Il est de bon ton de mépriser le traitement de la psychanalyse par Hollywood en général et par Hitchcock en particulier. C'est oublier un peu vite que l'école américaine de psychanalyse a profité rapidement des enseignements de Freud et qu'elle est très en vogue parmi les intellectuels. C'est Hitchcock qui va le premier réaliser le premier grand film non pas "sur" la psychanalyse que "de" psychanalyse. Dans La maison du Dr Edwardes, le patient souffre d'un traumatisme inconscient qu'il va s'agir d'élucider. A la suite de ce premier film où le psychanalyste remplace le détective vont fleurir nombre de chefs-d'oeuvre hollywoodiens (Partie1).
Assez classiquement, c'est par la figure du psychanalyste au travail qu'avait été introduite la psychanalyse au cinéma. Dans Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1919), le psychiatre assassin incarne le mal engendré par le pouvoir absolu. La figure du psychiatre va ensuite se complexifier pour le meilleur ou pour le pire (Partie 2).
Durant les années 70, l'institution psychiatrique focalise le mécontentement avec ses traitements inhumains (Partie 3). Cette normalisation forcenée n'empêche en tous les cas pas (et c'est heureux !) de nombreux névrosés d'agir dans le cinéma (Partie 4) alors que le travail de l'inconscient chez tout à chacun se visualise dorénavant sans nécessaire explication dans les films (Partie 5). Sans doute parce que le spectateur de cinéma est ému par un film au-delà de ce que son cerveau conscient est capable d'exprimer (Partie 6).
I - Les films de psychanalyse
Hitchcock déclarait à propos de La maison du Dr Edwardes (1945) "Quand je suis rentré à Hollywood, Ben Hecht a été recruté et c'était un choix heureux parce qu'il était justement très porté vers la psychanalyse (...) Je voulais tourner le premier film de psychanalyse ( .) et j'ai travaillé avec Ben Hecht qui consultait fréquemment des psychanalystes célèbres". L'analyste de Zelznick est aussi crédité comme conseiller technique.
Le traitement psychanalytique raconté dans le film est une vulgarisation assez convaincante d'une amnésie liée à un complexe de culpabilité. Pour Freud, l'amnésique n'agit pas en contradiction avec son caractère. L'être humain fuit la vérité car il a peur de souffrir mais il souffre encore plus en essayant d'oublier. Les rêves révèlent ce qu'il essaie de cacher mais ces rêves sont embrouillés comme un puzzle. Le devoir de l'analyste est d'examiner ce puzzle et d'essayer de le remettre en place afin de découvrir le message envoyé par le subconscient. La psychanalyse permet de démêler le vrai des mélanges opérés par l'esprit. Elle permet ainsi de se libérer de la culpabilité. Si "la faute n'est pas dans les étoiles mais en nous" comme l'indique la citation de Shakespeare qui ouvre le film, il est possible d'en relativiser la part. L'imprudence et le souhait inconscient du personnage ne sont que des fautes mineures face au hasard malheureux qui a tué son frère.
Elisabeth Roudinesco (dans Cinémaction n°94 , Philosophie et cinéma) écrit : "Dans tous ses films, Hitchcock met en scène une pathologie, que ce soit celle visible de grands criminels, ou celle plus classique de Marnie. Mais tous ont des pathologies fascinantes comme dans Rebecca ou Soupçons où les personnages sont troublants parce que Hitchcock a l'art de montrer l'inconscient. C'est peut-être le cinéaste le plus freudien du monde (... ). Ce qui m'intéresse avant tout dans l'art hollywoodien, ce n'est pas la psychanalyse, c'est le cinéma. Par exemple, cela ne serait pas intéressant si Hitchcock s'était contenté de montrer des relations purement analytiques. Ce qui est important, c'est que les cinéastes font d'abord des films, c'est-à-dire des fictions, et c'est pourquoi je n'aime pas beaucoup Woody Allen. Tourner Marnie me parait plus intéressant que de filmer un analyste qui analyserait Marnie. En revanche, je trouve particulièrement intelligente la manière dont Hitchcock a compris la cure analytique ( ). Ce film est l'illustration du Freud de 1895, c'est une situation typique de levée de l'amnésie infantile. Et, en plus, Hitchcock ne se trompe pas. Il n'a pas besoin de tout l'arsenal de l'hypnose pour montrer comment peut se lever une amnésie infantile. Et c'est là où il est moderne.
Après La maison du Dr Edwardes (Alfred Hitchcock, 1945), quatre autres films vont fonder le genre du film noir psychanalytique dans les années 45-49 : La double énigme (Robert Siodmak, 1946) où un psychiatre enquêteur confond une meurtrière schizophrène, Le médaillon (John Brahm, 1946), Le secret derrière la porte (Fritz Lang, 1948) et Le mystérieux docteur Korvo (Otto Preminger, 1949) où Gene Tierney, convaincue d'être une meurtrière, est innocentée par son mari psychiatre. En 1947, Raoul Walsh réalise le premier western psychanalytique avec La vallée de la peur.
Pas de printemps pour Marnie (Hitchcock, 1964), L'esprit de Caïn (De Palma, 1992), Sleepy hollow (Tim Burton, 1999), Spider (Cronenberg, 2002) Shutter Island (Martin Scorsese, 2010) seront également des films où la psychanalyse réussira à livrer les clés du traumatisme inconscient.
Principaux films de psychanalyse :
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L'amant double | François Ozon | France | 2017 |
Jimmy P. (Psychothérapie d'un indien des plaines) | Arnaud Desplechin | France | 2013 |
A dangerous method | David Cronenberg | Canada | 2011 |
Shutter Island | Martin Scorsese | U. S. A. | 2010 |
Spider | David Cronenberg | Canada | 2002 |
Sleepy hollow | Tim Burton | U.S.A. | 1999 |
L'esprit de Cain | Brian De Palma | U.S.A. | 1964 |
Pas de printemps pour Marnie | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1964 |
Soudain l'été dernier | Joseph L. Mankiewicz | U.S.A. | 1959 |
Le mystérieux docteur Korvo | Otto Preminger | U.S.A. | 1949 |
Le secret derrière la porte | Fritz Lang | U.S.A. | 1948 |
La vallée de la peur | Raoul Walsh | U.S.A. | 1947 |
Le médaillon | John Brahm | U.S.A. | 1946 |
La double énigme | Robert Siodmak | U.S.A. | 1946 |
La maison du Dr Edwardes | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1945 |
II - Le psychiatre au travail
1/ le psychanalyste efficace
Les mystères d'une âme (Georg Wilhelm Pabst, 1926) est le premier film à tenter d'illustrer les théories de Freud sur l'inconscient, toute la seconde partie du film est consacrée à l'interprétation d'un rêve-cauchemar de dix minutes. Deux pionniers de l'analyse, les docteurs Karl Abraham et Hanns Sachs ont collaboré au scénario, inspiré de faits réels comme l'indiquent les deux cartons du début :
En chaque être sommeillent des désirs et des passions que la "conscience" ignore. Aux heures sombres de conflits psychiques, ces pulsions inconscientes tentent de s'imposer. Pareilles luttes donnent naissance à d'énigmatiques troubles que la psychanalyse s'attache à élucider et à guérir.
Entre les mains des médecins dotés d'une "formation psychanalytique", les théories du professeur Sigmund Freud constituent un important progrès en vue du traitement de pareils troubles psychiques. Ce film s'inspire de faits réels. Il ne présente aucune digression majeure quant à l'histoire de la maladie.
Dans Angoisse (1945), Jacques Tourneur met en scène un psychanalyste qui se révèle être le contraire du personnage inquiétant et séducteur de La féline (1942). Hunt est psychiatre bien que ce ne soit jamais explicité dans le film où il est toujours qualifié de docteur. Il est à la fois théoricien, il a écrit un article sur "le complexe napoléonien" ; et praticien, il reçoit Nick dans son cabinet où sont disposés deux fauteuils et, peut être, un divan. Mais c'est surtout dans sa pratique que Hunt se révèle expert. Il évalue correctement la folie de Nick tentant de lui faire admettre que chacun garde des tigres sous son lit qu'il doit apprivoiser mais devient conscient que l'absence d'amour et même la haine qui a entouré sa naissance lui ont irrémédiablement fait prendre la vie comme un éternel combat.
Dans La fosse aux serpents (Anatol Litvak, 1948), le docteur Kik utilise des électrochocs et des substances narcotiques pour délivrer sa patiente de son complexe de culpabilité. C'est toutefois la confrontation avec de vraies folles qui sauve Virginia.
Dans les années soixante, le psychiatre joué par Montgomery Clift dans Soudain l'été dernier (Joseph L. Mankiewicz, 1959) est encore un personnage charismatique et efficace qui sauve l'héroïne, alors que la pièce de théâtre de Tennessee Williams est beaucoup plus pessimiste.
Freud, passions secrètes (John Huston, 1961) est le seul biopic sur le personnage. Huston traque Freud dans sa recherche de ce qui se cache dans les âmes. Celui-ci confirme l'hypothèse de l'inconscient et mène à bien ses travaux sur le refoulement, le complexe d'Oedipe et la cure psychanalytique.
Les mots pour le dire (José Pinheiro, 1983), adapté du roman de Marie Cardinal, fait un descriptif quasiment clinique d'une psychanalyse réussie.
Dans Le septième ciel (Benoît Jacquot, 1997), l'hypnose est à l'honneur. La cure d'une cliente passive est comme un tour de magie réussi, alors que la démarche volontariste de son mari est un échec.
Dans La chambre du fils (2001) Moretti met en scène un psychiatre qui doit trouver les ressources pour échapper au traumatisme de la mort de son fils.
Dans Princesse Marie (2003), Benoit Jacquot montre le travail analytique de Freud et de Marie Bonaparte
2/ Psychanalystes en échec
Dans Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1919) Le psychiatre assassin du film incarne le mal engendré par le pouvoir absolu. Dès 1938, Hollywood se moque des psychanalystes avec Amanda (Mark Sandrich) où Fred Astaire tente vainement d'hypnotiser sa cliente (Ginger Rogers) qui sait parfaitement qu'elle l'aime alors que lui refuse de l'admettre car c'est la fiancée de son meilleur ami.
Woody Allen, d'abord ardant promoteur de la psychanalyse, ne se fera pas non plus faute de la moquer. Dans Annie Hall (1977), Alvy initie Annie à la culture et à la psychanalyse. L'une comme l'autre, dans la logique masochiste qui est celle du cinéaste, détourneront Annie d'Alvy. Jusqu'à Une autre femme (1988), la psychanalyse reste le de catalyseur à l'introspection nécessaire à chacun pour changer de vie et se libérer des contraintes du passé. A partir du Complot d'Oedipe (épisode de New York stories, 1989), ce rôle est attribué à la magie.
Mafia blues (Harold Ramis, 1998) sera ensuite, sur fond de parodie de films de gangsters, une des rares comédies américaines mettant en scène un psychanalyste.
Les satires françaises sont plus convenues. Psy (Philippe de Broca, 1980), adaptation d'une bande dessinée de Gérard Lauzier s'attaque au charlatanisme autour de l'analyse psychique. La satire s'exerce sur la psychothérapie de groupe, en vogue à l'époque. Passage à l'acte (Francis Girod, 1995); On assiste ici au transfert de la pathologie d'un fou sur la personnalité de son psychanalyste. Celui-ci finit par prendre la place de son patient. Dans Un divan à New York (Chantal Akerman, 1995), le métier de psychanalyste est ironiquement remis en cause dans cette comédie où les clients sont mieux soignés grâce à la bonne humeur d'une danseuse que par l'expérience du psychanalyste dépressif.
3 / Résoudre les noeuds psychologiques
Des gens comme les autres (Robert Redford, 1980) présente un
psychologue intelligent et chaleureux. Ce personnage si cher aux Américains
semble être à nouveau le seul recours pour aider un adolescent.
On retrouve un psychologue dans Will
Hunting (Gus Van Sant, 1997) dont l'originalité réside dans
la remise en question du médecin lui-même par la cure. Dans Le
sixième sens (M. Night Shyamalan, 1998), l'enfant et le psychologue
s'entraident, chacun étant le thérapeute de l'autre.
Le psychanalyste au cinéma :
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Nightmare alley | Guillermo Del Toro | U.S.A. | 2021 |
En thérapie | O. Nakache, E. Toledano | France | 2021 |
L'amant double | François Ozon | France | 2017 |
Jimmy P. (Psychothérapie d'un indien des plaines) | Arnaud Desplechin | France | 2013 |
Effets secondaires | Steven Soderbergh | U.S.A. | 2013 |
A dangerous method | David Cronenberg | Canada | 2011 |
Shutter Island | Martin Scorsese | U. S. A. | 2010 |
Princesse Marie | Benoît Jacquot | France | 2003 |
La chambre du fils | Nanni Moretti | Italie | 2001 |
Will Hunting | Gus Van Sant | U.S.A. | 1997 |
Le septième ciel | Benoît Jacquot | France | 1997 |
Les mots pour le dire | Jose Pinheiro | France | 1983 |
Chromosome 3 | David Cronenberg | Canada | 1979 |
Vertiges | Mauro Bolognini | Italie | 1975 |
Freud, passions secrètes | John Huston | U.S.A. | 1961 |
Soudain l'été dernier | Joseph L. Mankiewicz | U.S.A. | 1959 |
La toile d'araignée | Vincente Minnelli | U.S.A. | 1955 |
Le mystérieux docteur Korvo | Otto Preminger | U.S.A. | 1949 |
La fosse aux serpents | Anatol Litvak | U.S.A. | 1948 |
Le médaillon | John Brahm | U.S.A. | 1946 |
La maison du Dr Edwardes | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1945 |
Angoisse | Jacques Tourneur | U.S.A. | 1945 |
La féline | Jacques Tourneur | U.S.A. | 1942 |
Amanda | Mark Sandrich | U.S.A. | 1938 |
Les mystères d'une âme | Georg Wilhelm Pabst | Autriche | 1926 |
Le cabinet du docteur Caligari | Robert Wiene | Allemagne | 1919 |
III - L'institution psychiatrique
Bedlam (Mark Robson, 1946) dont l'esthétique s'inspire de de la gravure de Hogarth du même nom consacré à l'hôpital sainte Mary de Nazareth de Londres, montre la situation désastreuse dans laquelle les fous (et les non-fous) sont enfermés à la fin du XVIII siècle. Dans La fosse aux serpents (Anatol Litvak, 1948) l'asile psychiatrique est montré sous ses plus terribles aspects même si Virginia trouve la voie de la guérison grâce à son psychanalyste. La tête contre les murs (Gorges Franju, 1959), Shock corridor (Samuel Fuller, 1963), Family life (Ken Loach, 1972), Vol au-dessus d'un nid de coucou (Milos Forman, 1975) vont ensuite attaquer l'institution psychiatrique. Equus (Sidney Lumet, 1977) remet en question l'école psychanalytique américaine dont le but est de guérir à tout prix. Le psychanalyste veut s'orienter vers plus de compréhension et moins de normalisation.
Dans Un ange à ma table (Jane Campion, 1990) l'auteure néo-zélandaise Janet Frame suite à une dépression et une tentative de suicide à l'aspirine est internée dans un l'hôpital psychiatrique où est diagnostiqué une schizophrénie. Janet est internée pendant 8 ans au cours desquels elle subit 200 électro-chocs. C'est grâce à un prix littéraire récompensant son premier recueil de nouvelles qu'elle échappe à la lobotomie. Dans Tarnation (2004) Jonathan Caouette décrit le calvaire de sa mère, internée dans différents asiles, subissant des électrochocs qui finissent par la rendre réellement folle. Carole dans La frontière de l'aube (Philippe Garrel, 2008) subit aussi des électrochocs qui la conduisent aux portes de la folie. Dans Walk away Renée (2012), Jonathan Caouette montre à quel point l'institution psychiatrique, si elle est soumise à des soucis de rentabilité et d'évitement des risques juridiques, n'a aucune chance de pouvoir répondre à un traitement humain de la maladie.
Le moindre geste (Fernand Deligny, 1971), La moindre des choses (Nicolas Philibert, 1996), A ciel ouvert (Mariana Otero, 2014) ont su capter la personnalité des êtres psychotiques confiés à des institutions hors normes.
Asiles, hôpitaux et institutions psychiatriques au cinéma :
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Sur L'Adamant | Nicolas Philibert | France | 2022 |
Manuel de libération | Alexander Kuznetsov | Russie | 2016 |
A la folie | Wang Bing | Chine | 2013 |
A ciel ouvert | Mariana Otero | France | 2014 |
Camille Claudel | Bruno Dumont | France | 2013 |
Walk away Renée | Jonathan Caouette | U. S. A. | 2012 |
Shutter Island | Martin Scorsese | U. S. A. | 2010 |
La frontière de l'aube | Philippe Garrel | France | 2008 |
Tarnation | Jonathan Caouette | U. S. A. | 2004 |
La moindre des choses | Nicolas Philibert | France | 1996 |
Un ange à ma table | Jane Campion | Australie | 1990 |
San Clemente | Raymond Depardon | France | 1980 |
Equus | Sidney Lumet | U.S.A. | 1977 |
Vol au-dessus d'un nid de coucou | Milos Forman | U.S.A. | 1975 |
Family life | Ken Loach | G-B | 1972 |
Le moindre geste | Fernand Deligny | France | 1971 |
Shock corridor | Samuel Fuller | U.S.A. | 1963 |
La tête contre les murs | Gorges Franju | France | 1959 |
Soudain l'été dernier | Joseph L. Mankiewicz | U.S.A. | 1959 |
La fosse aux serpents | Anatol Litvak | U.S.A. | 1948 |
Bedlam | Mark Robson | U.S.A. | 1946 |
Le cabinet du docteur Caligari | Robert Wiene | Allemagne | 1919 |
IV - Les névrosés sont parmi nous
Le comportement névrotique dû à un traumatisme sans que le patient ne cherche de guérison est présent dans les films de gangsters. Ainsi pour Scarface, Hawks a souvent souligné que son scénariste Ben Hecht et lui-même avaient pris les Borgia comme référence pour dépeindre le héros, en particulier sa jalousie incestueuse vis à vis de sa sur. La névrose de Cody dans L'enfer est à lui s'explique par la peur de la folie qui avait saisi son père et son frère, surcompensée par un attachement mère-fils reposant sur l'affirmation d'une réussite par le crime avec cette formule emblématique "Plus haut que tout" qui guide Cody au-delà de toute raison, lui fait supporter plusieurs balles sans immédiatement mourir, et jouir de sa disparition dans une explosion finale au sommet de l'usine chimique.
Au sein des films noirs psychanalytiques, on retiendra aussi L'autre (Mulligan, 1972), Soeurs de sang (De Palma, 1973), Obsession (De Palma, 1976), Pulsions (De Palma, 1980), L'esprit de Caïn (De Palma, 1992)
Les serial killer de M. le maudit (Lang, 1931) à Sweeney Todd (Tim Burton 2007) forment également une grande catégorie de psychopathes.
L'attachement exclusif à la mère est aussi à l'origine de la névrose de Psychose et dans une moindre mesure de Marnie et Citizen Kane.
Elle atteint son point culminant avec Spider de Cronenberg qui décrit un schizophrène qui n'a jamais supporté la sexualité de sa mère. La schizophrénie (du grec "schizo" signifiant fractionnement et "phrèn" désignant lesprit) est une coupure de l'esprit, pas au sens d'une "double personnalité" comme on l'entend parfois, mais au sens d'une perte de contact avec la réalité, d'un conflit entre le Moi et la réalité. C'est une pathologie psychiatrique généralement chronique, qui survient plutôt à l'adolescence ou au début de l'âge adulte. La schizophrénie est une psychose, qui se manifeste par des signes de dissociation mentale, de discordance affective et d'activité délirante, ce qui a pour conséquences une altération de la perception de soi-même, des troubles cognitifs, et des dysfonctionnements sociaux et comportementaux allant jusqu'au repli autistique.
Les troubles cognitifs sont souvent les premiers symptômes qui apparaissent chez le schizophrène. On les appelle aussi symptômes annonciateurs. Ce sont ces troubles qui entraînent les difficultés de socialisation chez une personne atteinte. On relève ainsi des troubles dattention, de concentration, manque de tolérance à leffort : le schizophrène prend du temps à répondre aux questions, à réagir aux situations demandant une réponse rapide ; il nest plus capable de suivre ses cours, de se concentrer sur un film. On relève des troubles de mémoire : le schizophrène oublie de faire des tâches de la vie quotidienne (faire ses devoirs, aller à ses rendez-vous), a de la difficulté à raconter ce quil lit, à se rappeler ce que les autres disent ou à suivre une conversation. Sa mémoire autobiographique est affectée : il oublie plusieurs moments de son histoire personnelle. Sa mémoire de travail fonctionne plus difficilement : il est incapable d'effectuer plusieurs tâches en même temps en se souvenant où il en est dans chacune delles
Les symptômes aigus commencent avec les hallucinations : ce sont des perturbations des perceptions le plus souvent auditives (le schizophrène entend une voix qui fait des commentaires ou profère des insultes, des menaces), mais parfois aussi visuelles, olfactives ou tactiles. S'y ajoutent les délires, erreurs de jugement logique. Le schizophrène simagine que la personne qui le regarde dans lautobus ou qui le croise dans la rue est là pour lespionner ; il se sent surveillé, persécuté, en danger ou croit que la télévision lui envoie des messages ; il est convaincu davoir le pouvoir dinfluencer les évènements dans le monde, quil est contrôlé par une force ou quon peut lire dans ses pensées. Le schizophrène peut dire des phrases sans suite ou incompréhensibles et inventer des mots.
L'inceste, souvent abordé au cinéma, ne génère pas toujours des comportements névrotiques ainsi dans Festen (Thomas Vinterberg, 1998) ou Volver (Almodovar, 2006). Il est cependant à l'origine des comportements psychotiques dans Répulsion (Polanski, 1961) ou Twin peaks (David Lynch) ou Le Ruban blanc (Michael Haneke, 2009)
Jacques Lacan utilisa El (Bunuel, 1952) dans un de ses cours à l'hôpital Sainte-Anne, pour illustrer l'étude d'un cas de paranoïa à partir des signes décrits par Buñuel : l'hypertrophie de l'orgueil, l'obsession de la justice, la jalousie démesurée et la fameuse marche en S qui clôt le film. La jalousie est à l'origine de la paranoïa de L'enfer de Clouzot et de L'enfer de Claude Chabrol en 1994 ou Lost highway (David Lynch, 1996).
La névrose peut être d'origine sociale. Ainsi l'aphasie qui saisit Elisabeth Vogler dans Persona (Ingmar Bergman, 1966) lors d'une représentation de Phèdre alors qu'elle vient de voir un bonze s'immoler par le feu à la télévision. Ainsi la profession de diplomate du mari de Karin dans Cris et chuchotements (Bergman, 1972) qui lui fait haïr cette vie pleine de mensonges au point de s'implanter un morceau de verre dans le vagin. Ainsi dans Blue Velvet (David Lynch, 1986), les apparences trop lisses d'une petite ville américaine qui dissimulent des abîmes de monstruosité : un travelling inaugural, sorte de condensé de l'uvre du réalisateur, nous fait passer de la surface d'une pelouse fraîchement tondue à un grouillement d'insectes répugnants. Dans Black swan (Aronofsky, 2010), Nina surinvestit dans le contrôle de soi, la perfection technique des gestes et des rythmes au détriment des influences de la vie extérieure. Elle a ainsi développé une névrose où plus rien n'existe en dehors de ce besoin de perfection qu'elle s'est imposée. Le fait d'être exposée soudain en pleine lumière déclenche une paranoïa justifiée par la crainte de se faire voler sa place. L'exigence d'un double rôle l'oblige à sortir d'elle-même ce qui est totalement incompatible avec son narcissisme technique sauf à se plier à la réalité concrète de son rôle et provoquer une schizophrénie fatale.
Névroses et psychoses familiales ou sociales
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L'amant double | François Ozon | France | 2017 |
A perdre la raison | Joachim Lafosse | Belgique | 2012 |
Black swan | Darren Aronofsky | U. S. A. | 2010 |
Shutter Island | Martin Scorsese | U. S. A. | 2010 |
Keane | Lodge H. kerrigan | U. S. A. | 2004 |
Tarnation | Jonathan Caouette | U. S. A. | 2004 |
Spider | David Cronenberg | Canada | 2002 |
Harry, un ami qui vous veut du bien | Dominik Moll | France | 2000 |
Will Hunting | Gus Van Sant | U.S.A. | 1997 |
Le septième ciel | Benoît Jacquot | France | 1997 |
Le syndrome de Stendhal | Dario Argento | Italie | 1996 |
Lost highway | David Lynch | U.S.A. | 1996 |
L'enfer | Claude Chabrol | France | 1994 |
L'esprit de Caïn | Brian de Palma | U.S.A. | 1992 |
Le silence des agneaux | Jonathan Demme | U.S.A. | 1991 |
Pulsions | Brian de Palma | U.S.A. | 1980 |
Shining | Stanley Kubrick | U.S.A. | 1976 |
Obsession | Brian de Palma | U.S.A. | 1976 |
Taxi driver | Martin Scorsese | U.S.A. | 1974 |
Soeurs de sang | Brian de Palma | U.S.A. | 1973 |
L'autre | Robert Mulligan | U.S.A. | 1972 |
Cris et chuchotements | Ingmar Bergman | Suède | 1972 |
Family life | Ken Loach | G-B | 1972 |
Une hache pour la lune de miel | Mario Bava | Italie | 1970 |
L'étrangleur de Boston | Richard Fleischer | U.S.A. | 1968 |
Persona | Ingmar Bergman | Suède | 1967 |
Belle de jour | Luis Bunuel | France | 1966 |
Pas de printemps pour Marnie | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1964 |
A travers le miroir | Ingmar Bergman | Suède | 1961 |
Répulsion | Roman Polanski | France | 1961 |
Psychose | Alfred Hitchcock | U.S.A. | 1960 |
Soudain l'été dernier | Joseph L. Mankiewicz | U.S.A. | 1959 |
Le voyeur | Michael Powell | G. - B. | 1959 |
El | Luis Bunuel | Mexique | 1952 |
L'enfer est à lui | Raoul Walsh | U.S.A. | 1949 |
Le médaillon | John Brahm | U.S.A. | 1946 |
La double énigme | Robert Siodmak | U.S.A. | 1946 |
Scarface | Howard Hawks | U.S.A. | 1932 |
M. le maudit | Fritz Lang | Allemagne | 1931 |
V - Les rêves révélateurs de nos peurs
Si dans L'âge d'or (Bunuel, 1930), l'apparition des fourmies sortant de la main avait de quoi surprendre le spectateur, les visualisations de peurs de l'inconscient sont aujourd'hui parfaitement admises. Ainsi les vers grouillants sous une pierre dans Providence (Alain Resnais, 1977), représentent la peur de la mort chez l'écrivain.
VI - La névrose cinématographique
En 1895 Sigmund Freud et Joseph Breuer publient leurs révolutionnaires Etudes sur l'hystérie et les frères Lumière mettent au point le cinématographe. La naissance de cette toute nouvelle forme d'expression donne un sens collectif à ce que Freud appelle "l'étrange familier" : les images à l'écran sont à la fois familières et un rien étranges, vivantes et inanimées, réelles et illusoires. Pour autant, le grand homme se méfie du cinéma. Il n'aime pas être filmé et estime qu'il est impossible de restituer le travail psychanalytique par le biais du médium cinématographique. Lorsque Samuel Goldwyn, l'un des pères fondateurs d'Hollywood, lui propose la somme de 100 000 dollars pour rédiger un scénario, Freud refuse catégoriquement.
A partir des années 1970, c'est au tour de la psychanalyse de s'intéresser au cinéma. Des théoriciens comme Laura Mulvey ou Christian Metz s'appuient sur l'introspection de l'inconscient pour analyser les films. D'après Metz, le sujet représenté à l'image n'est pas censé se rendre compte qu'on le regarde et, par conséquent, le spectateur se retrouve dans la situation du voyeur. La vision du film reproduit ainsi la "scène originaire" que Freud considère comme un déclencheur du conflit dipien.
Pour le psychanalyste Andrea Sabbadini, la vision d'un film se rapproche du travail psychanalytique : pendant une période donnée, le spectateur est comme retranché du monde, hors du temps réel, et projeté dans un espace imaginaire où des vies entières peuvent se dérouler en quelques dizaines de minutes. Bernardo Bertolucci, qui reconnaît que plusieurs de ses films lui ont été inspirés par sa propre psychanalyse (Le dernier tango à Paris en 1972, Le conformiste ou La stratégie de l'araignée en 1970), compare volontiers la salle de cinéma à "l'obscurité amniotique du ventre de la mère." L'expérience de la salle obscure est presque "régressive" selon Sabbadini qui ajoute que les cinéphiles, dévorant des centaines de mètres de pellicule par jour, refusent parfois d'affronter la réalité et préfèrent se réfugier dans un monde chimérique.
Jean-Luc Lacuve - texte révisé le 11/10/2011.