Mariana Otero arrive au Courtil, un institut médico-pédagogique pour enfants et jeunes en situation d'handicap mental, situé à la frontière franco-belge. Amina, 7 ans environ, affirme à la cinéaste qu'elle a bien l'intention, elle aussi, de se procurer une caméra quand elle sera plus grande, et de filmer ce qui l'entoure, une autre petite fille touche la lentille de l'appareil puis c'est un garçon fait un doigt d'honneur à la caméra.
Amina ne parvient pas à faire sortir les mots de sa bouche. Alysson observe son corps avec méfiance. Evanne s'étourdit jusqu'à la chute. Jour après jour, les adultes essaient de comprendre l'énigme que représente chacun d'eux et inventent, au cas par cas, sans jamais rien leur imposer, des solutions qui les aideront à vivre apaisés. Les éducateurs essaient non seulement de faire partager des activités du quotidien aux résidents mais s'interrogent aussi sur la personne handicapée qu'ils ont en face.
Ainsi lorsqu'arrive un nouvel enfant : sa présence au déjeuner, le premier jour, déchaîne chez ses camarades de tablée un concert de cris ininterrompus, insupportable, qui force les adultes à déplacer une partie du groupe dans une autre pièce. En redéfinissant les places relatives de chacun, le nouveau pensionnaire a brouillé leurs repères, suggère une des intervenantes au cours d'une des sessions hebdomadaires au cours desquelles les adultes du Courtil partagent leurs expériences et en débattent.
Jean-Hughes va bientôt devoir affronter des adolescents de son âge, plus agressifs que les jeunes enfants avec qui il est. On n'ose pas lui dire qu'il n'est pas certain qu'à sa majorité il obtienne un studio protégé. Pour l'heure le groupe se promène, Alysson calme comme elle le peut ses tocs, par exemple en courant dans un champ devant la caméra.
Le moindre geste (Fernand Deligny, 1971), La moindre des choses (Nicolas Philibert, 1996) et dorénavant A ciel ouvert (Mariana Otero, 2014) auront su capter la personnalité d'êtres névrosés ou psychotiques confiés à des institutions hors normes. Une grande douceur se dégage en effet des rapports entre enfants et intervenants, mais aussi de l'atmosphère générale, de la lumière, de la nature qui entoure cet ancien grand corps de ferme dont les pensionnaires passent une partie de leur temps à inventer des scènes de théâtre, à jardiner, à se promener ou faire la cuisine.
Le passé souvent terrible des enfants est évoqué (mutilations, comportements violents et asociaux) de même que la difficulté à les sortir ensuite de ce milieu privilégié. Mais c'est dans un ouvrage à part, A ciel ouvert, entretiens - Le Courtil, l'invention au quotidien, un livre d'entretiens qu'elle a conduits avec une des intervenantes, Marie Brémond (Buddy Movies, 127 p., 12 euros) que Mariana Otero développe les concepts de base de cette institution et les bases de la théorie lacanienne qui y est appliquée.
Le film n'est ainsi pas une évaluation objective de la méthode thérapeutique. Il est un regard porté sur des enfants particuliers dans un cadre qui permet la patience de ce regard. Les intervenants ne cherchent pas à guérir les symptômes psychotiques des enfants mais à les aider à vivre moins douloureusement avec leur maladie, sans rien leur imposer, selon un processus thérapeutique perpétuellement repensé en fonction de l'expérience du réel et de la "créativité" des malades. Tout pareillement, la réalisatrice considère l'enfant schizophrène comme un sujet à part entière et non comme un "fou".
Mieux même, dans ce tournage qui dura trois mois, avec une présence filmique de huit heures par jour, la réalisatrice finit par faire partie du processus thérapeutique parce qu'elle découpe ses scènes comme les thérapeutes découpent des moments en cherchant à les comprendre, à les agencer entre eux. Parce qu'en s'adressant à elle, ces enfants handicapés parviennent à mieux vivre. Ainsi du doux Jean-Hughes qui ne manque pas une occasion, à chaque fois qu'il la croise, de nouer une relation amicale dont il a tant besoin ; ainsi de Evanne et de son regard caméra quand il prend conscience que Mariana à une vie en dehors du centre ; ainsi de Alysson qui semble afin se rassembler lorsque la caméra la cadre.
Jean-Luc Lacuve le 15/01/2014.