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Jacques, un artiste parisien déprimé, tente de faire du stop pour un voyage sans but précis. Il passe la journée à la campagne, où il se roule dans l'herbe et sifflote continûment à l'étonnement des promeneurs.
Première nuit. Rentré à Paris le soir, Jacques aperçoit une femme nommée Marthe, assise au bord du Pont Neuf, en train de ruminer son suicide. Jacques la convainc de s'éloigner. À la fin de la nuit, ils se promettent de se retrouver au Pont Neuf le lendemain soir.
Deuxième nuit. Pour distraire Marthe, Jacques accepte d'échanger avec elle des anecdotes sur leur vie. Deux longs flash-back montrent que Jacques et Marthe sont tous deux désillusionnés.
Histoire de Jacques. Bien qu'ancien élève d'une prestigieuse École des Beaux-Arts, Jacques vit seul dans un petit appartement désolé qui lui sert également d'atelier. Il est constamment fasciné par les femmes qu'il rencontre dans les rues de Paris, dans une boutique, montant dans un bus, accompagnant un vieux mari dans un hôtel prestigieux. Il ne peut se résoudre à les aborder. Il utilise un magnétophone pour raconter des histoires d'amour imaginaires, qu'il se repasse pour inspirer sa démarche artistique. Un camarade de classe lui rend visite à l'improviste, mais Jacques, soucieux de l'impressionner et inquiet que ce camarade ne respecte pas ses peintures, les lui cache et s'entend délivrer une analyse philosophique de l'art.
Histoire de Marthe. La jeune femme vit dans un appartement avec sa mère divorcée et des locataires successifs auxquels elle loue une chambre. L'un d'eux, un étudiant diplômé, invite Marthe à voir un film ensemble. Marthe le rejette brutalement. En représailles, le locataire lui offre des places gratuites pour l'avant première d'un film d'action qui se révèle être de mauvaise qualité. Marthe n'aime pas le film, mais apprend par l'expérience qu'elle et le locataire ont des goûts cinématographiques similaires. Un soir, Marthe et le locataire ressentent une attirance mutuelle, mais ne se déclarent pas. Ils finissent néanmoins par devenir amants. Peu après, le locataire obtient une bourse pour étudier à Yale pendant un an. Les amants se promettent fidélité et de se retrouver à la fin de l'année au retour de l'étudiant des États-Unis.
Marthe confie à Jacques qu'elle envisage le suicide car son amant est rentré à Paris trois jours auparavant et n'a pas tenté de la contacter. Jacques la réconforte et lui suggère d'envoyer une lettre à son amant pour lui demander s'il l'aime toujours. Marthe accepte, mais ne peut se résoudre à l'affronter directement. Jacques accepte alors d'aller porter la lettre, qu'elle avait déjà préparée le jeune fille a des amis communs.
Troisième nuit. Marthe est triste de n'avoir pas eu de nouvelle de son étudiant. Jacques la rassure, c'est sans doute trop tôt. Jacques et Marthe partagent un moment d'intimité en regardant un groupe brésilien divertir les clients des Bateaux-Mouches. La nuit, Marthe exacerbe la frustration de Jacques en lui disant qu'elle est reconnaissante que Jacques l'ait soutenue, même si elle ne ressent aucun intérêt sexuel pour lui.
Jacques réalise qu'il est amoureux de Marthe.Ses messages enregistrés passent d'histoires d'amour abstraites à son intérêt pour Marthe, et prennent une tournure érotique. Le jour, alors qu'il va en bus chercher une réponse chez les amis de l'étudiant, il ne peut s'empêcher d'allumer son magnétophone pour faire entendre le nom de Marthe devant les passagers éberlués. Il voit le nom de Marthe partout où il va : sur une vitrine et le nom d'une péniche. Les amis de l'étudiant n'ont pas de message pour lui.
Quatrième nuit. L'amant n'a pas répondu à Marthe qui perd tout espoir. Après que Jacques lui a dit qu'il l'aime, elle tente d'entamer une relation avec lui d'autant que Jacques ressemble physiquement à l'étudiant diplômé. Ils s'embrassent près de la Seine où jouent des musiciens. Ils prennent un verre et discutent, mais Jacques sent bien que Marthe ne parvient pas à se défaire de ses sentiments pour son ancien amant. Cependant, lorsque Jacques commence à s'éloigner de Marthe, elle lui déclare son amour. Le couple se met à marcher dans la rue, bras dessus bras dessous. Jacques, heureux, tente de lui montrer la lune qui brille dans le soir parisien. Mais Marthe vient d'apercevoir son ancien amant qui marche à leur rencontre. Marthe ne sait pas comment gérer la situation. Elle court vers son amant et l'embrasse. Puis elle court vers Jacques et l'embrasse plus longuement. Puis elle court vers son amant, et ils s'éloignent ensemble sans un mot.
Le lendemain, Jacques se remet à peindre dans son appartement au son de son nouvel enregistrement fantasmant sur Marthe qui lui demande de la reprendre.
Le film est basé sur la nouvelle Nuits blanches de Fiodor Dostoïevski, déjà adaptée par Luchino Visconti en 1957 et Ivan Pyriev en 1959. Bresson choisit un ton bien plus chatoyant et transforme profondément la fin. Conformément à son titre, où le rêveur est un artiste, il transforme un échec amoureux en un parcours vers la réalisation artistique.
Bresson adapte Dostoïevski pour la troisième fois
Bresson considérait le film comme "loin d'être une simple adaptation" de la nouvelle. Il était attiré par l'idée de personnages tombant amoureux de personnes qu'ils ne connaissent pas et ne peuvent voir, tout en rejetant l'amour de personnes qu'ils voient. Il trouvait la nouvelle "assez imparfaite" par rapport aux meilleurs romans de Dostoïevski, ces derniers étant inadaptés à l'adaptation en raison de leur "perfection formelle" littéraire. Ainsi n'avait-il fait que des adaptations assez peu fidèles de Crime et châtiment avec Pickpocket et de Douce avec Une femme douce.
Conformément à sa pratique, Bresson a principalement engagé des acteurs amateurs. Pour ce film, il a recherché des personnes ayant une "formation littéraire ou universitaire" ; le père d'Isabelle Weingarten était le dramaturge Romain Weingarten, et le père de Guillaume des Forêts, l'écrivain Louis-René des Forêts. La seule actrice professionnelle du film est l'Italienne Lidia Biondi. Bien qu'Isabelle Weingarten n'ait jamais joué dans un long métrage auparavant, elle est finalement devenue une grande actrice, très active jusqu'à aujourd'hui.
Bresson se paie le luxe de faire un mauvais film dans le film, histoire de régler son compte au cinéma de qualité ainsi du Borsalino (Jacques Deray 1970) qui vient de rassembler plus de quatre millions de spectateurs. Avec humour, Bresson montre des photographes flashant à répétition le casque d'un garde-mobile comme s'il n'y avait que cela à voir. Marthe sort de la séance avant la fin...
Couleur et sensualité
Marthe n'a que mépris pour la déclaration de Jacques s'estimant avoir été amoureux plein de fois alors qu'il n'a fait que suivre des femmes dans la rue. Elle a, de son côté, assumé ses désirs en s'offrant à son étudiant afin de devenir une femme, rompant avec l’enfance dans laquelle la maintenait sa mère.
Très belle séquence d'éveil au désir quand, alors que l'étudiant frappe contre le mur de l'autre côté de la chambre, elle se déshabille et s'admire dans le miroir. Si Bresson peut s'exposer à la critique du male gaze, la sensualité pleine de douceur et de retenue avec laquelle il détaille la peau et le corps d'Isabelle Weingarten semble en adéquation avec ce qu'elle ressent et qui la conduit le lendemain matin, alors que sa mère est partie, à se donner à l'étudiant. La séquence où ils sont nus debout, alors que la mère, rentrée, appelle vainement sa fille, figure aussi fortement que symboliquement l'acte sexuel comme une libération.
En revanche, la façon qu'a Jacques d'étreindre Marthe quand elle l'embrasse la quatrième nuit alors qu'elle essaie d'en retenir l'ardeur dit qu'ils ne sont pas sur la même longueur d'onde. De même sa façon plus tard de lui caresser le genou sous la table semble une privauté qu'elle ne goûte pas. Marthe préfère à n'en pas douter avec lui la douce intimité amicale qu'ils nouent en regardant les musiciens du bateau-mouche. Écart enfin quand il tente de lui montrer la lune alors qu'elle vient de rencontrer bien plus matériellement sur terre son ancien amant. Jacques, dont la nature enfantine avait été révélée par le prologue, se contente sans trop de peine d'avoir un nouveau fantasme qui inspire sa peinture. Que le film se termine par un acte de création, Jacques au travail, dit assez la transformation qu'opère Bresson vis-à-vis de Dostoïevski.
Le peinture des sentiments
Les nuits parisiennes sont imprégnées de musique et de couleurs, accentuant le côté romantique de Jacques . Ainsi jusque dans la tonalité du film, Bresson prend parti pour lui contre son ami étudiant des Beaux-arts. Celui-ci met pourtant en avant le « moins pour le plus », précepte que Bresson ne peut qu'approuver. L'ami a ainsi décidé de ne montrer qu'une tache noire au milieu d'un tableau blanc afin de montrer que tout l'univers du représentable s'est rétracté dans ce point. Jacques lui continue tranquillement d'étaler la couleur en fonction des impressions qu'il ressent en écoutant ses histoires.
Jean-Luc Lacuve, le 1er mai 2025.