(1901-1999)
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histoire du cinéma : abstraction lyrique

I- Mise en scène

Deleuze fait de Robert Bresson l'un des grands cinéastes de l'abstraction lyrique. Celui qui utilise pleinement la présentation de l'image-affection dans un espace quelconque, ce que le philosophe propose de nommer, à la suite de Pierce, Qualisigne (ou Potisigne). Bresson se différencie ainsi par exemple de Bergman qui utilise principalement l'autre signe de l'image-affection, l'icône, entendu comme l'expression d'une qualité-puissance par un visage.

Le Qualisigne (ou Potisigne), c'est une potentialité. Le montage fait que les plans différents peuvent se raccorder d'une infinité de manières et, n'étant pas orientés les uns par rapport aux autres, constituent l'ensemble des singularités qui se conjuguent dans l'espace quelconque. Ce n'est pas un concept, c'est un ensemble de singularités qui présente les choses ou les personnages tels qu'ils sont en soi, pure puissance ou qualité qui les conjugue sans abstraction sous toutes les formes possibles et compose l'espace quelconque correspondant. C'est un affect, et rien ne s'oppose davantage à une idée abstraite et générale bien qu'il ne soit pas actualisée dans un état de chose individuel.

L'espace n'est plus tel ou tel espace déterminé, il est devenu espace quelconque, suivant un terme de Pascal Augé. Certes, Bresson n'invente pas les espaces quelconques, bien qu'il en construise pour son compte à sa manière. Augé préférait en chercher la source dans le cinéma expérimental. Mais on pourrait dire également qu'ils sont aussi vieux que le cinéma. Un espace quelconque n'est pas un universel abstrait, en tout temps, en tout lieu. C'est un espace parfaitement singulier, qui a seulement perdu son homogénéité, c'est à dire le principe de ses rapports métriques ou la connexion de ses propres parties, si bien que les raccordements peuvent se faire d'une infinité de façons.

Bresson constuit ainsi un espace morceau par morceau, de valeur tactile où la main finit par prendre la fonction directrice qui lui revient dans Pickpocket, détrônant le visage. La loi de cet espace est "fragmentation" (De la FRAGMENTATION : elle est indispensable si on ne veut pas tomber dans la REPRESENTATION. Voir les êtres et les choses dans leurs parties séparables. Isoler ces parties. Les rendre indépendantes afin de leur donner une nouvelle dépendance, NslC, p.95-96). Les tables et les portes ne sont pas données entières. La chambre de Jeanne et la salle du tribunal, la cellule du condamné à mort, ne sont pas données dans des plans d'ensemble, mais appréhendées successivement suivant des raccords qui en font à chaque fois une réalité fermée, mais à l'infini. D'où le rôle spécial des décadrages. Le monde extérieur lui-même n'apparait donc pas différent d'une cellule, telle la forêt aquarium de Lancelot du lac. C'est comme si l'esprit se heurtait à chaque partie comme à un angle fermé, mais jouissant d'une liberté manuelle dans le raccordement des parties.

Au sein des deux sortes d'image-affection, d'une part la qualité puissance exprimée par un visage ou un équivalent; mais d'autre part la qualité-puissance exposée dans un espace quelconque, la seconde est peut-être plus fine que la première, plus apte à dégager la naissance, le cheminement et la propagation de l'affect (...) Dès que nous quittons le visage et le gros plan, dès que nous considérons des plans complexes qui débordent la distinction trop simple entre gros plan, plan moyen et plan d'ensemble, il semble que nous entrions dans un "système des émotions" beaucoup plus subtil et différencié, moins facile à identifier, propre à induire des affects non humains.

Chez Bresson, Il y a les hommes gris de l'incertitude (Le Lancelot de Bresson ou même Pickpocket dont le titre prévu était précisément Incertitude. Il y a les créatures du mal, nombreuses : la vengeance d'Hélène dans Les dames du Bois de Boulogne, la méchanceté de Gérard dans Au hasard Balthazar, les vols du Pickpocket, les crimes d'Yvon dans L'argent. Et dans son extrême jansénisme, Bresson montre la  même infamie du côtés des œuvres, c'est à dire du côté du mal et du bien : dans L'argent, le dévot Lucien n'exercera la charité qu'en fonction du faux témoignage et du vol qu'il s'est donné comme condition, tandis qu'Yvon ne se lance dans le crime qu'à partir de la condition de l'autre. Mais pourquoi n'y aurait-il pas plutôt qu'un choix du mal, qui serait encore désir, un choix pour le mal en toute connaissance de cause ? La réponse de Bresson est la même que celle du Méphisto de Goethe ; nous autres, diables ou vampires, nous sommes libres pour le premier acte mais déjà esclaves pour le second. C'est ce que dit (moins bien) le bons sens, tout comme le commissaire de Pickpocket : "On ne s'arrête pas", vous avez choisi une situation qui ne vous permet déjà plus de choisir. C'est en ce sens que les trois types de personnages précédents font partie du faux choix, de ce choix qui ne se fait qu'à condition de nier qu'il y ait le choix (ou qu'il y a encore le choix). On comprend du coup, du point de vue de l'abstraction lyrique, ce qu'est le choix, la conscience du choix comme ferme détermination spirituelle. Ce n'est pas le choix du bien pas plus que du mal; c'est un choix qui ne se définit pas par ce qu'il choisit, mais par la puissance qu'il possède de pouvoir recommencer à chaque instant, se recommencer soi-même, et se confirmer ainsi par soi-même. Le personnage du vrai choix s'est trouvé dans le sacrifice ou retrouvé par-delà le sacrifice qui ne cesse d'être recommencement : chez Bresson c'est Jeanne d'arc, c'est Le condamné à mort, c'est Le curé de campagne.... Et Bresson ajoute encore un cinquième type de personnage : la bête ou l'Ane dans Au hasard Balthazar. Ayant l'innocence de celui qui n'est pas en état de choisir, l'âne ne connait que l'effet des non-choix ou les choix de l'homme, c'est à dire la face des évènements qui s'accomplit dans les corps et les meurtrit, sans pouvoir atteindre (mais sans pouvoir trahir non plus) la part de ce qui déborde l'accomplissement, ou la détermination spirituelle. Ainsi l'âne est l'objet préféré de la méchanceté des hommes, mais aussi l'union préférentielle du Christ ou de l'homme du choix.

II- Biographie

Robert Bresson est né en 1901 à Bromont-Lamothe, Puy-De-Dôme. Il est le fils d'un officier et commence une carrière de peintre avant de faire son premier film, un court métrage, en 1934 : Publiques d'Affaires.

Bresson réalise son premier long métrage, Les Anges du péché, en 1943 pendant l’occupation Nazi. Bien que ce film lui ait gagné le prestige considérable son film suivant, Les Dames du Bois de Boulogne (1945), basé sur une adaptation de Diderot, est mal reçu par le public et est un échec commercial.

Après un haitus de cinq ans, Bresson revient au cinéma avec Journal d'un curé de campagne (1951). Ce film donne à Bresson la réputation d’un des plus grands réalisateurs de sa génération. Avec ce film, il invente un style austère, unique et puissant, qu'aucun autre réalisateur ne parvient à égaler.

En 1956, Bresson dirige son plus célèbre et peut-être son meilleur film, Un condamné à mort s’est échappé. Bresson se concentre sur les détails intimes d'une histoire, souvent le resultat d’un événement plus que l’événement lui-même. C'est ce style que Bresson raffinera à la perfection jusqu'à son dernier film, L'Argent.

Le cinéma de Bresson est souvent marqué par l'interaction entre le monde intérieur de l'esprit et de la réalité externe d'un monde physique brutal. C'est particulièrement évident dans Journal d'un curé de campagne, où les pensées du jeune curé solitaire sont transmises à nous quand il écrit son journal intime, tandis qu'il lutte contre une maladie débilitante et un rejet social de ses paroissiens.

Les autres thèmes significatifs des films de Bresson sont la prise d'un individu par un destin inéluctable - le meilleur exemple étant L'Argent - et la capacité de l'esprit humain de supporter des difficultés physiques injustes (Procès de Jeanne d'Arc et Au hasard Balthazar). Ces thèmes ne sont pas essentiellment religieux mais plutôt, des éléments du religieux qui nous emmènent à une analyse plus profonde du psyche humain.

Un autre dispositif distinctif des films de Bresson est l'utilisation d'acteurs non-professionnels. Bresson a préféré former ses propres acteurs (qu'il a nommés des 'modèles') au lieu d’engager des acteurs professionnels. Ceci lui a permis de créer un réalisme particulier reposant sur l'intensité des sentiments intimes et basé sur une grande précision de description.

Dans une carrière de 40 ans, Bresson n’a fait que 13 longs métrages. Aucun de ses films n'a été un grand succès commercial, mais chacun d'eux a d'ardents défenseurs parmi les cinéphiles. Bresson a reçu le prix spécial au festival de Cannes en 1962 pour Procès de Jeanne d'Arc et le grand prix à Cannes en 1983 pour L'Argent.

3- Bibliographie

Notes sur le cinématographe Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, 1975
L'image mouvement Gilles Deleuze, L'image mouvement, chapitre 7, 1983
Lancelot du lac Vincent Amiel, Lancelot du lac de Robert Bresson, 2014

4-Filmographie :

Court-métrage : 1934 : Affaires publiques

Longs-métrages :

1943 Les anges du péché 
Avec : Renée Faure (Anne-Marie Lamaury), Jany Holt (Thérèse), Sylvie (La prieure), Mila Parély (Madeleine), Marie-Hélène Dasté (Mère Saint-Jean), Yolande Laffon (Madame Lamaury).NB. 1h36.

Anne-Marie, une jeune fille du monde, choisit pour entrer en religion, le couvent des Dominicaines de Béthanie, congrégation au service des détenues, dont bon nombre de novices sont des "réhabilitées" sortant de prison. Au cours d'une visite à la prison, Anne-Marie remarque Thérèse, une détenue particulièrement aigrie et rétive à toute influence. À sa sortie de prison, Anne-Marie lui propose de la rejoindre au couvent. Elle refuse mais revient s'y réfugier, après avoir tué son amant, responsable du vol pour lequel elle avait été condamnée. Anne-Marie l'accueille avec une joie triomphante et veut en faire son "élève en béatitude"....

   
1945 Les dames du bois de Boulogne
Avec : Paul Bernard (Jean), Maria Casares (Helène), Elina Labourdette (Agnès). NB. 1h35.

Hélène, une jeune veuve, sent que l'amour de Jean son amant lui échappe : Pour vérifier ses soupçons elle feint elle-même de lui avouer son indifférence. Jean lui avoue alors qu'il ne tient plus à elle. Ils se quittent. Hélène ne songe plus qu'à se venger. Elle s'arrange pour que Jean rencontre par hasard au bois de Boulogne une danseuse, Agnès fille de l'une de ses anciennes relations ruinées. Pour survivre et faire vivre sa trière, Agnès accepte de temps en temps les hommages des hommes...

   
1951 Journal d'un curé de campagne 
Avec : Claude Laydu (Ambricourt), Jean Riveyre (Le comte), Marie-Monique Arkell (la comtesse), André Guibert (Le curé). 2h00.

Un jeune prêtre gravement malade sans le savoir arrive dans sa première paroisse, Ambricourt. Il est animé d'un zèle dévorant mais se heurte à l'incompréhension de ses paroissiens. Les enfants du catéchisme se dérobent avec une perversité inconsciente. Le châtelain, sur qui il espère s'appuyer, se ferme dès qu'il est question de sa liaison avec l'institutrice....

   
1956 Un condamné à mort s'est échappé
Avec : Francois LeTerrier (Lt Fontaine), Charles LeClainche (François Jost), Maurice Beerblock (Blanchet). NB. 1h42.

1943. Arrêté et interrogé par la police allemande pour actes de résistance, le lieutenant Fontaine est incarcéré au Fort de Montluc dans la région lyonnaise. Au cours de son transfert, il tente une évasion improvisée en sautant de la voiture conduite par un S.S.

Il est immédiatement repris. On l'enferme dans une cellule d'où il va, patiemment, obstinément, préparer une nouvelle fugue...

   
1959 Pickpocket
Avec : Martin La Salle (Michel), Marika Green (Jeanne), Jean Pélégri (Inspecteur de police), Dolly Scal (Mère de Michel) . NB. 1h15.

Michel est un jeune homme solitaire qui, pour " dominer le monde " comme il le dit lui-même, vole, un jour, sur un champ de courses, le sac à main d'une femme. Certes, il a vaincu sa peur, mais il se retrouve au commissariat, d'où on le libère aussitôt.

Michel évite de rendre visite à sa mère malade, qu'une jeune voisine, Jeanne, soigne, bien consciente que la vieille dame n'a d'autre véritable besoin que celui de voir son fils. Mais celui-ci a d'autres préoccupations. Il exprime au commissaire déjà rencontré après son premier vol, sa théorie selon laquelle certains êtres d'élite auraient le droit d'échapper aux lois...

   
1962 Procès de Jeanne d'Arc 
Avec : Florence Carrez (Jeanne d'Arc), Jean-Claude Fourneau (Bishop Cauchon), Marc Jacquier (Jean Lemaître). NB. 1h05.

Un préambule au générique montre la mère de Jeanne d'Arc qui, en 1456, vient lire devant les prélats assemblés à Notre-Dame de Paris une requête pour la révision du procès de sa fille. Puis retour à Rouen en 1431 pour le procès. Devant ses juges partagés, Jeanne fait face avec simplicité en affirmant l'authenticité de sa mission; les Anglais qui veulent sa perte se livrent à de sourdes pressions. Scènes de prison. Abjuration de Jeanne au cimetière de Rouen. Rétractation de Jeanne. Condamnée pour parjure, elle meurt sur le bûcher.

   
1966

Au hasard Balthazar

Avec : Anne Wiazemsky (Marie), François Lafarge (Gérard), Philippe Asselin (Le père de Marie) . NB. 1h35.

Les premières années de l'âne Balthazar ont été heureuses, en compagnie de Marie, petite fille du Pays Basque, et de Jacques, son compagnon de vacances parisien. Plus tard, des problèmes sont apparus entre les parents des deux enfants et tout le monde en souffre, y compris l'âne que Marie délaisse. Un boulanger achète Balthazar pour porter le pain que livre Gérard, un jeune voyou qui n'a aucun mal à séduire Marie. Balthazar est maltraité par Gérard, puis par Arnold, un vagabond soupçonné d'un assassinat dans lequel Gérard et sa bande ont peut-être trempé. L'âne s'enfuit et se réfugie dans un cirque où on le dresse...

   
1967 Mouchette 

D’après le roman de Georges Bernanos. Avec : Nadine Nortier (Mouchette), Jean-Claude Guilbert (Arsène), Maria Cardinal (La mère de Mouchette), Paul Hébert (Le père de Mouchette). NB. 1h18.

Mouchette est une adolescente, presque une enfant, qui vit à la campagne la vie des gens très pauvres et solitaires. Elle va à l'école sans plaisir, soigne sa mère très malade, s'occupe de son petit frère et de cent autres tâches domestiques. Le père et le grand-frère de Mouchette s'enivrent volontiers (comme la plupart des gens du pays) et font de drôles de trafics avec le bistrot du village.

   
1969 Une femme douce

Avec : Dominique Sanda (Elle), Guy Frangin (Lui), Jane Lobre (Anna). 1h27.

Un jeune homme, Luc, devant le cadavre de son épouse qui vient de se suicider, se remémore leur vie passée et s’efforce de comprendre les raisons de son geste. " Je voudrais prier, dit-il, et je ne peux que penser. " Quand il la rencontra, c’était une jeune fille de condition modeste qui venait vendre de menus objets dans sa boutique de prêteur sur gages. Peu après, il lui demandait sa main, en faisant valoir tout ce que sa riche situation pouvait lui apporter...

   
1971 Quatre nuits d'un rêveur
Avec : Isabelle Weingarten (Marthe), Guillaume des Forêts (Jacques), Maurice Monnoyer (l’amant). 1h27.

Une nuit, Jacques qui se promène sur le Pont-Neuf, croise une jeune fille au comportement étrange. Il s'arrête, la regarde ; elle a enjambé le parapet et est sur le point de se jeter à l'eau. Jacques l'en empêche. lis font connaissance. Elle s'appelle Marthe. Ils se donnent rendez-vous le lendemain soir...

   
1974 Lancelot du lac 
Avec : Luc Simon (Lancelot du Lac), Laura Duke Condominas (Guinevere), Humbert Balsan (Guauvain), Vladimir Antolek-Oresek (King Arthur), Patrick Bernard (Mordred). 1h35.

Au cours de leur vaine quête du Graal - le vase contenant le sang du Christ - les chevaliers du roi Artus, conduits par le vaillant Lancelot, ont été décimés dans de sauvages combats. Leur retour au château royal clôt dans une atmosphère de désastre ce cruel épisode guerrier. Les chevaliers sont voués à l'inaction et le désespoir les guette; la table ronde de leurs réunions n'a plus de raison d'être. Même Lancelot est en proie au doute : il croit que Dieu l'a puni d'aimer la reine Guenièvre et qu'il doit sacrifier cet amour. Guenièvre tente de le convaincre de renoncer à la guerre...

   
1977 Le diable probablement
Avec : Antoine Monnier (Charles), Tina Irissari (Alberte), Henri de Maublanc (Michel), Laetitia Carcano (Edwige).1h35.

Un garçon d'une vingtaine d'années est découvert, mort, dans une allée du cimetière du Père-Lachaise. Il a deux balles dans la tête : l'a-t-on assassiné, s'est-il suicidé ?

Il s'appelait Charles. Il menait semble-t-il, la vie des jeunes gens de son époque. Entouré d'amis, il passait de nombreuses heures en discussions sans fin sur les dangers qui menacent le monde: pollution, gaspillage des ressources naturelles, décomposition du tissu social, famine, guerre...

   
1983 L'argent

Avec : Christian Patey (Yvon Targe), Vincent Risterucci (Lucien), Sylvie Van den Elsen (Vieille dame), Marc-Ernest Fourneau (Norbert), Didier Baussy (Photographe), Caroline Lang (Elise). 1h30.

Comme son père n'a pas voulu lui donner plus d'argent de poche que d'habitude, Norbert se fait passer par Martial un faux billet de 500 F. Afin d'avoir de la " vraie " monnaie, les deux jeunes gens vont écouler le billet chez un commerçant-photographe. Celui-ci, s'apercevant après coup que le billet est faux, va lui-même s'en débarrasser en le refilant à un jeune livreur, Yvon...