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Ta’ang, un peuple en exil entre Chine et Birmanie

2016

Thème : Exclus

(Ta’ang). 2h28.

Les Ta’ang, minorité ethnique birmane, sont au coeur d’une guerre civile à la frontière chinoise. Depuis début 2015, de violents conflits ont contraint des milliers d’enfants, de femmes et de personnes âgées à quitter leurs maisons.

Frontière birmane. Dans le camp de tentes de Maidhe, un homme ordonne à coups de pieds à sa femme de se déplacer hors de la fragile charpente de roseaux qu'il démonte.  La femme, ses enfants autour d'elle, ne semble pas impressionnée. Les combats grondent au loin et il faut se déplacer encore plus près de la frontière chinoise pour éviter les obus. Plus tard, des enfants amusent dans l'eau, se portent sur les épaules, sourient. Les femmes parlent entre elles. Le soir des feux sont allumés.

Le camp de refugiés de Chachang en Chine, près d'une usine à thé. Là aussi de grandes tentes de fortune. Les téléphones mobiles permettent de prendre des nouvelles de ceux qui sont restés dans leur maison, de savoir qui est parti. Une femme s'inquiète de savoir si la grand-mère a pu partir avec le reste de la famille. Souvent les téléphones des correspondants sont éteints et génèrent de l'inquiétude. Les autorités les ont menacés de devoir retourner dans leur pays

Dans le camp de Maidhe, au bord de l'eau en Birmanie, une femme appelle au téléphone un homme pour qu'il vienne l'aider à passer la frontière. Autour, les hommes sourient : si ce n'est celui-là ce sera un autre. Autour, des tiges des cannes à sucres sont coupées par les adolescents.

Dans le camp chinois, les migrants on décidé de partir en s'enfonçant plus loin en Chine, vers la ville de Nasan. Il faut trouver l'argent pour les transporter ainsi que leurs affaires. Jin Xiaoman et Jin Xiaoda, ayant fui leur village avec leurs enfants et quelques personnes âgées négocient un voyage en pick-up. Dans lecamp, une femme raconte son long voyage à pied pour partir de chez eux, les enfants qui pleurent et la grand-mère surtout qui n'avance pas, à jamais triste de quitter sa maison.

La nuit, les femmes discutent autour du feu en préparant des patates douces pour les enfants, en évaluant combien vont leur rapporter les coupes de cannes à sucre effectuées pour les Chinois ou en se racontant des histoires. Un homme vient leur donner des nouvelles des combats. Ils pourraient cesser et ils pourraient alors rentrer chez eux.

Camp de réfugiés à la frontière birmane dans la zone de Chaheba. Les combats se rapprochent, canons et mitrailleuses semblent être de l'autre coté de la colline. Les refugiés, un à un, vont s'installer plus loin. On charge un camion au maximum. Sur le chemin de montagne, après la frontière chinoise, un troupeau de zébus est aussi conduit plus loin. Des femmes et des enfants, quelques hommes aussi, voient ainsi depuis la route surplombante en Chine leur ancien camp où seuls les plus âgés sont restés. Le soir tombe et, dans la précipitation, personne n'a pris de draps. Femmes et enfants ne savent où dormir. Un petit groupe reste à la traine et espère trouver un camp de refugiés plus haut dans la montagne dans un champ de cannes à sucre. Pourtant il faudra se contenter du pauvre toit de tôle sans bâche, pour faire du feu afin de cuire la nourriture et d'un sol tout juste balayé pour dormir.

Comme souvent dans un documentaire de guerre, Wang Bing a du faire face aux contraintes imposées par les militaires ou les autorités administratives : contrôles aux cheik-points, temps de tournage limités (sauf les images volées la nuit) et même, deux fois, à la confiscation de la carte-mémoire de sa caméra. Wang Bing, vu les conditions difficiles n'a accumulé que 60 heures de rushes contre 2000 à 2500 habituellement, et n'a donc pu prendre le temps de s'intéresser aux motivations politiques de chacun. Les motifs de cette guerre qui jette des réfugiés sur les routes sont laissés hors champs. Les refugiés, partis dans l'urgence, n'ont d'ailleurs alors pas de conscience politique perceptible et cherchent seulement un lieu où se mettre à l'abri.

Dans ces refuges divers ou, à la fin, dans la recherche d'un lieu de ce type, une humanité chaleureuse et parfois ironique (la femme aux divers amants) persiste. Une nouvelle fois Wang Bing évoque un monde archaïque, semblant sortir de terre ou s'y refugier, sensible à cette capacité de résistance au malheur qu'ont les êtres pourchassés ou hors du monde. Son cinéma nous fait participer au triple mouvement de ces refugiés : observer le chaos autour de soi, prendre le peu de choses mais d'autant plus précieuses qui sont autour de soi (ici enfants ou vieillards) puis se relever pour avancer, aller plus loin, chercher à vivre mieux.

Habitations creusées dans la terre, vêtements rapiécés et usés, couvertures mortuaires, bien des motifs de Wang Bing évoquent une économie de la survie, la persistance d'un monde archaïque terrible et beau. Le corps nu déposé sur une couverture et les corps enfermés dans des couvertures du Fossé rappellaient les dépositions de croix ou les sarcophages égyptiens. La volonté de maintenir les conversations de nuit dans Ta'ang evoque la ferveur tranquille du Nouveau né de Georges de La Tour.

Le nouveau né (Georges de La Tour, 1650)
Ta'ang (2016)

Il n'est pas nécessaire de réussir pour entreprendre : on ne sait si ces refugiés parviendront à rejoindre les maisons qu'ils ont laissées derrière eux. Mais le film est à l'image de leur parcours : courageux et obstiné.

Jean-Luc Lacuve le 26/10/2016

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