(grelots/générique). Un landau tiré par deux chevaux sort d'un château et emprunte une allée bordée d'arbres. Pierre et Séverine s'y déclarent leur amour grandissant même si tout n'est pas parfait. Pierre regrette en effet la froideur de sa femme que celle-ci reconnaît tout en ironisant sur l'inutile tendresse de son mari. Celui-ci arrête les chevaux, exige que sa femme sorte du landau et l'en expulse grâce aux deux cochers. Ceux-ci la bâillonnent et l'entraînent au fond des bois où, sous les ordres du mari, ils la fouettent. Pierre offre alors sa femme à l'un des cochers qui vient se presser contre elle et l'embrasser.
Dans la chambre de Pierre et de Séverine, celui-ci lui demande à quoi elle pense. Elle rêvait d'une promenade en landau avec lui, lui dit-elle. "Toujours le landau", réplique celui-ci. Pierre lui promet un voyage pour le lendemain, jour de leur premier anniversaire de mariage et embrasse sa femme mais celle-ci le repousse tout en s'excusant lorsqu'il tente d'aller plus loin. Ils s'endorment chacun dans leur lit.
Aux sports d'hiver où Pierre a emmené Séverine, ils sont accompagnés de Renée, une amie du couple, et de son compagnon Husson, bellâtre oisif, riche, jouisseur et cynique dont les compliments mettent mal à l'aise Séverine.
De retour à Paris, Renée parle à Séverine de leur amie Henriette qui se prostitue dans une maison close clandestine. Rentrée chez elle, Séverine est troublée. Husson a envoyé des fleurs, elle renverse la vase puis un flacon de parfum. Lui reviennent en tête les attouchements qu'elle subit enfant de la part d'un ouvrier. Le soir, elle demande à Pierre s'il a fréquenté des maisons closes puis de l'aider à dormir comme on prend soin d'un enfant.
Dans son club de tennis, Séverine croise Henriette. Elle est ensuite abordée par Husson qu'elle repousse non sans que celui-ci ait eu le temps de lui donner l'adresse de madame Anaïs qui tient la maison close clandestine : 11 cité Jean de Saumur.
Séverine s'y rend un matin avant de faire demi-tour puis revient avec des lunettes noires. Lui revient en tête le souvenir d'un refus de communion lorsqu'elle était enfant. Madame Anaïs est immédiatement séduite par la classe de Séverine et l'engage si elle lui laisse la moitié de ses gains. Elle la baptise Belle de jour puisque Séverine ne veut venir que de 14 heures à 17 heures. Un peu effrayée, Séverine va voir Pierre à l'hôpital mais celui-ci ne peut déjeuner avec elle. Elle retourne donc chez madame Anaïs à 14 heures où elle rencontre ses collègues : Mathilde la rousse et Charlotte, la brune. Son premier client est Monsieur Adolphe, un bon vivant, industriel de Bordeaux qui comme Anaïs comprend que Séverine doit être menée à la baguette.
De retour chez elle, Séverine se douche et fait flamber ses sous-vêtements. Lorsque Pierre la rejoint et renonce à leur sortie prévue le soir, elle s'endort aux sons des grelots, rêve de Pierre et Husson entourés de taureaux nommés remords et expiation. Il est entre deux et cinq heures et Husson remplit un seau de terre noire qu'il jette ensuite sur Séverine, attachée et vêtue de blanc sous le regard de son mari.
Séverine revient au bout d'une semaine chez madame Anaïs. Celle-ci, en colère de sa désinvolture à son égard, la reprend à condition qu'elle revienne quotidiennement. Séverine a alors pour client, le professeur, un médecin pour femme. Il se fantasme valet de madame la marquise. Séverine ne se montre pas assez ferme et doit observer depuis un œilleton de la chambre voisine, Charlotte humilier le professeur. Séverine apprécie en revanche son client japonais, un gros homme qui lui montre sa boîte à musique d'où s'échappe un son de moustique et qui agite gaiement un grelot dans sa main. Anaïs reçoit aussi la visite de Cathy la fille de la femme de ménage, Pallas qui habite au-dessus et dont elle vérifie soigneusement el carnet de notes. Pallas doit néanmoins protéger sa fille de la concupiscence du Japonais, sortant de la chambre de Séverine. Pallas constate en rentrant dans celle-ci une tache de sang sur une serviette. Séverine est allongée sur le ventre et rêve d'un homme distingué, au monocle venant en landau près de l'hôtel chic de La cascade. L'homme au monocle, le duc, l'interroge sur son nom et remarque qu'il avait une chate nommée belle de l'ombre. Séverine avoue se rendre en pensée ici tous les jours. Le duc l'invite chez lui, dans son château à une heure de Paris, pour une cérémonie religieuse. Il promet de venir alors la chercher à la gare. Lorsqu'il part, Séverine remarque qu'il emprunte le landau de son fantasme conduit par les deux cochers. C'est dans ce même équipage qu'elle arrive au château qui est celui de son fantasme initial. Le majordome l'habille d'un déshabillé noir transparent. Dans le cercueil où elle est allongée, Séverine entend l'orage qui gronde. Le duc rentre avec un appareil photo, dépose des asphodèles dans son cercueil. Elle est se sa fille bien aimée. Étrangement, il renonce à dit-il "faire entrer les chats". Il se glisse sous le cercueil, Séverine l'entend s'agiter, se masturbe probablement. Séverine est chassée sans ménagement par le majordome sous la pluie. Le soir, elle vient se blottir dans les bras de son mari et lui dit se rapprocher de lui.
Husson vient lui rendre visite, elle le chasse. Elle rêve être attablée de nouveau aux sports d'hiver avec Pierre, Renée et Husson. Celui-ci lui dit lui avoir écrit une lettre. Il casse le cul d'une bouteille et s'en va sous la table avec elle. Renée déclare à Pierre que l'enveloppe contient des graines d'asphodèles.
Sur les Champs-Élysées, un homme achète le New York Herald tribune puis, avec un complice, moleste un employé. Ils le délestent de sa sacoche d'argent. L'homme se nomme Hyppolyte et conduit son complice, Marcel, chez madame Anaïs dont il est un client irrégulier. Marcel, aux dents gâtées et aux chaussettes trouées, est immédiatement séduit par Séverine qui répond à cette attirance.
Pierre a emmené sa femme en vacances sur une plage. Le couple s'ennuie et Séverine s'interroge sur ses sentiments. Hyppolyte et Marcel négocient dans un café de la drogue à revendre. Marcel est impatient de retrouver Belle de jour et téléphone sans cesse chez madame Anaïs pour savoir si elle est revenue. A son retour, il lui fait une scène puis accepte en apparence de se contenter de sa présence chez madame Anaïs. Séverine est radieuse avec son mari qui souhaite un enfant. Pierre est frappé, comme d'une prémonition, par un fauteuil d'infirme dans la rue.
Un jour, Husson finit par la découvrir et l'humilie en n'acceptant pas de coucher avec elle : il n'était attiré que par la femme d'un boyscout. Assise dans le fauteuil, Séverine s'échappe dans le rêve. C'est un duel entre Pierre et Husson. Séverine est touchée à la tempe avec un bruit de machine à laver. Sortant de la chambre, Séverine déclare à madame Anaïs qu'elle veut arrêter de se prostituer. Celle-ci la regrette mais l'approuve tant Marcel est devenu insistant. Dans la rue, Séverine est suivie à son insu par Hyppolyte.
Marcel ne tarde pas à lui rendre visite chez elle. S'emparant du portrait de Pierre il déclare "Voilà l'obstacle". Il rejoint Hyppolyte qui l'attend dans sa voiture mais Marcel lui demande de partir sous la menace de son arme. Séverine entend les coups de feu. C'est sur Pierre qu'on vient de tirer. Marcel s'enfuit mais cause un accident avec sa voiture. Poursuivi par la police, il est abattu.
Les jours passent, la pluie tombe. Bien que très grièvement blessé, Pierre survit à ses blessures. Il sort de l'hôpital presque aveugle et partiellement paralysé sur une chaise roulante. La police ne parvient pas à élucider les motifs de la tentative de meurtre, et Séverine, apaisée, devient la garde-malade de son mari, tout aux petits soins pour lui. Le calme semble revenu dans l'appartement bourgeois du couple... jusqu'à ce que Monsieur Husson s'y annonce. Avec son cynisme habituel, il déclare à Séverine que, dans une volonté de libérer Pierre, son ami infirme, de la reconnaissance qu'il croit devoir à sa femme, il va lui révéler comment elle occupait ses après-midi. Séverine ne peut s'opposer à la révélation. Husson lui propose d'assister à l'entretien. Mais elle préfère rester dans l'antichambre, fermeer les yeux.
Lorsque Séverine rentre dans le salon, elle se met à sa broderie. Elle s'adresse tendrement à son mari, mais réalise qu'il est comme terrassé, sans réactions et que les doigts de sa main, grande ouverte sur une cuisse, ne bougent plus du tout alors que des larmes ont coulé sur ses joues. Effrayée par cette mort terrible, Séverine fantasme que son mari a miraculeusement retrouvé la santé et qu'ils vont de nouveau partir à la montagne.. Il quitte son fauteuil d'infirme et ses lunettes noires d'aveugle, ils s'embrassent amoureusement. La clochette du landau se fait entendre et, de sa fenêtre, Séverine voit de nouveau le landau tiré par deux chevaux et conduite par les deux cochers. Il s'avance dans la même grande allée du château mais contrairement au fantasme initial, le couple Serizy n'est plus assis à l'arrière : les banquettes sont vides.
Du roman de Joseph Kessel, Buñuel (et son scénariste Jean-Claude Carrière) retient les personnages avec leurs noms et fonctions, les principales péripéties et le thème d'une femme qui ne parvient pas à concilier son amour pour son mari avec ses pulsions sexuelles. Dans le roman, l'origine de la perversion de Séverine est présenté dès le préambule. Enfant, elle a été violée par un plombier venu faire quelques travaux chez ses parents. Traumatisée, elle n'en a pas gardé le moindre souvenir. Le film est plus mystérieux. Sa tonalité d'inquiétante étrangeté provient d'une réalité sensuelle vécue douloureusement, de flashes mentaux et de fantasmes mis en scène dans la maison close ou fantasmés par Séverine. Ces créations de Buñuel enrichissent considérablement la personnalité de Séverine.
Remords et expiation
Le traumatisme dont Kessel fait l'origine de la névrose de Séverine est aussi évoqué mais brièvement au détour de deux plans, vécus comme des flashs mentaux par Séverine. Enfant, elle fut victime d'attouchement par un ouvrier alors que sa mère l'appelait dans le salon. Cet événement revient dans son rêve sous la manière brutale dont le cocher s'approche d'elle pour la violer dans le fantasme initial. Il n'est ainsi plus refoulé et, dès lors, prend naturellement moins d'importance. Dans le roman, tous les plaisirs renvoient à un homme grossier et lourd : M. Adolphe (assez proche là du personnage interprété avec faconde par Francis Blanche) mais aussi des personnages supprimés du film : l'homme de l'impasse lourd et grossier ou M. Léon avec lesquel elle connait le plaisir alors qu'elle répugne à coucher avec André Millot, l'écrivain, du même milieu qu'elle.
En contrepartie, Bunel invente le personnage masochiste du professeur et le gros japonais à la boîte à musique et au grelot ainsi que Pallas, la femme de chambre et sa fille, Cathy. Plus importants encore sont tous les fantasmes qui assaillent Séverine : La séquence entre Husson et le mari évoquant les rendez-vous de deux à cinq heures devant des taureaux dont les noms sont "Remords" et "Expiation" puis couvrant de boue une Séverine, attachée et habillée de blanc. Autre courte scène fantasmée, le duel entre Husson et Pierre où la balle atteint Séverine à la tempe.
Ces figures du remord sont confirmées par l'autre très court flash mental, invention cette fois de Buñuel qui fait pendant aux attouchements ; le refus la communion. Le plaisir coupable qu'elle éprouva aux attouchements lui fit prendre conscience qu'elle n'avait plus l'innocence requise pour communier.
Landau et château : sodomie et inceste
Les scènes d'ouverture et de clôture du film avec le landau relèvent du fantasme de même que la scène centrale de cérémonie funèbre du duc désirant sa fille en secret et qui finit, selon les dire de Buñuel, par se masturber sous le cercueil de Séverine. Chacune de ces séquences est introduite ou par le son off des grelots des chevaux qui font aussi écho au grelot que le Japonais agite dans sa main. Que peuvent dont bien signifier ces scènes qui sont aussi irritantes à saisir que le moustique dont le bruit semble sortir de la boite à musique entrouverte de ce même japonais ?
Séverine est tout de suite heureuse de faire l'amour avec le gros Japonais. Lorsque celui-ci s'en va, Pallas découvre dans la chambre une serviette tachée de sang et lui demande comment elle peut supporter ça. L'interprétation classique, perte de la virginité et difficulté à supporter la prostitution, ne peut suffire. Séverine couche avec son mari même sans plaisir et elle a aussi fait l'amour avec M. Adolphe. Pareillement, on voit mal Pallas associer le "ça" à la prostitution dans une maison close. Le "ça" et la tache de sang renvoient donc à autre chose qui est probablement la sodomie. Séverine est allongée sur le ventre mais surtout plus tard à la question d'Hyppolyte demandant pourquoi Séverine a tant de succès, madame Anaïs répondra : "c'est une perle". Il ne s'agit pas seulement d'une allusion à la classe de Séverine mais aussi comme le geste de madame Anaïs le suggère qu'elle peut être enfilée par les deux trous. Un peu moins explicite est le trou au talon de la chaussette de Marcel quand il lui fait l'amour ou le cul de la bouteille cassé par Husson avant de filer sous la table avec Séverine.
Ainsi si le Japonais avec toute sa bonhommie marque les débuts de Séverine dans la sodomie il permet aussi avec le grelot de donner une unité aux trois fantasmes du landau qui commence et finissent tous avec ce signal sonore. Les premiers plaisirs coupables tout en la laissant vierge que connu Séverine sont peut-être plus à associer à son père qu'à sa mère qui par son ordre de venir dans le salon lui fit échapper au désir de l'ouvrier plombier. Le mystérieux château pourrait être la résidence des parents, toujours regretté mais dont Séverine est jetée brutalement par le majordome. Son gentil mari lui permettait de refouler ce traumatisme avec des fantasmes anodins. Maintenant qu'il est mort, le landau est vide et l'angoisse saisit Séverine : comment va telle peupler ses fantasmes ?
En 40 ans la psychanalyse a fait de nombreux progrès. Elle s'avère bien plus complexe en 1967 qu'en 1928, pour dresser son portrait de femme tragique Buñuel a donc dû complexifié son personnage.
Jean-Luc Lacuve le 18/04/2007
A noter que dans Belle Toujours (2006), Manoel de Oliveira confirmera la mort de Pierre en réalisant une fable ou Séverine, vieillie sous les traits de Bulle Ogier, viendra demander à un Husson-Piccoli alcoolique si, oui ou non, il a révélé à Pierre ses turpitudes passées.
Le "11 cité Jean de Saumur" est tout aussi fictif que le "9 bis rue de Virène" du roman. C'est dans le square Albin-Cachot (13e) que se situe l'appartement Mme Anaïs. Catherine Deneuve rentre à l'actuel no 3 du square mais la cage d'escalier est située à un autre numéro alors que l'appartement utilisé était celui de l'assistant de Buñuel.