Les affranchis

New York 1970, les gangsters Henry Hill, James Conway et Tommy De Vito entendent des bruits sourds dans le coffre de leur voiture. Ayant arrêté la voiture au coin d'un bois, ils ont la mauvaise surprise de découvrir  que l'homme qu'ils croyaient mort dans le coffre vit toujours.  Tommy l'achève à coups de couteaux et James de plusieurs balles. "Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours voulu être gangster..." déclare alors Henry. Générique.

Il se souvient, Brooklyn en 1955. Il a quinze ans : "Pour moi, être gangster, c'était mieux que d'être président des Etats-Unis se souvient-il. C'était être quelque dans un quartier où les gens n'étaient rien". Paul Cicero dit Paulie était le patron du quartier, il tenait la pizza en face de chez lui et "protégeait" les gens qui ne pouvaient s'adresser à la police. Il était la police des affranchis. Au début, son père, irlandais et sa mère, italienne de la même région de Sicile que Paulie surtout, avec leur cinq enfants, appréciait qu'il ait un petit boulot..

Le jeune Henry était fier de garer les Cadillac des gangsters et de faire leurs courses. Mais avec ce boulot  à plein temps, il délaisse l'école. Il reçoit une raclée lorsque son père reçoit une lettre de l'école et découvre le pot aux roses. Mais la famille mafieuse convainc par la menace le postier de ne plus distribuer les lettres de l'école informant ses parents de l'absence d'Henry en cours. Henry rencontre Jimmy Conway, le roi du vol de camions qui l'éblouit.

Les petits trafics, vols et recels pour Jimmy le conduisent une première fois en prison. Il est alors adoubé par la bande et Jimmy qui lui donne ces deux conseils indispensables : "Ne jamais balancer les copains et toujours fermer son clapet".

Aéroport d'Idlewild 1963. Henry à 23 ans. Les vols se font à grande échelle : les gangsters y choisissent presque librement les cargaisons à voler. Henry coordonne le vol d'Air France, un demi-million en liquide. Tommy est de plus en plus incontrôlable. Lorsque Sonny lui réclame les 7000 dollars qu'il lui doit dans son restaurant, Tommy lui éclate une bouteille sur le crâne. Sonny qui craint alors pour sa vie veut s'associer à Paulie. Son restaurant sert alors de porte d'entrée et de sortie à des facturations de toutes sortes. Il est  ruiné et son restaurant incendié pour toucher l'assurance.

Tommy veut sortir avec Diane une jeune juive, il contraint Henry à sortir avec sa copine, Karen, qui le laisse d'abord indifférent avant que son caractère révolté ne le séduise. Il l'emmène au Copacabana et l'éblouit par les privilèges dont il bénéficie. Le vol des sacs de billets d'Air-France se passe sans anicroche. C'est de nouveau la fête au Copacabana.

Henry travaille toujours avec Jimmy notamment pour convaincre Morrie qui refuse de payer une avance pour une publicité. Menacé, gentiment, il accepte finalement. Un jour, Karen est importunée par un ancien petit ami. Henry lui casse la gueule et Karen comprend qui il est mais en est d'autant plus séduite. C'est le mariage merveilleux avec la famille maffieuse. En revanche, la  famille juive de Karen prend mal ses rentrées tardives. Karen trouve les mœurs des femmes de gangsters, mal fagotées, bizarres mais s'habitue à cet entre-soi douillet. Les vols se poursuivent et les enfants grandissent

Tommy, avec l'aide de Jimmy, tabasse et tue Billy Batts , un caïd qui se moquait de Tommy en le raillant et en le traitant de "cireur de chaussures", un métier que Tommy fit quand il était jeune. Batts, en tant que caïd, était intouchable ; il ne pouvait pas être attaqué sans l'accord des autres membres de la « famille ». Se rendant compte que ce meurtre peut entraîner leur mort à tous les trois, Henry, Jimmy et Tommy mettent Batts, tout ensanglanté, dans le coffre de la voiture d'Henry. Ils font une pause diner chez la mère de Tommy où ils expliquent avoir percuté un daim. Ils se décident à aller l'enterrer dans un endroit désolé hors de la ville.. Nous sommes ainsi en 1970.

Six mois plus tard, ils doivent déterrer et changer d'endroit le cadavre craignant qu'il soit découvert avec un nouveau projet immobilier à cet endroit. Henry entretient une relation extraconjugale et a pour maitresse Janice Rossi. Tommy dans un coup de folie tue le jeune Spider qui s'était verbalement opposé à lui. Quand Karen apprend la relation extraconjugale de son mari, elle menace de le tuer avec un revolver, mais il parvient à lui faire entendre raison in extremis. Cependant elle fait scandale et Paulie conseille à Henry de revenir sagement au domicile conjugal. Il l'envoie auparavant avec Jimmy chercher l'argent d'un joueur de pari en Floride. Pour l'intimider et récolter l'argent, Henry et Jimmy le suspendent au-dessus d'une cage à lion dans un zoo. Henry et Jimmy finiront néanmoins en prison, la sœur du parieur étant, par pur hasard, une secrétaire du FBI.

En prison, Henry retrouve Paulie, qui y purge six mois pour fraude fiscale, et fait secrètement du trafic de médicaments pour subvenir aux besoins de sa famille. Sorti en 1978, Henry et la bande de Paulie commettent le vol de la Lufthansa, volant près de 6 millions de dollars. Pendant ce temps Henry s'implique de plus en plus dans le trafic de drogue, et, du fait de son succès, prend comme associés Jimmy Conway et Tommy, malgré le fait que Paulie ait interdit à quiconque de tremper dans ce genre de commerce.

Les choses commencent à mal tourner quand la bande se met à acheter des choses extravagantes avec l'argent du vol de la Lufthansa, ne suivant pas le conseil de Jimmy qui avait pourtant dit de ne pas attirer l'attention sur eux. Jimmy Conway fait assassiner petit à petit tous les membres de l'équipe ayant participé au vol de la Lufthansa dont Morrie, Carbone et Frenchy, de peur de se faire prendre par la police et résolu à garder tout l'argent pour lui. Il exclut toutefois Henry de ces exécutions en série. Henry et Jimmy se félicitent que Tommy soit nommé caïd. Mais ce n'était qu'une nomination ironique : Tommy se fait tuer par Teddy, le frère de Paulie et Vinnie, après qu'ils eurent découvert que Tommy était impliqué dans le meurtre de Batts.

En 1980, Henry est l'un des seuls survivants de la bande de Paulie, il s'apprête à faire un gros coup avec ses associés de Pittsburgh. Mais sa forte dépendance à la cocaïne et le manque de sommeil lui causent des problèmes et il se fait prendre par les agents des narcotiques. De retour chez lui à sa sortie de prison, Karen informe Henry qu'elle a vidé l'équivalent de 60 000 $ de cocaïne dans les toilettes juste avant que les agents ne fouillent leur domicile. Ce qui devait être la roue de secours de Henry le met, lui et sa famille, sans le sou.

Paulie se sent trahi par Henry et ne croit plus en sa loyauté. Il donne à celui-ci les 3 200 $ qu'il a en poche pour ne plus jamais avoir à faire avec lui. Soupçonnant Jimmy de vouloir le tuer, Henry accepte de faire partie du programme fédéral des États-Unis pour la protection des témoins, le FBI le protégeant ainsi lui et sa famille. Finalement, Henry, séparé par la force des choses de ses liens avec la mafia, est alors forcé de vivre une vie normale d'un homme ordinaire (une vie de « plouc », comme il dit, où il attend, ou rien ne se passe), chose dont il s'était moqué et avait échappé durant toute sa vie de gangster.

Des cartons donnent des explications sur les différents personnages, Henry est "clean" depuis 1987 mais s'est séparé de Karen. Paul Cicero est mort en prison d'une maladie respiratoire en 1988. Jimmy Conway purge une peine de 20 ans de prison à New York.

Dans ce film de gangsters, Scorsese retrouve la joie et l'énergie de la description du crime qui a fondé le genre lors des années de crise aux Etats-Unis : l'espoir de sortir de la crise, ici d'une vie de plouc, était fournie au spectateur par ces films de gangsters.

Goodfellas est inspiré d'un récit véridique de Nicholas Pileggi qui "toujours voulu être gangster". Scorsese axe sa narration autour de quatre affranchis. Paul Cicero, le parrain mutique à l'ancienne, réunit ses troupes autour de la pasta et tient avant tout à la tranquillité du milieu. Le nerveux Jimmy Conway peut décimer sa bande au grand complet pour ne pas partager un butin. Henry, qui veut la vie facile, sera le premier à toucher à la drogue et à tomber. Tommy, le détraqué est incontrôlable au point de devenir dangereux pour l'organisation.

Dans la première partie, ce sont les images arrêtées qui exaltent les moments typiques de la jouissance du gangstérisme : lorsque Jimmy rabat violemment le coffre et déclare "J'ai toujours voulu être gangster" alors que se déchaîne une musique de jazz. Suivent l'image arrêtée sur la raclée du père alors que Jimmy déclare qu'il n'en a rien à faire, celle du postier terrorisé, l'explosion d'une voiture et la biographie express de Conway.

Pour l'adolescence, c'est le procédé du plan long à la steadycam qui fait partager l'exaltation d'un monde ou tout semble aller de soi dans une facilité déconcertante. L'entrée au restaurant de Sonny puis au Copacabana donnent l'impression à Henry de se retrouver dans un monde spécial, de planer au dessus du vulgaire qui n'a rien ; lui ne fait pas la queue et se voit dresser une table spéciale face à l'orchestre.

Troisième moment du film, le passage à l'âge adulte avec la figure du cercle lors du mariage avec le défilé des cousins donnant les enveloppes de billets et la valse du couple loin des tracas. Tout pareillement en 1970, le diner paisible chez la mère de Tommy alors que Batts agonise dans le coffre.

Ce sont les morts qui s'accumulent qui sonnent le glas d'une époque "merveilleuse" : Batts, Spider puis les meurtres de Jimmy (Morrie au pic à glace, Carbone dans la chambre froide et Frenchy avec sa femme dans sa Cadillac rose) alors que la longue journée de l'arrestation, scandée par le défilement des heures et la ronde de l'hélicoptère, marque l'épuisement du "modèle". Le monde corrompu des truands a conduit à la paranoïa. A l'adoration de l'argent succède la nécessité de sauver sa peau, y compris en trahissant le clan. C'est la triste image du pavillon de banlieue qui sert alors de prison à Henry.

Jean-Luc Lacuve le 25/10/2015