L’Adamant est amarré quai de la Rapée, sur la rive droite de la Seine, à deux pas de la Gare de Lyon. C’est un "centre de jour" au sein de l’hôpital psychiatrique Esquirol. C’est un bâtiment en bois de 650 m2, doté de grandes baies vitrées ouvertes sur la Seine.
Ce matin là, François, grand gaillard élancé, la cinquante, édenté, chante en intégralité, magnifiquement et avec énergie La bombe humaine de Téléphone. Il est accompagné à la guitare par Guillaume, un soignant, et tous, au bar, applaudissent la performance. C'est la réunion du lundi matin et Muriel et une soignante établissent l'ordre du jour avant de présenter le nouveau, un stagiaire. Un soignant propose de préparer un festival pour fêter les dix ans de Travelling, le ciné-club sur le thème "ensemble mais séparés". Muriel, au soleil, s'inquiète de savoir si Nicolas et Erik ont une voiture pour transporter leur matériel de tournage. La soignante qui accompagnait Muriel écoute maintenant un jeune garçon au collier de barbe qui identifie des comportements humains à des images : pigeon, purée, orange. François explique à Guillaume avoir été le grand échec de son père. Il rend grâce aux soignants mais reconnait être obligé de prendre des médicaments pour ne pas sortir complètement du réel.
Lors de l'atelier dessin, Olivier explique le sien : ce sont des ses deux filles qui font des gommettes et au revers il montre le projet du lendemain: aller au zoo avec la plus grande. Fréderic a fait des recherches qui l'on conduit à penser que son frère et lui sont la réincarnation de Vincent et Théo van Gogh. Dans l'atelier chant, Nadia, bulgare tout juste naturalisée française, chante l'hymne Bulgare sous l'œil complice de Laurent qui a aussi autrefois été naturalisé.
L'atelier dessin; Marc présente un dessin surréaliste où ressort le gros pif d'un visage. Il propose alors avec humour de donner pour titre à son dessin : "le visage au gros pif". Une femme présente aussi le sien aux formes abstraites et colorées que les autres patients trouvent très suggestif alors que Muriel se contente d'y voir une oreille. Muriel présente ensuite le sien, une mante religieuse verte qui est venue se substituer à une girafe.
Marc joue du piano. Catherine, dehors, danse. Frédéric enregistre une chanson qu’il écoute au magnétophone. Plus tard, il se dira imprégné de la dernière rencontre entre Jim Morrison et Pamela.
Un homme sur un canapé parle de la haine qu'il a peur d'accumuler en lui. Une femme souffre que son enfant soit depuis cinq ans dans une famille d'accueil mais admet que c'est mieux pour lui. Elle le verra bientôt. Un adolescent porte un collier de perles de verre pour écarter les mauvaises ondes. Une femme âgée se fige pour dire " je ne suis pas libre". Vous, vous avez votre liberté"
A l’automne, le festival du ciné-club présente sa programmation avec des soirées plus festives mais moins de discussion ensuite pour que chacun puisse rentrer à l'heure. Frédéric animera la première séance (Huit et demi, La comtesse aux pieds nus, Au travers des oliviers...) Catherine demande à être responsable d’un atelier danse. Elle le ferait pour rien pour le plaisir de transmettre ; les soignants expliquent que cela ne sera pas si facile à mettre en œuvre.
Après avoir tourné La moindre des choses (1996) Nicolas Philibert aborde à nouveau la psychiatrie. L'Adamant, bâtiment en bois de 650 m2, doté de grandes baies vitrées ouvertes sur la Seine, amarré quai de la Râpée est un "centre de jour" au sein de l’hôpital psychiatrique Esquirol. C’est un lieu où les patients atteints de troubles psychiques renouent avec la beauté du monde, encadrés par une équipe de soignants qui réinventent sans cesse une façon d'être avec eux.
L'Adamant, "centre de jour" fait partie du pôle psychiatrique Paris Centre, qui comprend également deux CMP (Centres Médicaux Psychologiques), une équipe mobile, et deux unités (Averroès et Rosa Parks) au sein de l’hôpital psychiatrique Esquirol - bien connu autrefois sous le nom d’asile de Charenton - lui-même rattaché aux Hôpitaux de Saint-Maurice. Ce n’est donc pas un lieu isolé, car toutes les structures qui composent le pôle, reliées les unes aux autres, forment un maillage dans lequel patients et soignants sont constamment appelés à circuler, chacun pouvant construire sa propre cartographie, trouver sa propre solution entre les différents points d’appui proposés.
L'Adamant, le film, est le premier volet d’un triptyque dont le tournage est déjà achevé. Le second volet à Esquirol (Charenton) au sein des deux unités intra hospitalières qui relèvent du pôle Paris centre s’intitulera Averroès et Rosa Parks puisque c’est leurs noms. Il repose en grande partie sur des entretiens individuels entre patients et psychiatres. On y retrouvera quelques patients filmés sur l’Adamant, et d’autres. Le troisième film regroupera des visites à domicile, effectuées chez des patients, par des soignants. Il n’a pas encore son titre définitif. Cette fois encore, on y retrouvera quelques visages connus. Nicolas Philibert insiste sur le fait que les trois films sont complètement autonomes. Nul besoin d’avoir vu le premier pour voir les suivants. On pourra les voir dans l’ordre que l’on veut ou n’en voir qu’un seul. Il est toutefois probable que la situation dégradée de la psychiatrie publique y sera abordée.
Le tournage, qui s'est effectué en plusieurs fois, a fini par s’étaler sur sept mois, de mai à novembre 2021, car le Covid s’est mêlé de la partie. Quelques journées isolées début 2022 ont complété le tournage. L’équipe au complet comptait quatre personnes : un ingénieur du son, un ou une assistante caméra, un stagiaire, et le cinéaste derrière la caméra. Pour filmer une réunion, un atelier, il fallait percher, tourner certains jours à deux caméras. Mais pour des situations plus intimes, la moitié de la centaine d'heures de rushes, Nicolas Philibert se débrouillait seul.
Il ainsi trouvé un point d’équilibre entre les moments de vie quotidienne, avec tout ce qui peut venir la scander - ateliers, réunions, bar, échanges informels - et les moments plus intimes dans lesquels une personne confie un petit bout de son histoire. Le projet est bien explicité par le carton final : "Dans un monde où penser se réduit si souvent à cocher des cases, et où l’accueil du singulier est de plus en plus écrasé, il y a encore des lieux qui ne cèdent pas, qui tentent de maintenir vivante la fonction poétique de l’homme et du langage… ". On s'interroge davantage sur le sens de la phrase en exergue du film, attribuée à Fernand Deligny : "Il faut des trous pour que les images viennent se poser". L’unité du film est en effet assurée entre le collectif, le point de vue thérapeutique et quelques "personnages" récurrents, auxquels on peut s’attacher. Et il est en effet difficile d'oublier François, Muriel, Olivier, Frédéric, Nadia, Marc, Catherine...
Jean-Luc Lacuve, le 23 avril 2023
Source : dossier de presse.