Scarface

1932

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Thème : Psychopathe

Avec : Paul Muni (Tony Camonte), Ann Dvorak (Cesca), Karen Morley (Poppy), Osgood Perkins (Johnny Lovo), Boris Karloff (Gaffney), C. Henry Gordon (Ben Guarino), George Raft (Rinaldo), Vincent Barnett (Angelo). 1h30.

Chicago. Tony Camonte, dit Scarface, garde du corps du gangster Big Louie Costillo, assassine son patron resté seul dans un bar (phot. 1). La police l'arrête, ainsi que son acolyte Guido Rinaldo. Ils sont bientôt relâchés faute de preuves (phot. 2).

Camonte reçoit sa récompense de son nouveau boss, Johnny Lovo, et devient son lieutenant. Lovo lui recommande de ne pas aller piétiner les plates bandes de ceux qui règnent sur la zone nord de la ville. Rentrant chez lui, Camonte hurle contre sa sœur qu'il a vu embrasse un homme. Il fait preuve à son égard d'une jalousie tout à fait pathologique et peu "fraternelle" (phot. 3).

Lovo et Camonte se rendent dans une salle de billard où ils prennent la tête des équipes de feu Costillo. Camonte met K.-O. un truand qui rechignait conter la nouvelle direction. Dans plusieurs bars, Scarface, Rinaldo et Angelo, le secrétaire factotum de Scarface, usent de violence pour persuader les patrons d'acheter leur bière chez le fournisseur de Lovo. Ils font un raid pour éliminer Meehan, un des rivaux de Lovo (phot. 4). Mais Meehan survit à ses blessures. Qu'à cela ne tienne : Scarface va l'achever dans son lit d'hôpital. Lovo, effrayé par l'audace de Scarface, lui reproche d'avoir sévit dans le nord et de s'en être pris à O'Hara. La riposte ne tarde pas à arriver. D'une voiture, un cadavre est jeté à la chaussée à l'intention de Lovo et de Scarface. Il s'agit de l'un de leurs hommes. On a accroché sur lui un morceau de papier où il est inscrit : "Ne touchez pas à la zone nord" (phot. 5). Répondant à la menace par un défi plus grand, Rinaldo a été assassiner O'Hara dans son magasin de fleurs dont il revient chez Scarface avec l'une d'elles en boutonnière. Scarface lui prend la rose pour la donner à Poppy qu'il est sur le point de séduire lorsqu'il est arrêté par la police qui le relâche. Mais Tom Gaffney, le lieutenant de O'Hara s'est fait livrer un lot de mitraillettes toutes neuves et a bien l'intention de poursuivre la guerre des gangs (phot. 6).

Alors que Scarface déjeune avec Poppy, le restaurent est mitraillé. Rinaldo saisit sur le cadavre d'un des attaquants une des mitraillettes de Gaffney. Angelo lui n'a été conscient de rien, sauf du bruit qui pendant l'attaque l'a empêché de comprendre son interlocuteur au téléphone. De retour dans son QG dévasté par un autre commando de Gaffney, Scarface est accusé par Lovo de se faire beaucoup trop d'ennemis. Mais celui-ci tout à sa joie d'essayer sa nouvelle mitraillette, n'a nulle intention de s'arrêter en si bon chemin (phot. 7). La guerre des gangs est maintenant à son comble. C'est alors qu'à lieu le massacre de la saint Valentin où sept gangsters sont exécutés par de faux policiers dans un garage(phot. 8). Gaffney qui a échappé par miracle à la mort, est arrêté par la police. En haut lieu on juge dangereuse la mythification de gangsters que la presse encourage et on prévoit des mesures pour y mettre fin. Scarface, Rinaldo et Angelo assistent à la représentation de "Rain". Puis ils vont massacrer Gaffney dans un bowling. A son grand désespoir Angelo avait dû rester voir la fin de la pièce pour la raconter aux deux autres (phot. 9).

Au dancing Paradise, Scarface s'en prend au cavalier de sa sœur Cesca. Il la reconduit de force à la maison et la gifle violemment (phot. 10). Il monte dans sa voiture et est pris en chasse par des poursuivants armés de mitraillettes. Les deux voitures tombent dans un chantier. Scarface sort indemne de son véhicule et contacte Rinaldo. Tous deux vont chez Lovo ; ils lui tendent un piège pour savoir si c'est lui qui a lancé ses hommes sur Scarface (phot. 11). En ayant acquis la certitude Scarface fait signe à Rinaldo de supprimer Lovo. Scarface, au sommet de sa puissance s'absente un mois en Floride. A son retour, sa mère lui dit que Cesca vit avec un homme (phot. 12).

Il se rend chez elle et la trouve en train de chanter et de jouer du piano avec Rinaldo qu'il abat aussitôt "Je l'aimais, s'écrie Cesca, nous nous étions mariés hier !" Elle ajoute : "Tu ne m'aimes pas comme un frère" (phot. 13). La police décidée à agir, cerne le bâtiment où se trouve l'appartement de Scarface. Angelo est abattu (phot. 14). puis c'est au tour de Cesca. Scarface est affolé à l'idée de la perdre. Elle le traite de lâche en mourant (phot. 15). Effectivement, il supplie les policiers de lui donner une chance, puis, il essaie de fuir, il est abattu comme un chien sur le trottoir (phot. 16).

En 1931, date du tournage de Scarface, plus de 50 films de gangsters sont mis en chantier par les studios hollywoodiens. Juste après la grande dépression de 1929 et en pleine prohibition (1919-1933), la figure du gangster est magnifiée par la presse et de nombreux spectateurs la perçoivent comme une alternative possible à leur vie terne et miséreuse. Certes, les metteurs en scène prennent en général grand soin de décrire les gangsters comme des psychopathes : ainsi E.G. Robinson dans Little Cesar (1930) de Mervyn LeRoy ou James Cagney qui écrase un demi-pamplemousse sur le visage de sa compagne dans L'ennemi public (1931) de William Wellman mais leur intelligence et leur débrouillardise passent tranquillement au travers des mailles de la censure.

Ascension et chute d'un caïd

Et c'est bien à une telle épopée que nous convie Howard Hawks. Quoi qu'en dise Jacques Lourcelles, Scarface décrit bien, dans les neuf dixièmes de son récit, l'ascencion d'un caïd aussi décidé et téméraire que dépourvu de scrupules. Paul Muni, cherchant dans ses patrons successifs les signes de l'accession au raffinement social, fait souvent pensé à Henry Fonda dans Il était une fois dans l'ouest.

Rien d'étonnant donc que Scarface, dont le personnage principal est calqué sur Al Capone, ait eu beaucoup d'ennuis avec la censure. Hawks dû concevoir trois fins. La première, interdite, montrait Scarface abattu par une bande rivale (fin réaliste et moderne mais qui avait l'inconvénient de montrer l'impuissance de la police). Hawks dû même rajouter les scènes où le commissaire compare les gangsters à des rats et celle où le directeur de l'Ivening Record indique aux représentants du gouvernement des méthodes pour combattre le gangstérisme. La deuxième, où Scarface après avoir supplié les policiers de lui donner une chance puis, essayant de fuir, est abattu comme un chien sur le trottoir, est celle que nous connaissons. Dans la troisième, distribuée dans certains pays comme le Brésil, Scarface est jugé par un tribunal où il est qualifié de honte de la nation, expression qui servit d'abord de sous titre au film avant d'être abandonnée. Il est ensuite traîné à la potence.

Hawks a souvent souligné que son scénariste Ben Hecht et lui-même avaient pris les Borgia comme référence pour dépeindre le héros, en particulier sa jalousie incestueuse vis à vis de sa sœur. Cette référence historique ne confère au récit une dimension tragique qu'à la toute fin du film, après le retour de Californie et l'éloigne de tout sentimentalisme ou lyrisme qui s'exprimeront bientôt quand les gangsters apparaîtront aux yeux de tous comme des perdants destinés à toujours être pourchassés par la police ou des gangsters plus gros qu'eux (Les fantastiques années 20 (1939) ou L'enfer est à lui (1949) de Walsh jusqu'à Scarface de De Palma (1983), Les Affranchis (1990) de Scorsese ou Le Parrain 3 (1990) de Coppola.

Même dans un film où les scènes d'action prennent une place majeure, Hawks reste fidèle au mélange des tons, (sérieux/comique, action/pause, drame personnel/drame social) qui reste la marque élégante et aristocratique de toutes ses œuvres. Le film est souvent assez drôle notamment grâce au personnage d'Angelo que Scarface se choisit comme secrétaire. Handicapé par son analphabétisme, celui-ci se présente comme le "sectaire" de Scarface, est incapable de se servir d'un téléphone (il ira presque jusqu'à tirer sur l'appareil puis, prenant son métier à cœur, restera indifférent aux balles qui sifflent autour de lui pour tenter de comprendre qui lui parle) et sera désespéré de devoir rester regarder une pièce de théâtre pour la raconter à son patron soudain pris par de goûts bourgeois… mais appelé pour un meurtre urgent. Le film inclut même des pauses sentimentales, entre Scarface et Poppy ou Cesca et Rinaldo.

Trois plans-séquences d'anthologie

Mais le film demeure exceptionnel par la mise en scène des déchaînements de violence. Le premier plan du film est l'un des plus fabuleux plan-séquences de l'histoire du cinéma. Amorcé sur un lampadaire et poursuivi sur la droite par le départ d'un livreur au petit matin avec le patron du speak-easy qui rentre son enseigne puis (la caméra ayant traversée un mur de décors) balaie les cotillons de la fête pour trouver un soutien-gorge oublié. La caméra décadre ensuite vers la droite pour saisir la conversation entre Big Louis et ses deux acolytes qui ne tardent pas à s'en aller. Big louis se dirige alors vers la cabine téléphonique alors que dans le fond du champ on voit une silhouette ouvrir une porte, la caméra décadre à nouveau vers la droite pour saisir en plan moyen l'ombre chinoise qui passe derrière un paravent et que l'on voit armer son tir contre big Louis, rebroussant dorénavant son chemin vers la gauche, la caméra cadre Big Louis, abattu à terre, découvert par le gérant du café qui s'enfuit vers la gauche. Au total le plan séquence a duré 3minutes 10.

Filmé aussi en un unique plan d'anthologie le massacre de la saint Valentin dans un garage. Le plan commence sur la charpente en bois du garage faites de croisillons dont le motif est utilisé pour le générique avant de descendre sur le mur où sont vus, en ombre chinoise, sept gangsters alignés par de faux policiers entendus off. Toujours dans le même plan en ombre chinoise, les gangsters lèvent les bras puis sont abattus avant que la caméra ne remonte vers les croisillons du garage et que l'on entende, off, les aboiements d'un chien.

Un seul plan aussi pour la mort de Gaffney abattu par deux rafales de mitraillette dans un bowling. Sur la première rafale, entendue off, Gaffney amorce sa chute et laisse échapper la boule que l'on suit jusqu'à la quille qu'elle fauche avant de tomber au moment ou l'on entend off la seconde rafale de mitraillette.

Au titre des plans symboliques, on retiendra aussi, le calendrier qui s'effeuille sur une mitraillette en action pour marquer le déroulement de la guerre des gangs ou le plan sur l'enseigne publicitaire "The world is yours" que Scarface peut contempler depuis son appartement.

Rinaldo lançant une pièce est aussi l'un des plus fameux gimmicks de cinéma. Wilder s'en souviendra dans Certains l'aiment chaud, décalque burlesque de Scarface, quand George Raft, qui joue cette fois le caïd, reprend au vol la pièce avec laquelle joue un gangster en lui demandant "Où as-tu appris à faire ça ?".

 

Bibliographie : Dictionnaire du Cinéma de Jacques Lourcelles.