Sleepy Hollow

1999

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D'après le roman de Washington Irving. Avec : Johnny Depp (Ichabod Crane), Christina Ricci (Katrina Van Tassel), Miranda Richardson (Lady Van Tassel), Casper Van Dien (Brom Van Brunt), Christopher Walken (Headless Horseman), Lisa Marie (Lady Crane) Martin Landau. 1h45.

1799. Ichabod Crane, un policier dont les théories de criminologie sont en avance sur leur temps, est envoyé à Sleepy Hollow, au nord de l'état de New-York, pour arrêter un serial killer qui a déjà décapité trois victimes. Ichabod tombe amoureux de Katrina Van Tassel, la fille de l'homme le plus riche de la ville, et perdra presque sa propre tête avant de mettre un terme aux assassinats, qui ont été commis par le fantôme d'un mercenaire allemand tombé durant la révolution américaine : le Cavalier sans tête.

Scène clé : Sur les ruines de la ferme d'enfance de Katrina, Ichabod retrouve les symboles qui ont hanté sa propre enfance. Alors que le spectateur s'attend à trouver sur ce lieu des indices conduisant au coupable, captateur de l'héritage, il trouve d'autres indices qui le mettent sur la trace des véritables criminels que poursuit le film, ceux de l'enfance : le mauvais père, la mauvaise mère.

Message essentiel : Sleepy Hollow est une immense psychanalyse dans laquelle, sous le bruit des sabots et des cavalcades, il faut percevoir les indices plus dérangeants d'une enfance traumatisée. Le voyage d'Ichabod est une cure psychanalytique (Sleepy Hollow : le trou endormi, propice à l'interprétation des rêves ! ) qui lui permet d'assimiler le Cavalier sans tête à son père et de le renvoyer définitivement sous terre. Katrina lui permet d'exorciser la crainte paternelle qui voyait le mal sous le masque de la vertu. Libéré de ces maléfices, Ichabod pourra entrer libre dans le monde adulte. A la fin du "Cavalier sans tête", Ichabod Crane aura trouvé femme, enfant et richesse ; la violence du choc subit le fait ainsi échapper à l'échec que connaissaient jusqu'à présent les héros de Tim Burton, tant Edward que Batman, Jack Skellington ou Ed Wood, mélancoliques profonds et dépressifs inguérissables.

Tim Burton a opéré deux transformations majeures par rapport à la nouvelle (voir rappels historiques plus bas). Il a donné une existence réelle au Cavalier sans tête qui n'est qu'un leurre dans le texte d'Irving Washington et il a inventé les personnages de la mère et du père dont le souvenir vient troubler le sommeil du héros.

Dans l'un de ces rêves figure un plan du père sans tête. L'escamotage de la tête passe presque inaperçu et se fait dans le changement de plan entre le père vu de face et le père vu de dos lorsqu'il pénètre dans la chambre de torture. Mais ce plan signifie bien qu'en élucidant son enquête, le jeune détective se confronte surtout avec le souvenir douloureux et enfoui de ses parents. En ayant censuré le souvenir de son ordure puritaine de père (les termes sont de Burton) et celui d'une mère à l'amour ambigu, Ichabod est, au début du film, un héros fragile, une silhouette costumée dans la tradition de Sherlock Holmes, un détective (mal et sur) mené par son cerveau. Il est protégé par tout un arsenal bricolé qui fonctionne plutôt mal et le couvre de sang à la moindre tentative.

Se débarrasser du souvenir du père est peut-être la tâche la plus facile ; s'il n'a plus de tête c'est d'abord parce que c'est la tête de la mère qui a pris toute la place. Lorsque le jeune Ichabod pénètre dans la chambre des supplices de son père, dont il gardera des stigmates sur la main, c'est le regard de sa mère qu'il voit dans La Vierge de Fer. Ce même regard sera celui que l'enfant de la sage-femme verra au travers des lattes du plancher lorsque le Cavalier aura décapité sa mère.

Car il faut aussi que la mère meure, du moins symboliquement. Son souvenir est certes apparemment plus serein que celui du père. Ichabod se souvient avoir dansé avec elle dans une forêt printanière et enchantée. Mais ses jeux l'inquiétaient tout autant que les signes cabalistiques qu'elle traçait devant la cheminée. Ichabod enfant partageait les doutes de son père. Et lorsqu'il est sur le point de partir de Sleepy Hollow, il fait subir à son fils de substitution le même message glacial transmis par son père : c'est sous le masque de la vertu que se cachent les pires démons.

Certes à la sortie du rêve du père à la tête coupé, Katerina est littéralement donnée à Ichabod pour lui faire oublier sa mère. Mais Il faudra toute la tendre attention de Kathrina et son petit livre bleu, pour qu'il découvre le véritable sens des signes tracés. L'amour de Katrina est alors sanctifié par la bonne mère, celle de la jeune fille qui lui avait donné ce livre de sorcellerie protectrice. La mère d'Ichabod se révéle alors, elle auss,i immédiatement protectrice. Le jeu d'optique en carton sur lequel figurent une cage et un oiseau, permet en effet à Ichabod de trouver la coupable : l'image unique de la femme sans tête à la main blessée doit être décomposée entre le corps de la servante Sarah et le geste intentionnel de la belle-mère. Par contre le mauvais père et la mauvaise mère (La belle-mère de Katrina est aussi un personnage inventé par Tim Burton) sont renvoyés aux enfers.

La neige qui tombe sur New-York est le dernier symbole du film, il renvoie aux fleurs blanches qui baignaient la mère. Mais il s'agit cette fois d'une manifestation de la pure nature qui tombe comme une bénédiction sur le couple et leur enfant adoptif. Le plan final montrant les héros de dos s'engageant dans une avenue de New-York redouble cet optimisme puisqu'il renvoie à la figure classique de la fin heureuse inaugurée par Chaplin dans "Les temps modernes".

Sleepy Hollow fonctionne ainsi tout entier comme une immense matrice noire pleine de bruits (les cris off du début notamment) et de fureur dont il faut s'évader pour atteindre à la blancheur (thématique de la neige que l'on retrouve chez Truffaut dans Tirez sur le pianiste ou la Sirène du Mississipi).

 

Rappels historiques :

"La légende de Sleepy Hollow" (1820) de Washington Irving, même si elle se fonde sur un conte germanique, est un classique de l'Americana. Cette peinture d'un communauté de fermiers hollandais vivant au bord de l'Hudson, située à l'époque de la moisson, est riche de descriptions de la générosité de la Nature dans le Nouveau Monde. La nature humaine y est également dépeinte avec douceur en la personne du citoyen le plus prospère de la ville, le gentleman farmer libéral Baltus Van Tassel, dont la jolie et coquette fille, Katrina, est courtisée par le héros comique de la nouvelle, Ichabod Crane.

L'Ichabod d'Irving est un maître d'école impécunieux, et la caricature affectueuse de ce qu'Irving aurait appelé un "Yankee", chanteur de psaumes et lecteur invétéré des livres du grand prédicateur puritain de Boston, Cotton Mather, dont il absorbe les invraisemblables superstitions, mais non la monstrueuse intolérance de chasseur de sorcières. Sa propension à prendre pour argent comptant les fables dont les colons hollandais se régalent n'a d'égal que sa gloutonnerie : malgré sa silhouette élancée, il possède "les capacités de dilatation d'un anaconda". Même si Irving nous fait clairement sentir que l'amour de son héros pour Katrina est motivé par le désir d'épouser un bon parti, il ne lui confère aucun trait franchement désagréable et prend même soin d'avertir son lecteur, lorsque Ichabod est , en apparence, mystérieusement enlevé par un fantôme meurtrier, qu'il refera surface plus tard à New-York City, où il atteindra la prospérité en tant que juge d'un tribunal d'instance. Car dans le conte d'Irving, le Cavalier est une simple légende dont un gaillard du cru, Brom Bones, qui courtise aussi Katrina, va se servir pour se débarrasser d'un rival. Déguisé en spectre sans tête, Brom poursuit Ichabod dans la forêt et fait tomber de cheval le pédagogue en lui lançant sa tête à la figure ; projectile qui s'avérera, lorsqu'on étudiera la scène le lendemain matin, n'avoir été qu'une citrouille.

En faisant entrer un farfadet trouvé dans un recueil de légendes de Silésie au sein d'une fable comique qu'on avait souvent racontée dans l'Amérique des premiers colons (un solide péquenot se paye la tête d'un Yankee de la grande ville), Irving venait d'inventer la nouvelle américaine. La popularité des horreurs gothiques importées de la littérature allemande, commençait à décliner lorsqu'il écrivit ce classique qui lui ont valu la prospérité, mais la transplantation du genre dans le sol américain lui donna une nouvelle force et fraya le chemin aux contes de Hawthorne et de Poe.

L'adaptation en dessin animé de la "Légende" fut réalisé par Disney en 1949 -année ou l'Amérique se sentit très prospère et prête à rire des fantômes d'origine allemande. La légende de Disney, contée sans dialogues, repose tout entière sur la voix substantifiquement américaine du crooner Bing Crosby, qui y interprète aussi trois chansons, pour la raconter. Dans la mesure où elle est essentiellement muette, la version Disney en rajoute dans les scènes de comique slapstick dépeignant la rivalité d'Ichabod et de Brom Bones. Les animateurs de Disney, s'ils respectèrent de façon générale leur source, ajoutèrent deux détails à la légende. D'abord, s'appuyant sur les descriptions que donne Irving des couleurs de l'automne, ils situent la folle chevauchée d'Ichabod la nuit de Halloween, et transformèrent la tête du cavalier en cette citrouille creuse ornée d'une bougie qu'on nomme "jack-o-lantern". Ensuite, alors que dans le conte d'Irving, le Cavalier porte sa tête sur le pommeau de sa selle et ne semble pas avoir besoin d'une autre, le Cavalier dont Brom Bones chante les exploits cherche "une tête à trancher". Il reste évident, durant la poursuite, que le Cavalier a l'intention de décapiter Ichabod, et c'est cette idée qui a inspiré la révision sanglante du conte classique.

Bill Krohn : Cahiers du cinéma n°542, janvier 2000