Un vétéran du Viêt-nam, le solitaire Travis Bickle, se met à conduire un taxi à New York pour échapper à ses insomnies et au dégoût que lui inspire la corruption qu'il trouve autour de lui.
Après avoir essuyé un échec dans une histoire d'amour avec la belle Betsy, qui travaille dans l'organisation électorale du candidat à la présidence Charles Palantine, Bickle finit par acheter tout un jeu d'armes à feu. Il s'entraîne.
Travis rencontre une prostituée adolescente, Iris, et se persuade de la sauver de son état sordide. Après avoir échoué à assassiner Palantine, il se dirige vers la chambre d'Iris et abat les hommes qui la "possèdent". Il manque sa tentative de suicide après son acte rituel et fait la une des journaux. Il recommence à conduire son taxi.
Pour Michael Pye et Lynda Myles dans Les enfants terribles du cinéma américain :
" Taxi driver est avant tout l'histoire du rebut des rues de New York, l'histoire d'un homme, Travis Bickle, qui conduit des taxis, hante les cinémas pornos et avale des pilules. Il essaie de se lier avec une jeune fille blonde de bonne famille, mais il se fait repousser par elle lorsqu'il l'emmène voir un film obscène; il s'entraîne au tir avec une rigueur monastique et un plaisir fétichiste; il renonce à commettre un attentat contre un homme politique et canalise sa violence pour secourir une très jeune prostituée droguée en tuant son souteneur et ses amis. Il s'ensuit un terrible bain de sang ; l'épilogue nous montre Bickle, émergeant apparemment comme une figure héroïque, capable de repousser à son tour la jeune fille blonde et de se fondre dans les rues de la ville. Il incarne la menace anonyme de la paranoïa urbaine.
Mais n'importe quel studio acceptant de signer le chèque se trouvait au prise avec une prostituée de douze ans, une scène de carnage urbain qui faillit faire classer le film dans la catégorie "X" et une vision unilatérale qui n'a jamais recours à des explications psychologiques faciles pour clarifier les obsessions de Bickle. Pis encore, la fin semble justifier ses actions. On pouvait l'interpréter soit comme un prolongement des obsessions de Bickle, comme ses propres fantasmes sur la manière dont il voulait devenir un héros, soit comme une tentative confuse de transformer ce maniaque en héros et de justifier l'action individuelle contre la laideur de la ville pouvant mener jusqu'au meurtre.(...)
Fait surprenant pour Scorsese, le film respecta fidèlement le scénario original de Paul Schrader. "Avec Mardik, le scénario est toujours très souple, dit Scorsese, mais avec Schrader, il est plus succinct, plus direct et compact. Je n'ai improvisé que trois ou quatre scènes dans le film." L'effet produit est un curieux contraste d'influences. Schrader avait écrit des articles sur Robert Bresson, et l'influence bressonienne est perceptible à travers le journal de Bickle, inspiré par Journal d'un curé de campagne et par Pickpocket. On y retrouve l'attention portée à la vie de tous les jours, la poésie qu'il peut y avoir dans l'organisation de choses pratiques comme l'arsenal que Bickle constitue.
Il n'y a pas d'analyse psychologique facile ; à l'instar de Bresson dans Mouchette, Scorsese force le public à entrer dans le champ visuel restreint de Bickle. On trouve même des références précises à Bresson : le régime de pain trempé dans de l'eau-de-vie d'abricot que suit Bickle et sa crainte d'avoir un cancer rappellent le régime de pain trempé dans du vin que suit le prêtre parce qu'il a un cancer à l'estomac. On peut même dire que les scènes de nuit rappellent les images de Bresson dans Quatre nuits d'un rêveur.
Mais Scorsese a lui même une forte personnalité qui semble entrer en conflit avec la vision de Schrader et la rendre plus confuse. Le soi-disant saint qui opère dans les rues de New York est un personnage qui revient souvent chez Scorsese : l'homme qui ne sait pas s'il veut devenir prêtre ou gangster. "Ses intentions étaient peut-être bonnes, mais regardez le résultat, dit Scorsese. Les souteneurs qu'il tue ne lui ont rien fait ; ils sont même gentils avec lui, ils veulent lui faire passer un bon moment. Il ne font que leur travail, même si c'est un sale boulot." Bickle, c'est "l'anarchie, et le mauvais côté de l'anarchie. Je pense que c'est un véritable cauchemar."
Pour exprimer la violence de Bickle, Scorsese adopte les techniques de Samuel Fuller : lorsque Bickle va tuer les souteneurs, un long travelling nous fait passer le long d'un corridor, de l'endroit où Sport, le souteneur, a été tué, jusqu'à la chambre d'Iris, l'enfant prostituée. "Le film qui m'a vraiment appris quelque chose sur la violence est Violences à Park Row de Fuller, dit Scorsese. Vous vous souvenez de ce long travelling : ils entrent dans un bureau et le saccagent, puis ils sortent et se précipitent vers un autre endroit, commencent une bagarre qui les conduit encore ailleurs, et enfin un homme est passé à tabac sous la statue de Benjamin Franklin, au bas de la rue. Le tout en une seule prise de vue. Je regardais ça à la télévision lorsque j'avais onze ou douze ans. Comme Taxi Driver, les films de Samuel Fuller omettent souvent de condamner l'anarchie qu'ils nous présentent, ce qui peut leur donner l'apparence de sinistres pamphlets individualistes venant de la droite".
Taxi driver est avant tout un cauchemar. C'est une vision de la misère et de la paranoïa urbaine. Le monde que voit Bickle est corrompu, souillé et hideux. Un client ordonne à Bickle de s'arrêter devant un immeuble ; il lui montre une fenêtre derrière laquelle une femme est en train de se déshabiller et il lui dit que cette femme est son épouse et qu'elle a une liaison avec un noir; il menace de lui faire sauter le vagin avec son Magnum 44. C'est probablement la scène de misogynie la plus affreuse qui ait jamais été tournée. Son impact est d'autant plus fort que le rôle du client est tenu par Scorsese lui-même. Il affirme l'avoir fait parce que "nous avions du retard sur le plan de tournage, l'acteur que j'avais choisi s'était fracturé le crâne et il n'y avait personne d'autre dans les parages à qui je pouvais faire confiance". Mais rien, dans le reste du film, ne suggère que la femme ait une place quelconque dans la société : d'un côté, il y a une prostituée dans le taxi, qui ouvre la fermeture éclair du pantalon de son client, et l'enfant prostituée, Iris. De l'autre côté de cette division Madone-putain, il y a la jeune blonde glaciale que Travis essaye de courtiser.
Le taxi se faufile et glisse avec lenteur, présence irréelle dans la ville sordide aux lumières rouges. Le film nous force à adopter le point de vue de Bickle, à prendre part à son entraînement au meurtre et à ses manipulations fétichistes d'armes à feu, à tenir bon avec lui lorsqu'il étend les mains au-dessus d'une flamme pour éprouver son courage et à partager sa vision unilatérale de la ville et de ses maux. Si le film reste cauchemardesque jusqu'au bout, il devient alors une terrible mise en garde qui force le public à accepter les actions de Bickle, et à admettre qu'elles sont possibles de la part de n'importe quel psychopathe errant à travers les lumières de la ville. A la fin, Bickle croit qu'il est devenu un héros, bien que son héroïsme implique surtout la satisfaction d'un désir comme l'achat d'armes ou l'entraînement de samouraï. Bickle se fond à travers les néons de New York, anonyme comme seul un chauffeur de taxi peut l'être. Dans les villes, la menace peut provenir de n'importe qui.
Ce qui se cache derrière une telle interprétation, et qui donne au film l'unité poétique d'un Céline plutôt que du Bernanos dont s'inspire Bresson, est très simple : Bickle tue des personnes que la plupart des spectateurs méprisent. Il se prépare au meurtre avec cette sorte de discipline et d'entraînement que le public a coutume d'admirer. Il paraît tendre à la rédemption à travers le meurtre et émerger comme un héros populaire, sa crédibilité étant renforcée par le nouvel intérêt que lui porte la blonde glaciale. Si cette manière de voir prolonge la vision subjective de Bickle, alors Taxi driver est un film brutal, mais cohérent. Si ce n'est pas le cas, la fin nous montre que Bickle ne s'est pas racheté, que sa violence est à nouveau possible, et que ses actions étaient justifiées par son espoir de rédemption et par la nature de ses victimes. Les références à Bresson suggèrent que Bickle est engagée dans une quête spirituelle qui doit être considérée comme telle. De cette manière, le film devient plus qu'affreux. Il devient un mauvais pamphlet pervers.. On ferme les yeux sur la brutalité anarchique de Bickle.
La confusion existe également dans les yeux de Scorsese : "Bickle se situe quelque part entre Charles Manson et Saint Paul", dit-il."
Les enfants terribles du cinéma américain, Michael Pye, Lynda Myles