Comme son père n'a pas voulu lui donner plus d'argent de poche que d'habitude, Norbert se fait passer par Martial un faux billet de 500 F. Afin d'avoir de la "vraie" monnaie, les deux jeunes gens vont écouler le billet chez un commerçant-photographe. Celui-ci, s'apercevant après coup que le billet est faux, va lui-même s'en débarrasser en le refilant à un jeune livreur, Yvon.
À partir de là, Yvon va être entraîné dans une suite d'événements dont il n'aura plus le contrôle : ayant donné le faux billet de 500 F à un restaurateur qui l'accuse de malhonnêteté, Yvon est ennuyé par la police. Il retourne avec les deux agents jusqu'au magasin du photographe d'où toute cette affaire est partie. Il espère que le commerçant l'innocentera mais le photographe feint, avec la complicité de son jeune employé Lucien, de n'avoir jamais vu Yvon. Ce dernier est jugé devant les tribunaux, mais heureusement relaxé.
Cependant, il perd son emploi. Il se laisse alors entraîner par des amis dans le hold-up d'une petite banque. La police les surprend. Yvon est arrêté et emprisonné. Sa femme Élise, qui vient le voir, au début en prison, lui fait savoir ensuite par lettre que leur enfant est mort de maladie et qu'elle ne viendra plus lui rendre visite, car elle compte " changer de vie". Yvon est bouleversé. Il tente de se suicider.
À sa sortie de prison, Yvon assassine un couple d'hôteliers pour voler leur argent. Puis il rencontre une femme qui vient de toucher sa pension à la poste. Il la suit. Cette femme lui donne à manger, le recueille. Elle aide le jeune homme; mais le père de cette femme, pianiste devenu alcoolique, se méfie d'Yvon. Finalement, celui-ci, encore sous le coup de ses malheurs, tue à la hache ceux qui l'ont ainsi hébergé et se rend à la police.
A l'enchaînement des circonstances qui pourraient être romanesques, Bresson substitue le cheminement tragique du mal. Le film se situe dans une perspective chrétienne où, pour retrouver la grâce, il faut être aller jusqu'au bout du malheur.
Il est toutefois peu probable que Bresson justifie l'assassinat de deux hôteliers et d'une famille pour le salut d'un seul. L'interprétation qui voudrait que Yvon soit touché par la grâce du fait des gouttes de sang qu'il reçoit de la vielle femme assassinée à la hache n'est guère plus convaincante.
Peut-être la grâce divine est-elle absente du dernier film de Bresson. L'argent omniprésent règle les comportements humains. "Il n'y a pas de règle tout est permis " se vente Lucien, le dandy, qui croit pouvoir être bon lorsqu'il est devenu riche. Pourtant l'argent impose sa loi : Lucien finira derrière les barreaux et ses vantardises empêcheront son évasion. L'argent se trafique partout en prison surtout, à table comme à la messe ; des cigarettes contre de la viande ou du parfum. Il peut soudainement aussi revenir comme un leitmotiv destructeur. Désespéré, désuvré, Yvon chez la vieille femme cherche l'argent puis l'interroge sans conviction, mécaniquement avant de la tuer : " où est l'argent ? "
Yvon était un pur, refusant de ramper comme un chien devant son patron, insensible aux trafics de la prison. Excédé par une contamination du mal qu'il ne maîtrise pas, il se saisit d'une écumoire comme il se saisira de la hache. Le directeur de la prison est tristement prophétique lorsqu'il déclare : " Celui qui n'a tué personne est souvent plus dangereux que tel autre qui arrive chez nous après dix meurtres ".
Yvon ira donc jusqu'au bout de sa révolte et assassinera sans trouver la grâce. Le film se clôt par un plan des clients de l'auberge où Yvon vient de se livrer aux gendarmes. Ceux-ci ont ouvert la porte et emmenant Yvon menotté. Les clients ne semblent pourtant pas leur prêter attention. Ils attendent celui qui ressemblerait à un monstre. Ils fixent la porte dans cette attente du monstre meurtrier : il ne viendra pas. Le monstre sommeille en chacun de nous lorsque l'argent l'a corrompu et personne ne le reconnaît
Dans ce monde corrompu, seuls les êtres veules s'accommodent des trafics en tous genres, ouvrant la porte à ceux qu'ils viennent de voler (Lucien au client) ou dont ils ont reçu de l'argent pour leur mauvaise action (la photographe à la mère de Norbert). Le mal semble passer par les portes. Bresson reprend les principes des films d'horreur où on ne filme pas les visages pour suggérer le parcours d'un mal, invisible aux humains.
Dans ce monde corrompu , les plans de nature ménagent une pause. Avant
le meurtre de la famille, Yvon est désespéré par la contamination
du mal qui a réduit la veille femme à la servitude volontaire
auprès d'une belle-famille qui l'exploite et d'un père alcoolique.
La discussion près du lavoir et les noisettes délicatement cueillies
et offertes sont l'un des rares moments de répit de ce film empli d'une
froide colère.
Jean-Luc Lacuve le 08/06/2006.