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Persona

1966

Voir : photogrammes du film
Thème : Psychanalyse

Avec : Bibi Andersson (Alma), Liv Ullmann (Elisabeth Vogler), Margaretha Krook (la doctoresse), Gunnar Björnstrand (monsieur Vogler), Jorgen Lindstrom (le jeune garçon). 1h25.

Poème-Prologue : Les charbons d'un projecteur de cinéma s'allument. Ecran Blanc. La pellicule commence à défiler sur le son d'une sonnerie avec un compteà rebours : 10, 9, 8, 7 ; un sexe masculin, un frêle morceau de pellicule dans la fenêtre de projection : une jolie et opulente femme, dessinée, rame et se tâte les seins. Dans un court extrait burlesque, un homme tente d'échapper à un squelette, la mort, pour tomber sur le diable et s'enfuir dans un lit. Une araignée, un mouton qu'on égorge, des viscères, des mains crucifiées. Un tronc d'arbre de très près; des arbres dans la forêt sous la neige. Une grille. Dans une sorte de morgue, des dépouilles humaines paraissent bizarrement vivantes sous leurs draps rêches. Un garçon à lunettes abandonne son livre pour tenter de saisir de ses mains le visage de sa mère, flou sur un écran. Générique.

L'infirmière Alma est appelée par la doctoresse qui lui demande si elle a déjà vu Elisabeth Vogler et lui explique pourquoi elle est là. C'est une actrice renommée qui a perdu subitement l'usage de sa voix, au cours d'une représentation théâtrale de Phèdre. Elle est restée trois mois ainsi prostrée.

Alma se présente à Elisabeth. Elle a 25 ans, est fiancée et est infirmière depuis deux ans. Alma déclare à la doctoresse craindre de n'être pas à la hauteur avec son peu d'expérience. Alma tente ainsi sans succès de faire entendre à Elisabeth une pièce de théâtre à la radio que la malade éteint avec vivacité. Alma dit respecter l'art et met de la musique à la place.

Elisabeth s'endort difficilement. Alma se met de la crème de nuit sur le visage et pense à sa future vie de famille, déjà toute réglée, ce qui lui donne un sentiment de sécurité. Elle s'interroge sur sa malade.

Elisabeth regarde les actualités à la télévision. Guerre du Vietnam. Émeutes. Un bonze s'est immolé par le feu ce qui l'horrifie.

Alma lit, avec l'accord d'Elisabeth, une lettre de son mari. Elisabeth l'interrompt. Il y a aussi la photographie de leur fils d'une dizaine d'années qu'Elisabeth déchire.

La doctoresse, amie d'Elisabeth, lui propose sa maison au bord de la mer. Elle sait qu'Elisabeth a décidé de se taire, traumatisée par son sentiment d'imposture, tout en souhaitant, en même temps, que l'on découvre qui elle est vraiment : quelqu'un d'autre que l'image d'une femme forte qu'elle donne d'elle-même. Son silence est une forme douce de suicide : se taire pour ne pas mentir.

A la fin de l'été, Elisabeth et Alma sont dans la villa solitaire de la doctoresse au bord de la mer. Elisabeth a repris goût à la vie. Le mutisme absolu semble servir de refuge à l'actrice, d'autant plus qu'Alma parle abondamment, raconte les faits marquants de sa vie. L'échec de sa première relation amoureuse avec un homme marié durant cinq ans, sa foi en son métier puis, tard le soir et le vin aidant l'événement qui l'a traumatisé. Alors qu'elle connaissait son fiancé, elle vécut des orgasmes à répétition avec un jeune garçon sur une plage avec une amie. Elle fit ensuite l'amour avec son fiancé dans ce souvenir et n'éprouva jamais une telle intensité de plaisir. Elle dû ensuite avorter et compris alors que la vie est moins simple qu'elle ne le croyait. Elisabeth console Alma que ces confidences intimes ont fait pleurer. Alma dit qu'elle pourrait être Elisabeth. Alma entend Elisabeth lui conseiller d'aller se coucher ou est-ce une voix intérieure. Au petit matin dans la brume, Elisabeth vient voir Alma dans son lit. Elle s'en va puis revient. Alma se lève et vient se pencher sur elle. Elisabeth caresse les cheveux d'Alma. Fondu au noir.

Sur la plage de rochers, Elisabeth prend des photos. Elisabeth nie avoir parlé durant la nuit et être allée la voir.

Elisabeth donne une lettre à poster à Alma. Celle-ci ne peut s'empêcher de lire cette lettre adressée à son amie la doctoresse. Elisabeth dit reprendre goût à la vie grâce à Alma qui dit-elle, a de l'amitié et même de l'amour pour elle. Elle s'amuse à étudier son infirmière : ses remords d'orgie, son infidélité à ses principes. Cette lettre, juste, affecte Alma. Elle laisse Elisabeth marcher sur un morceau de verre. Elisabeth la regarde interloquée. La pellicule se déchire et brûle. Retour aux images burlesques du début, œil en gros plan, rideau, et flou.

Elisabeth s'enquiert d'Alma. Celle-ci voudrait rentrer. Elle demande à Elisabeth de lui parler et, comme celle-ci reste mutique, Alma s'emporte, lui dit qu'elle s'est servie d'elle et qu'elle la rejette maintenant. Elle avoue avoir lu la lettre à son amie la doctoresse qui n'était pas cachetée. Elisabeth la frappe mais crie un "Non arrête!" quand Alma va lui jeter de l'eau bouillante au visage. Alma se satisfait de lui avoir fait peur et griffe la joue d'Elisabeth. Celle-ci essaie d'en rire. Alma pleure. Elisabeth veut la réconciliation. Alma lui en veut d'être si équilibrée. Elisabeth fuit. Alma pleure de ne pas recevoir le pardon qu'elle implore d'Elisabeth et reste sur la plage jusqu'à la tombée de la nuit. Aucune des deux femmes ne semble vouloir céder.

Elisabeth s'endort en regardant la photo de Jackie Coogan. Peut-être est-elle prête maintenant à se rendre avec l'innocence de l'enfance. L'orage gronde, Alma a des cauchemars. Elle écoute la radio (nous ne nous appelons pas... Nous ne nous entendons pas... Nous ne nous comprenons pas) et entend une voix appeler "Elisabeth". Elle s'approche de sa malade qui semble dormir et observe son visage qu'elle trouve laid. La voix appelle encore. Elisabeth ouvre les yeux.

Le mari pose la main sur Alma. Il semble ne pas entendre la dénégation d'Alma disant ne pas être Elisabeth. Il dit la douleur de leur enfant. Alma nie de nouveau être Elisabeth. Celle-ci, qui s'est approchée, guide la main d'Alma vers le visage de son mari qui semble être aveugle derrière ses lunettes noires. Il souhaite qu'elle guérisse, que leurs efforts pour rester ensemble soient payés de retour. Alma se jette dans ses bras et donne des nouvelles encourageantes de sa santé. Elle dit penser à leur enfant et lui donne tendresse et compliments. Plus tard, allongés, ils semblent avoir fait l'amour. Alma-Elisabeth s'affole, se trouve pourrie, froide indifférente. Tout n'est que honte et mensonge dit-elle alors qu'Elisabeth regarde le couple. Fondu au blanc.

Sur la table de bois, les deux mains d'Elisabeth. Elle cache la photo de son petit garçon qu'elle avait déchirée. Alma semble avoir compris avec une sorte de don de double vue le traumatisme d'Elisabeth. Elle dit à celle-ci face caméra : Quelqu'un, un jour dans une fête, lui a dit qu'elle avait tout sauf l'expérience de la maternité. Elle en rie mais cela l'inquiète et elle se laisse faire un enfant par son mari. Puis elle s'inquiète que sa maternité va l'éloigner du théâtre. Peur des responsabilités. Elle tente d'apparaitre heureuse, essaie de se débarrasser du fœtus, se met à haïr l'enfant, espère qu'il meure (Elisabeth approuve de la tête). L'accouchement est douloureux, demande au bébé de mourir mais survit mais pleure et le déteste avec mauvaise conscience. Enfin, elle retourne au théâtre mais l'enfant a besoin de l'amour de sa mère. Elle ne peut lui rendre l'amour qu'il implore. Elle se trouve froide et indifférente. L'enfant lui répugne et lui fait peur.

Répétition du même discours que précédemment amorcé par un "nous devons en parler" et Alma face caméra avec Elisabeth en amorce. Alma en plus gros plan. Alma en plus gros plan encore. Très gros plan. Double visage, Alma-Elisabeth, une seule fois. Alma prend peur. Elle n'est pas Elisabeth mais Alma. Elle veut.. La fusion des deux visages a lieu. Fondu au blanc.

Elisabeth, seule à la table, voit arriver Alma en tenue d'infirmière. Alma lui dit avoir beaucoup appris, fait semblant de la frapper. Se demande combien de temps elle tiendra mais se sait différente. Elle change perpétuellement et est donc inatteignable. Alma s'énerve néanmoins puis se calme. "Parler n'aide pas". Elle veut se libérer, se gratte à se faire saigner. Elisabeth la lèche, Alma lui prend les cheveux et la frappe à toute volée

Plus tard, le visage d'Alma se recule. Elle rend visite à Elisabeth allongée et la prend dans ses bras et lui fait répéter "Rien". C'est ainsi que ce doit être. Souvenir des mains dans les cheveux fondu au noir ; écran blanc.

Alma se réveille en sursaut, habillée. Elle ouvre la porte et voit Elisabeth faire sa valise. Alma range la maison, rentre les coussins restés à l'extérieur et s'habille d'un manteau. Toujours le souvenir des mains dans les cheveux, met son chapeau et sort. Statue et regard affolé d'Elisabeth durant Phèdre. Une sonnerie qui pourrait être celle d'un plateau de cinéma où une caméra vient cadrer une femme allongée sur un lit. La sonnerie se confond avec celle du bus que prend Alma

Le petit garçon à lunettes tente d'approcher le visage de sa mère qui se fond au blanc sur l'écran. Les charbons du projecteur s'éteignent.

Le film s'ouvre sur un patchwork d'images apocalyptiques, dominé par une séquence de morgue où les dépouilles humaines paraissent bizarrement vivantes sous leurs draps rêches. Il raconte le traumatisme d'une actrice de théâtre (Liv Ullmann) qui perd l'usage de la parole. Hospitalisée aux bons soins d'Alma, une infirmière volubile (Bibi Anderson), elle refuse tout contact avec le monde extérieur. Envoyée en convalescence sur une île, la muette compare ses mains avec celles d'Alma. Les deux femmes finissent par fusionner pour ne plus faire qu'une.

Ce passage de la mort imminente à la réaffirmation d'une personnalité se compose de trois strates entrelacées. Le processus créateur (strate 1) transforme cette histoire de malade et de son infirmière (strate 2) en mise en scène d'une personnalité double (strate 3).

L'art poétique de Bergman

La première strate est celle du processus créateur. Avec cette oeuvre miroir, Bergman avoue avoir fait acte de survie :

"J'ai dit un jour que Persona m'avait sauvé. Ce n'était pas une exagération. Si je n'avais pas trouvé la force de faire ce film-là, j'aurais sans doute été un homme fini... Pour tenter de trouver l'inspiration, j'ai joué au petit garçon qui est mort, mais malheureusement il ne peut pas être tout à fait mort, car il est tout le temps réveillé par des coups de téléphone. Le début est un poème sur la situation qui a donné naissance à ce film. J'ai donc dégagé les éléments essentiels. Il y a un liseré blanc tout autour. Les personnages n'occupent pas tout l'écran, ils sont inscrits dans la blancheur."

Outre cette séquence initiale du poème, deux séquences réintroduisent l'idée du film dans le film. La consomption, le tremblement et le déchirement de la pellicule qui provoquent un effet de distanciation. Cet effet rappelle au spectateur que le sens du spectacle qu'il voit est différent de celui dont sont victimes les personnages. A la fin du film, le double coup de sirène suivi d'un plan de caméra sur un plateau de cinéma ont la même fonction. L'enjeu du processus créateur ne peut toutefois être compris qu'une fois mis en parallèle avec les deux autres strates du film.

L'infirmière et sa malade

La seconde strate, la plus attachante, est développée durant les trois quarts du film. Elle raconte l'histoire d'une infirmière et de sa malade. Devant sa patiente muette qui l'écoute l'infirmière vit une sorte de psychanalyse qui culmine avec la narration de l'orgie. Le rapprochement désiré par Alma, qui devient amoureuse d'Elisabeth, est néanmoins factice. Une lettre écrite par Elisabeth lui révélera leur complète opposition.

Pourtant un coup de force du scénario, le mari d'Elisabeth prend Alma pour sa femme, incite à penser que les deux femmes ne pourraient faire qu'une. C'est ce que met en scène la séquence dite de "la narration". Après qu'Alma aie raconté deux fois la même histoire du rejet de son enfant par Elisabeth, les visages des deux femmes se superposent après "effets spéciaux" (éclairage de la moitié des visages et superposition) qui anticipent le morphing par ordinateur.

La guérison des deux femmes est simultanée. Alma, la trop volubile, peut quitter la clinique enrichie de cette expérience et Elisabeth retrouve le désir de paroles.

un visage n'existe pas seul mais est lié au monde qui l'entoure.

Les deux femmes étaient pourtant au départ très éloignées. Alma agit sans trop se préoccuper des compromissions, de la fadeur de sa vie, du respect conventionnel dû aux artistes. Elisabeth recherche le maximum de conscience ce qui implique un renoncement à l'action. Bergman dit d'elle lorsqu'elle entend la pièce radiophonique :

" Elisabeth commence à rire, elle est tout exaltée. Elle se revoit exactement dans le rôle de Phèdre, elle croit s'entendre et se dit : quelle voix épouvantable ! Elle voit ses camarades, leurs visages maquillés - Bon sang, qu'est ce que nous sommes en train de faire ? Elle réfléchit, les mots sont inutiles, il n'y a qu'à se taire. Vous vous souvenez du premier gros plan d'elle, quand elle se retourne. Elle est debout, regarde autour d'elle, et un sourire apparaît sur son visage... Il n'y a pas de névrose dans tout ça. C'est ce qui est important chez Elisabeth. Le silence qu'elle s'impose n'est absolument pas névrotique. C'est la façon de protester d'un être fort."

Sur le plan formel quelques pistes avaient été esquissées. La plus forte venant du poème du début où sur l'écran trop blanc, l'enfant essaie de toucher un visage flou. Il y a désir chez Elisabeth comme chez Bergman qui, on l'a vu, s'est fait petit garçon, d'atteindre à l'art total celui qui remonte à l'enfance au rapport à la mère qui permettait une fusion globale avec le monde. Cette même image clôt le film. Le visage est devenu plus flou et c'est l'art qui permet la relation de l'être (aimant ou artiste) au monde.

Le titre "Persona" et le prénom de la garde malade, Alma, sont une allusion au conflit entre le persona (le masque social), et l'alma (le subconscient) dont vient la souffrance humaine pour le psychanalyste Carl Jung. La troisième strate transforme ainsi l'histoire de l'affrontement de deux personnalités en une mise en scène de la nécessaire relation à l'autre qui est à la base de la nature humaine.

Mais Bergman adapte cette théorie aux années 60 : le malheur des hommes viendrait en fait de l'absence de frontière entre le visible et l'invisible. Le monde réel ressemble désormais aux pires cauchemars. En 1968, le cinéaste pleure cette émotion dans une interview :

"Aujourd'hui, la réalité est absurde, aussi horrible, aussi impénétrable que nos rêves. Et face à elle, nous sommes sans défense, comme dans nos cauchemars...".

Mais le pire, pour lui, reste l'impossibilité de réagir face à ces atrocités, internes ou externes, véritables ou imaginaires. Ainsi écrit-il dans son journal en 1965 :

"Je suis incapable d'appréhender les grandes catastrophes. Elles ne touchent pas mon esprit. A la rigueur, je peux lire le récit de ces atrocités avec une espèce de convoitise, une pornographie de l'épouvante..."

D'où cette séquence du début où l'actrice regarde, impuissante et horrifiée, un reportage télévisé sur l'immolation d'un moine bouddhiste...

Persona est un film profondément intimiste. La folie du monde, inconsciemment perçu par Alma, rend Elisabeth impuissante. Ce n'est que par la réappropriation du monde par l'autre, qui n'est jamais si éloigné ou si proche que l'on pense, que la guérison peut avoir lieu. Elle donne la force de se replonger dans le monde. Le parcours d'Alma-Elisabeth, poème à la gloire de la création, donne aussi à cette oeuvre un caractère libérateur. Sa beauté provient des multiples parallèles, formels et humains, que Bergman réussit à tisser entre ces deux femmes si opposées pour en faire une figure quasi universelle du rapport à l'autre et au monde médiatisé par l'art.

Jean-Luc Lacuve, le 04/08/2007.

critique du DVD
Editeur : Opening. Novembre 2007. VOST
critique du DVD

Edition double DVD avec Scènes de la vie conjugale dans le coffret Bergman

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