Le conformiste

1970

(Il conformista). D'après le roman de Moravia. Avec : Jean-Louis Trintignant (Marcello), Stefania Sandrelli (Giulia), Gastone Moschin (Manganiello), Enzo Tarascio (Professeur Quadri), Fosco Giachetti (le Colonel), Jose Quaglio (Italo). 1h43.

Marcello, jeune bourgeois romain, accepte de souscrire à l'idéologie fascite non seulement par pensée, mais par action : l'origine de cette conversion remonte à son enfance. Jeune écolier, il s'est laissé entraîner dans la chambre d'un chauffeur de maître, Lino, un psychopathe homosexuel qui lui met un revolver dans la main. L'enfant tire et s'enfuit. Se croyant meurtrier, donc anormal, Marcello s'efforce de lutter contre ses tendances morbides en devenant "comme tout le monde", c'est-à-dire, dans l'Italie des années trente, "fasciste".

Professeur de philosophie, il accepte, en 1938, une mission que lui confie le colonel, un membre éminent du régime mussolinien. Parallèlement, il mène une vie bourgeoise très conformiste, se fiance à une jolie petite oie, Giulia, l'épouse en dépit d'une lettre anonyme qui dévoile à sa belle famille que son père est un fou syphilitique. Sa mère, quant à elle, est une nymphomane droguée qui vit dans la décrépitude entre ses nombreux chiens et un chauffeur qui lui sert d'amant.

Le voyage de noces à Paris de Marcello et Giulia est une "couverture " pour sa mission politique : prendre contact, pour l'espionner, avec son ex-professeur de philosophie, Quadri, intellectuel exilé et anti-faciste notoire. En cours de route, Giulia avoue à son mari qu'elle n'est pas une douce vierge mais, depuis des années, la maîtresse d'un vieil homme qui l'a séduite à seize ans. Halte à San Remo. Marcello se rend dans un bordel pour y prendre les ordres de ses supérieurs. Il ne s'agit plus de faire parler Quadri, mais de le liquider.

A Paris, retrouvailles avec le professeur, lequel est marié à une belle femme, Anna, qui se méfie de Marcello mais qui, dans un deuxième temps, l'accueille dans son lit. Cette créature énigmatique ne s'en livre pas moins à des jeux lesbiens avec Giulia qui ne s'offense nullement. Les deux couples décident de se rendre en Savoie. Sur la route, Quadri, comme prévu, est victime d'un attentat. Anna y succombera également.

Des années ont passé. L'Italie n'est plus fasciste. Marcello erre dans les rues nocturnes de Rome et y aperçoit Lino, le chauffeur qu'il croyait avoir tué jadis. Il se rend compte, dès lors, qu'il a bien eu tort de jouer les conformistes pour échapper à son " péché".

Ce portrait d’un fasciste des années 1930 porte une vision de l'histoire tout aussi baroque que celle de Visconti avec Les damnés, réalisé l'année précédente. Ballets de tractions-avant et de gentlemen à Borsalino, cette fresque Art-déco à la beauté funèbre est stylisée dans des sanctuaires aux lignes droites à la Chirico. Bertolucci multiplie les profondeurs de champ fantastiques, cultive les éclairages expressionnistes et claustrophobiques, les décors en trompe-l’œil.

Cette adaptation d'un roman de Moravia exprime aussi la fragilité morale des pires artisans du fascisme par une honte rentrée : ici pour Marcello d'être hanté par une homosexualité refoulée et une culpabilité remontant à l’enfance. Pour refouler cet acte traumatique, Marcello s'astreint à la vie la plus conformiste possible, oubliant toute considération morale et personnelle, se laissant guider par des situations plus ou moins favorables et y perdant le sens de sa vie. Il a honte de son père, interné dans un asile, et de sa mère, vieille excentrique à gigolos. Il a épousé une bourgeoise idiote et se laisse convaincre par le régime fasciste d’assassiner son ancien prof de philo, un opposant politique réfugié à Paris.

Cette vision psychanalytique du moteur de l'histoire sera reprise par Bertolucci dans 1900.