dans le film "Les films sont faux puisque les images sont mises en ordre alors que, dans la mémoire, elles apparaissent toutes en même temps". Ainsi Bi Gan réalise-t-il une première partie où la mémoire déconstruit assez classiquement l'intrigue à coups de flashes-back alors que, dans la deuxième partie, l'apparition d'images toutes en même temps est moins une affaire de temps que d'espace. Dans ce grand plan-séquence de 55 minutes, la 3D rend l'aspect étrange du souvenir où ne cessent de surgir, déformés, les échos d'images d'un passé entraperçu ou inabouti évoqué dans la première partie.
Si le rouleau à main est, dans un certain sens, le précurseur du cinéma, Gu Xiaogang, 31 ans dont c'est le premier film, retrouve les principes de la peinture de paysage où dominent montagnes et eaux courantes, la peinture classique Shanshui. Ainsi les plans-séquences en travelling latéral qui magnifient le processus du déroulement du rouleau de peinture : la pluie de grêle sur la rivière et surtout le très long plan-séquence qui voit le fiancé de Guxi se jeter à l'eau pour prouver qu'il va plus vite à la nage qu'elle, à pied sur les rives de la rivière Fuchun. Au cours de sa nage, il croise moult sportifs nageant avec une bouée de repérage. En sortant de l'eau, aux pieds de Guxi qui l'attend, il enfile un tee-shirt puis les deux jeunes gens poursuivent leur discussion tout au long de la rivière. Un homme promène ses chiens, des embarcations et des nageurs passent encore. Enfin ils atteignent le ferry conduit par le père du jeune professeur qui peut ainsi lui présenter Guxi. Le plan-séquence se termine avec les deux amoureux contemplant la baie de Fuchun de la passerelle du ferry.
Sam Mendes rend la guerre presque ludique pour son spectateur attaché à ces deux soldats par le lien du plan-séquence comme des passagers d'une grande roue ou d'un train fantôme. Le plan-séquence n'a en effet rien de réaliste, il possède au contraire un fort impact démonstratif. Chez Welles comme chez Gus van Sant ou Béla Tarr, il est la figure du temps. C'est-à-dire qu'il montre, littéralement, le temps qui passe plus que l'action elle-même. D'ailleurs pour exacerber l'action, les films du même nom utilisent au contraire un montage ultra-rapide comme équivalent de l'œil aux aguets. Ici, nous sommes souvent éloignés des soldats plus qu'avec eux. La caméra traverse le grand trou d'obus noyé d'eau alors que Blake et Schofield le contournent ou la caméra passe au-dessus des tranchées pour, dans un raccourci, retrouver les deux caporaux quittés de dos, de nouveau de face. Mais sont bien montrés ainsi dans ces raccourcis où la caméra va plus lentement que les héros tel ou tel cadavre dans la boue, tel cheval en putréfaction. L'horreur vu du train fantôme du plan-séquence avec parfois le surgissement d'une horreur plus sanguinolente (la main ensanglantée plongée dans un cadavre) ou boursouflée (les noyés la langue gonflée).
Principaux films :
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Coupez ! | Michel Hazanavicius | France | 2022 |
Evolution | Kornél Mundruczo | Hongrie | 2021 |
1917 | Sam Mendes | U. S. A. | 2019 |
Séjour dans les monts Fuchun | Gu Xiaogang | Chine | 2019 |
The climb | Michael Angelo Covino | U. S. A. | 2019 |
Un grand voyage vers la nuit | Bi Gan | Chine | 2018 |
Kaili blues | Bi Gan | Chine | 2015 |
Birdman | Alexandro Gonzalez Inarritu | U. S. A. | 2014 |
Victoria | Sebastian Schipper | Allemagne | 2014 |
Gravity | Alfonso Cuaron | U. S. A. | 2013 |
Le quattro volte | Michelangelo Frammartino | Italie | 2010 |
Hunger | Steve McQueen | G.- B. | 2008 |
L'homme de Londres | Bela Tarr | France | 2008 |
Café Lumière | Hou Hsiao-hsien | Taïwan | 2004 |
L'arche russe | Alexandre Sokourov | Russie | 2003 |
Elephant | Gus Van Sant | U. S. A. | 2003 |
Gerry | Gus Van Sant | U. S. A. | 2002 |
Panic room | David Fincher | U. S. A. | 2002 |
Gangs of New York | Martin Scorsese | U. S. A. | 2002 |
Aprile | Nanni Morretti | Italie | 1998 |
Snake eyes | Brian de Palma | U. S. A. | 1998 |
Shining | Stanley Kubrick | U. S. A. | 1980 |
Profession Reporter | Michelangelo Antonioni | Italie | 1975 |
Il était une fois dans l'Ouest | Sergio Leone | U. S. A. | 1968 |
Week-end | Jean-Luc Godard | France | 1967 |
Le mépris | Jean-Luc Godard | France | 1963 |
La soif du mal | Orson Welles | U. S. A. | 1958 |
La corde | Alfred Hitchcock | U. S. A. | 1948 |
Citizen Kane | Orson Welles | U. S. A. | 1941 |
Le crime de monsieur Lange | Jean Renoir | France | 1935 |
Scarface | Howard Hawks | U. S. A. | 1932 |
L'aurore | F. W. Murnau | U. S. A. | 1927 |
Le dernier des hommes | F. W. Murnau | Allemagne | 1924 |