La nuit, dans un hôpital psychiatrique de la province du Yunnan au sud-ouest de la Chine. "Le muet" et son compagnon dorment dans le même lit, à peine dérangés par leurs camarades de chambrée. Dans le couloir extérieur, c'est l'heure de la distribution de médicaments.
Song Shenyong, interné depuis vingt ans, se fait laver les pieds avec le plus grand soin dans la salle de télévision par un autre vieux prisonnier auquel il donne ensuite une cigarette. Les chambres, disposées autour d'un couloir en forme de rectangle autour d'une cour intérieure, comptent de deux à six lits. Le linge est propre mais chacun ne dispose que d'une ou deux bassines pour uriner qu'il faut ensuite aller vider. Certains urinent à même le couloir.
Le matin, il neige et les prisonniers la regardent tomber du haut de leur second étage, s'accrochant aux grilles qui les enferment pour mieux voir.
Ma Jian est un prisonnier plus jeune. Il est arrivé depuis cinq mois. Assez agressif, il fait pour se calmer du jogging en parcourant les couloirs. Il emplit un paquet de cigarettes vide d'épluchures d'oranges et voudrait, dit-il, avoir un livre pour étudier afin de passer un concours.
Dans la chambre, "Le Muet" chasse les moustiques, répétant sans cesse "tuer, tuer, tuer". Ma Jian Rong fume jusqu'aux mégots de cigarettes et assiste à la rencontre de Ma Yunde et de sa femme qui lui rend visite. Ma Yunde est interné depuis deux ans et demande avec instance à repartir, indifférent aux petits cadeaux alimentaires que lui a apporté sa femme. Celle-ci l'oblige à porter les vêtements de rechange qu'elle a préparés pour lui.
C'est l'heure du déjeuner. Les médecins ouvrent les grilles de l'étage et tous se retrouvent au rez-de-chaussée pour manger. Certains donnent leurs restes à d'autres.
Yin Tianxin est menotté pour avoir tapé sur les portes. A force de longues supplications, il obtient qu'on les lui retire. "Le chat" se lave en s'aspergeant de deux bassines d'eau. En consommant beaucoup d'eau, vendue par ailleurs 2 yuans la petite bouteille, il a l'impression qu'il gagne bien sa vie... et participe ainsi aux frais d'entretien que sa famille verse pour lui.
Un jeune homme est là depuis deux mois, il prie. Chen Zhuanyan est tout juste arrivé. Sa fille vient lui rendre visite, il pleure de se voir ainsi et supplie que sa femme vienne le libérer. Il lui parle au téléphone. Sa fille promet de revenir le lendemain. Chen Zhuanyan prend docilement les médicaments préparés pour lui par les médecins.
La femme de Ma Yunde vient de nouveau lui rendre visite, accompagnée cette fois de leur grand fils. Ma Yunde s'irrite lorsqu'elle fait jouer une chanson qu'elle a téléchargée pour lui. La seule chose qu'il veut, c'est rentrer chez lui.
Wu Shensong veut des piqures. Il se plaint du mal de dent et joue à l'abruti avant qu'un camarade de chambre le prévienne : il ne faut pas jouer au fou sans quoi on risque de le devenir.
Pu Changyi interpelle une femme au rez-de-chaussé. Ils discutent un temps. "Tu veux me baiser ? " demande-telle plusieurs fois. Pu Changyi part pour la télévision mais promet de revenir le lendemain pour la voir au petit déjeuner.
C'est le premier de l'an chinois, les feux d'artifices illuminent l'hôpital. Pu Changyi et la femme discutent de nouveau. Le lendemain, elle monte au premier et ils s'étreignent au travers de la grille, relativement indifférents aux hommes qui passent pour se rendre aux toilettes et tout juste un peu gênés de la caméra.
Zhu Xiao-yan a une permission de dix jours pour rentre chez son père et sa mère. Celle-ci est venue le chercher. Le père, dans la maison délabrée qu'ils habitent refuse de lui parler. Zhu Xiao-yan occupe son temps à marcher dans les rues du village où poussent de nouvelles constructions. La nuit, il marche sur le bas-côté de l'autoroute. Sur l'autoroute, la caméra l'abandonne à sa marche.
La femme de Ma Yunde vient lui rendre visite pour la troisième fois. Elle a amené des mandarines que viennent chiner tous les patients. Elle n'est toujours pas décidée à ramener son mari chez eux.
La nuit, les relations entre hommes se font plus tendres, fraternelles ou sexuelles. Le muet est de nouveau sous les draps avec son compagnon.
Des cartons se succèdent indiquant que sont enfermés dans cet hôpital psychiatrique du Yunnan aussi bien des fous réellement psychotiques que des simples victimes de dépression, bagarres, vagabondage... Ils sont privés de leur liberté par la justice, la police ou simplement leur famille qui ne peuvent les supporter et paient leurs frais d'internement. Un homme et une femme sont même là totalement oubliés, enregistrés sous l'appellation, "un homme", "une femme".
Présenté aux festivals de Venise, Toronto, Vancouver et Brisbane en 2013, A la folie n'est distribué France qu'en mars 2015 grâce à l'engagement de la société Les Acacias. Le spectateur ne peut lui-même que faire confiance aux films précédents du réalisateur pour accepter de rester quatre heures dans une salle à voir le quotidien de déshérités enfermés contre leurs grés dans un hôpital psychiatrique du sud-ouest de la Chine. Une cinquantaine d’hommes vivent là enfermés traînant leur mal-être du balcon circulaire grillagé à leur chambre collective avec une salle de télévision pour toute distraction.
Cet engament aux cotés du réalisateur, c'est aussi celui d'une expérience inoubliable. Une expérience forte de grande proximité avec des êtres filmés simplement dans des attitudes basiques : dormir, pisser, se laver, discuter. Ainsi ce que peut avoir de totale altérité entre un chinois un peu fou et nous se transforme-t-il en visite à un proche; visite personnelle comme réfractée par la cinquantaine de personnages filmés durant des séquences d'une dizaine de minutes par Wang Bing. Chacune d'elles, laisse entr'apercevoir ce qu'il faut d'intelligence et de douceur pour vivre ensemble à ne rien faire en supportant d'être coupé du monde... Ce qui rendrait fou et violent tout occidental.
L'ensemble du film est structuré par des séquences faisant d'abord se succéder des internés arrivés depuis de moins en moins longtemps, cinq mois, deux mois, et le premier jour. Est ainsi rendue plus déchirante chaque privation de liberté et la douleur d'avoir été contraint d'être là : "Qu'ai-je bien pu faire pour en arriver là ?" s'interrogent ces patients de la première heure. Le nouvel an chinois et l'histoire d'amour entre Pu Changyi et la femme au rez-de chaussé constituent la partie centrale du film. La permission hors de l'hôpital et le retour, une troisième fois, de la femme de Ma Yunde comme autant d'impossibles ouvertures vers la liberté sont une troisieme partie. Elle se conclut sur les relations fraternelles et sexuelles entre prisonniers avant que les cartions ne viennent indiquer explicitement la terrible réalité à laquelle sont soumis ces hommes.
Jean-Luc Lacuve, le 15/03/2015