Soudain l'été dernier

1959

Thème : Psychanalyse

(Suddenly last Summer). Avec : Elizabeth Taylor (Catherine Holly) , Katharine Hepburn (Violet Venable), Montgomery Clift (le docteur Cukrowicz), Albert Dekker (Dr. Lawrence J. Hockstader), Mercedes McCambridge (Grace Holly), Gary Raymond (George Holly). 1h54.

Violet Venable fait venir dans sa demeure exotique de la Nouvelle-Orléans le docteur Cukrowicz, neuro-chirurgien. Son fils Sebastian est mort mystérieusement en Europe, l'été dernier. Sa cousine Catherine, qui a assisté à sa mort, est devenue folle. Violet Venable pense qu'une lobotomie (opération délicate à l'époque) pourrait l'aider à retrouver la raison. Elle laisse entendre à Cukrowicz que, s'il opère Catherine, elle fera une donation importante à son hôpital.

Se méfiant des motivations de Mrs. Venable, le docteur examine Catherine. Il la trouve saine d'esprit, sauf lorsque l'on aborde le sujet de la mort de Sebastian. Elle est alors la proie d'hallucinations hystériques, à caractère obscène.

Sous l'effet d'un sérum de vérité, et en présence de Mrs. Venable, le délire de Catherine devient plus cohérent et la vérité éclate au grand jour. Sebastian, poète, était un homosexuel qui, pendant des années, s'est servie de sa mère comme " appât ". Lorsqu'elle est devenue trop vieille, Catherine, involontairement, a pris sa place. Lors des dernières vacances, Sebastian a été entouré, poursuivi, mis en pièces et dévoré vivant par une bande de jeunes mendiants affamés, dans les ruines d'un temple païen. Le choc de cet horrible récit fait retrouver sa raison à Catherine, mais amène Mrs. Venable à se réfugier dans un monde imaginaire.

Après un prologue laconique où est exposée la situation de départ (un hôpital en difficulté a besoin pour survivre du mécénat d'une femme riche), Soudain l'été dernier, se divise en deux récits : au début le monologue de Violet, évoquant le souvenir idéalisé, mais déjà "bizarre" de son fils, à la fin l'aria, comme dit Mankiewicz, de Catherine qui nous dévoile enfin la vérité au sujet de Sebastian. Entre les deux, la folie a changé de cible, est passée de Catherine, au début internée et qu'on s'apprête à lobotomiser, à Violet dont la lobotomie symbolique consiste à se couper du monde en remontant dans son ascenseur "comme la déesse dans la machine". Le prédateur est devenu proie ; c'est un thème omniprésent dans l'oeuvre de Mankiewicz.

L'issue n'est guère surprenante : dès le début, Mankiewicz nous indique que Violet est "dérangée", alors que la raison de Catherine n'est menacée que par les persécutions répétées dont elle est victime. En "aérant" la pièce en un acte de Tennessee Williams, Gore Vidal et Mankiewicz accentuent le contraste entre le récit de Violet et celui de Catherine. Le premier a lieu dans le jardin exotique de Sebastian, qui était le décor unique de la pièce : la "claustrophilie" de ce discours figé est admirablement rendu par le jeu illuminé de Katherine Hepburn, et par le déplacement de la caméra qui nous fait tourner en rond dans le décor terrifiant.

L'itinéraire de Catherine est beaucoup plus éclaté et progressif. Sa guérison passe d'abord par une re création de sa propre image à travers les emblèmes concrets, comme souvent chez Mankiewicz (la cigarette qu'elle fume, la robe qu'on lui laisse porter). Le rappel du souvenir se fait par étapes : il est auditif avant d'être visuel (la terrible musique qui a accompagné la mort de Sebastian) ; il a besoin de confiance pour être énoncé (annonce préalable du premier traumatisme du viol) et il est évoqué par une double répétition traumatique (les deux visites que rend Catherine aux salles interdites de l'asile et qui lui font revivre les deux phases de la mort de Sebastian : la persécution puis la chute.

Le flash-back final s'amorce dans le salon attenant au fameux jardin. Usant d'un médicament, de sa persuasion, de la confiance qu'il a su acquérir, Cukrowicz met Catherine dans un état quasi hypnotique qui permet la visualisation du retour en arrière. Celui-ci libère Catherine de l'emprise du décor : c'est le voyage salvateur cher au cinéaste. Le visage d'Elizabeth Taylor en surimpression sur les images du passé est soumis à de nombreuses sautes dans le plan morcelant son souvenir.

L'explication finale est une suite de bifurcations. En effet, la pédérastie du fils n'explique rien. La jalousie de la mère est une première bifurcation, dès qu'elle est supplantée par la jeune fille ; la pédérastie en est une seconde, quand le fils se sert de la jeune fille comme il se servait de sa mère, appâts pour les garçons ; mais il y en a encore une, encore un circuit, qui reprend la description des fleurs carnivores et le récit de l'affreux destin des petites tortues dévorées, lorsque le flash-back découvre sous la pédérastie du fils un mystère orgiaque, des goûts cannibaliques dont il finit victime, lacéré, démembré par ses jeunes amants de misère, aux sons d'une musique barbare de bidonville

Une fois la cure accomplie, Catherine et Cukrowicz quittent un décor dépouillé de ses maléfices.

 

Martial Raysse réalise en 1963 un tableau intitulé Soudain l'été dernier, probablement inspiré du film. Andy Warhol utilisera des photos de Liz Taylor tirées du film pour magnifier Liz Taylor dans son tableau de 1963 : Ten Lizes. Cette année là, l'actrice tourne Cléôpatre avec Mankiewicz mais Andy Warhol la trouve alors "trop grasse".

 

Test du DVD

Editeur : Carlotta Films. Aout 2017. Format 1.85 – Noir & Blanc. Durée du Film : 114 mn 20 €

LE PRÉDATEUR ET LA PROIE (26 mn) Tennessee Williams vomissait le film et Katharine Hepburn a craché dans le bureau du producteur Sam Spiegel ! Michel Ciment, critique, historien du cinéma et directeur de la revue Positif, nous montre cependant comment Joseph L. Mankiewicz s’est emparé de la pièce pour la transcender en analysant l’adaptation, le style et l’interprétation d’un trio d’acteurs hors du commun.