Keane
Lodge H. Kerrigan
2004

Avec : Damian Lewis (William Keane), Abigail Breslin (Kira Bedik), Amy Ryan (Lynn Bedik) .1h33.

New York. Un homme rôde dans la gare et montre un journal à des passants indifférents. La photo de sa fille. Disparue. Enlevée il y a quelques mois. Il embarque dans l'un des bus, refait le trajet qu'il aurait dû faire ce jour-là, descend brusquement à la vue d'une parka violette qui lui rappelle celle que son enfant portait ce soir-là. Il s'endort, sous la pluie dans l'herbe sur une bretelle d'autoroute. Il se lave dans les toilettes de la gare. Il y guette, à 16h30, le train de banlieue en partance pour Calstadt, sur le quai 8. C'est là que Sophie à été enlevée. Lorsqu'il sent monter en lui la présence du ravisseur, il choisit un passant au hasard, qu'il suit dans la rue avant de le frapper et de s'enfuir.

Cet homme est William Keane. Il vit d'hôtel en hôtel. Il règle le prix de sa chambre grâce au chèque de sa pension d'invalidité. Cette relative aisance lui permet de venir un jour en aide à une femme, Lynn, accompagnée d'une petite fille de sept ans, Kira, qui habitent le même hôtel. Elles attendent l'argent qui leur permettra de rejoindre leur époux et père. Il leur donne cent dollars. Le soir suivant Lynn l'invite à partager leur repas. Leur cachant sa propre histoire, il tente de prendre un nouveau départ auprès d'elles. William et Lynn dansent ensemble mais décident d'en rester là. Un après midi qu'il les sait absentes, il s'introduit chez elles. Il est repris d'une bouffée délirante en voyant un article de journal où une petite fille enlevée il y a longtemps a retrouvé sa famille.

Keane erre dans les bars, choisit sur un juke-box une vieille rengaine, Sugar Pie Honey Bunch, et demande en vain au barman de monter le son. Il monte alors sur une chaise et se colle la tête entre les baffles pour s'abrutir de musique. Il achète de la drogue, fait l'amour avec une droguée dans les toilettes. Il cherche vainement du travail.

Un soir Lynn lui demande d'aller chercher sa fille le lendemain à l'école et de la garder jusqu'à 19 heures. Il s'acquitte très bien de sa tache de père. Lynn ne rentre pas le soir et Kira lui laisse entrevoir qu'il pourrait être le nouveau copain de sa mère. Le lendemain il l'emmène à la patinoire, lui fait faire ses devoirs. Lorsque Lynn rentre c'est pour leur annoncer son départ pour retrouver son mari.

Fou de douleur, William enlève Kira à la sortie de l'école et lui fait refaire le trajet de Sophie. Finalement, il renonce à l'emmener avec lui. Il pleure, elle le réconforte.

Keane est fou. On en est certain après quelques minutes. Il a perdu sa fille c'est presque sur aussi. La folie intervient par bouffées délirantes. Celles-ci s'imposent à lui mais il les accepte aussi. Ces bouffées délirantes l'aident à supporter la douleur, à se replonger dans un état où il pourrait retrouver celle qui a probablement été enlevée. Son obsession à reconstituer la scène de l'enlèvement s'explique et s'apprécie d'autant plus que l'on croit au kidnaping de Sophie et à sa mort. Mais il est aussi possible que Keane se soit inventé cet enlèvement pour supporter ainsi, par cet espoir douloureux, l'absence de sa fille dont la garde avait été confié (définitivement ?) à la mère dont il est séparé.

Keane souffre, Keane est schizophrène. Car, parallèlement aux bouffées délirantes, Kerrigan montre surtout, dans la deuxième partie, le désir de vivre normalement quand on est frappé de folie, de pauvreté ou de douleur. Plus que du vertigineux Spider de Cronenberg, le film est très proche du Gloria de Cassavetes.

Le vrai sujet du film ce sont bien ces Love streams de personnages qui ne demandent qu'à les déverser sur le monde et qui en sont empêchés par le quotidien. Que celui de Keane soit particulièrement horrible ne fait qu'accentuer les moments de douceurs avec Lynn ou Kira.

Comme chez Cassavetes aussi, la caméra ne s'écarte jamais beaucoup du visage torturé de Keane, de ceux de Lynn ou de Kira. Et, quand elle le fait, c'est pour suivre leurs trajectoires dans des espaces qui ont perdu tout leur sens : friches industrielles, hôtel pour travailleurs pauvres à 40 dollars la nuit ou gare routière, sorte de no man's land représentatifs des banlieues pauvres de New York si souvent absentes des films américains.

 

Jean-Luc Lacuve le 26/09/2005

Bibliographie :Thomas Sotinel le Monde du 21.09.05

Thèmes : psychanalyse , mort des enfants