Un garçon d'une vingtaine d'années est découvert, mort, dans une allée du cimetière du Père-Lachaise. Il a deux balles dans la tête : l'a-t-on assassiné, s'est-il suicidé ?
Il s'appelait Charles. Il menait semble-t-il, la vie des jeunes gens de son époque. Entouré d'amis, il passait de nombreuses heures en discussions sans fin sur les dangers qui menacent le monde : pollution, gaspillage des ressources naturelles, décomposition du tissu social, famine, guerre... Alberte, Edwige, Michel, le militant écologiste qui croit aux vertus de la lutte politique, s'étaient inquiétés de voir le désespoir gagner peu à peu Charles, épris d'absolu, partisan du tout ou rien. Ils l'avaient convaincu de consulter un psychanalyste. Charles n'avait alors retenu, au milieu de phrases, pour lui, inutiles, qu'une information : dans la Rome Antique, les candidats au suicide demandaient à un esclave de les aider à mourir.
Or, Charles avait, quelque temps auparavant, tiré d'une mauvaise passe un jeune drogué, Valentin. C'est à celui-ci que le jeune homme demanda, un soir, dans une allée du cimetière du Père-Lachaise, de lui tirer deux balles dans la tête.
Dans ce film Bresson ne se départit pas de son style austère, unique et puissant, qu'aucun autre réalisateur n'est parvenu à égaler. Il se concentre sur les détails intimes d'une histoire, les préparations ou le résultat des événements autant que sur l'événement lui-même.
Le déroulement de l'histoire semble ainsi faire partie d'un plan préétabli sur lesquels les personnages les plus lucides savent qu'ils ne possèdent qu'une faible marge de manuvre. Le film déploie ainsi une trame narrative importante : il narre le cheminement vers la mort de son personnage principal, Charles, ainsi que les tourments amoureux dont sont victimes Alberte et Edwige qui l'aiment et Michel qui aime Alberte. Le film dresse aussi une charge sans nuance sur la société industrielle. Pourtant, aucun accès de colère, aucun cri, aucune dispute ne peuvent être relevés. Tous les personnages se chargent de couper court à toute volonté de l'un ou l'autre de changer l'état des choses. Et, lorsque les trois amis de Charles croient l'avoir sauvé en l'envoyant chez le psychiatre, c'est là qu'il trouve la solution à son problème en se faisant souffler l'idée d'un suicide commandé.
La confrontation entre le monde intérieur de l'esprit et de la réalité externe d'un monde physique brutal est toujours médiatisée. Elle se fait par l'entremise de projections de documents sur les horreurs de la pollution, par une discussion avec un prêtre dans l'Eglise de saint Remy ou lors d'une conférence organisée par un scientifique d'EDF.
Le jeu des acteurs, la fameuse minéralité des modèles de Bresson, participe de la marche inéluctable du destin. Celui-ci est bien sur pris en charge par la mise en scène. Aucun plan ne peut donner l'idée de ne pas avoir été pensé. Il démarre souvent avant à l'arrivée du personnage dans le champ et aucun recadrage n'intervient entre l'entrée et la sortie du personnage. Les plans semblent lui préexister comme conçus par Dieu (ou Bresson) lui-même.
L'important semble être que, avant d'être arrêtés
par le destin, les personnages continuent de parler, de circuler et d'échanger
d'où ces plans incessants sur des portes ouvertes ou, au contraire
qui tardent à s'ouvrir (bus, voitures, ascenseurs, appartements). Puisque
les acteurs circulent encore, alors qu'importe de montrer leur visage ; leur
démarche est bien la plus importante (on se souvient que le film s'ouvre
et se termine sur des plans de chaussures, celles de Valentin).
La durée du plan va de pair avec la sobriété du cadre, raréfié, selon la terminologie de Deleuze (IM, p.32). L'objet présenté (une fiole de poison, un pull et des bouteilles de coca-cola vides...) acquiert ainsi une densité qui exclue tout rôle du hasard. En contrepartie de cette maîtrise du cadre, le monde du film semble emprisonné sous une chape de plomb. Eglise, métro, appartements dominent nettement sur les plans de nature, dégradée le plus souvent à l'exception de la scène de baignade.
Jean-Luc Lacuve le 15 novembre 2004
Le diable probablement :
Charles : Ce qui est magnifique c'est que pour rassurer les gens il suffit
de nier l'évidence.
Michel : Quelle évidence ? On est en plein surnaturel, rien n'est visible.
Les gouvernements ont la vue courte.
Passager n°1 : N'accusez pas les gouvernements ! Dans le monde entier,
à l'heure actuelle, personne ne peut se venter de gouverner. Ce sont
les masses qui régissent les évènements ; des forces
obscures dont il parfaitement impossible de connaître les lois.
Passagère n°2 : C'est vrai que quelque chose nous pousse contre
ce que nous sommes.
Passager ° 3 : Il faut marcher, marcher.
Passager n°4 : En marchant, je peux être celui qui rouspète
toujours ? (phrase assez indistincte)
Passagère n°2 : Qui est-ce donc qui s'amuse à tourner l'humanité
en dérision ? Oui, qui est-ce qui nous manuvre en douce ?
Passager n°1 : Le diable probablement.
Charles : "La croissance ! La croissance
de quoi ? Du bonheur, par la carte de crédit ?
La jouissance effrénée, faire l'amour comme une brute, une bête
féroce.
Non-action, plaisir du désespoir. Si je fais quelque chose, je me rendrais
utile, même pour très peu dans un monde qui me dégoûte.
Si je perdais la vie voilà ce que je perdrais (en énumérant
un annuaire) : l'éducation de 9 à 10 ans, l'éducation
de 11 à15 ans, la bibliothèque de l'homme cultivé, la
taxe locale d'habitation, les acomptes provisionnels....
Je crois le plus que je peux à la vie éternelle mais, si je
me suicide, je ne peux imaginer que je serai jugé pour n'avoir pas
compris ce que personne ne peut comprendre.
Plus rien de politique dans ma vie, si ce n'est le refus de toutes les politiques.
Je ne suis pas déprimé. Je veux seulement avoir le droit d'être
ce que je suis. Je ne veux pas que l'on me force à ne plus vouloir,
à remplacer mes non désirs par de faux désirs, calculés
par des statistiques, des sondages, des calculs, des classifications américano-soviétiques
super-connes. Je ne veux pas être un esclave.
Je n'ai pas envie de mourir : je déteste la vie mais je déteste
aussi la mort.
Le libraire, l'ennemi : "accélérer le processus de désagrégation psychique en cours par le livre, le film la drogue". Edwige dira de lui : "Il y a quelque chose en vous de ridicule qui vous donne un air comique, je me marrerai de vous toute ma vie". Le chèque avec Alberte. Propose le livre de Michel mais le cache sous des piles d'autres livres. Distribue des images érotiques et des textes, probablement du même acabit dans les livres de messe dans l'Eglise de saint Remy.
Valentin est-il une figure du diable ? Comme Alberte pourrait-être Marie, Charles, le Christ et Michel, l'archange...