Mark Lewis aborde une prostituée en ayant dissimulé dans son pardessus une petite caméra 16 mm qu'il a mise en action. Arrivé dans la chambre, Mark met sa caméra sur pieds et s'approche de la prostituée, bientôt totalement horrifiée.
Chez lui, Mark se projette cette séquence. Le lendemain, il retourne sur les lieux où il était le soir précédent pour filmer la police transportant le corps de la prostituée assassinée. Mark se rend ensuite chez un droguiste qui vend des magazines érotiques et qui l'emploie pour photographier des modèles féminins en tenue légères. Mark arrondit ainsi ses modestes fins de mois d'assistant caméraman.
Mark fait la connaissance de sa jeune voisine, Helen, qui est attirée par le jeune homme en même temps qu'intriguée par son étrange comportement. Mark, cependant commet un nouveau crime, puis, torturé par sa névrose, tente d'avoir recours à un psychiatre.
Au cours de ses fréquentes rencontres avec Helen, Mark dévoile petit à petit les fondements de sa personnalité : il est le fils d'un professeur qui a consacré sa vie à l'étude de la scoptophilie (le besoin maladif d'épier autrui) et a pris son propre fils comme sujet d'expérience. Obsédé par la puissance magique du regard, Mark, par ses délirantes tentatives, essaie de retrouver et d'exorciser la peur qui ne le quitte plus depuis son enfance.
Helen, l'attendant un jour dans son laboratoire, projette par curiosité l'un de ses films et découvre ainsi son horrible secret. Mark survient, traqué par la police... Misérable esclave de sa névrose, il se tue sous les yeux horrifiés d'Helen en déployant le trépied de sa caméra qui dissimule un poignard. Il parachève ainsi son exploration terrible en se filmant durant son suicide.
C'est Leo Marks, le scénariste, qui propose à Powell cette histoire de scoptophilie, ce besoin maladif de regarder. Powell transforme ce terme d'aliéniste en "Peeping Tom", terme familier pour voyeur mais accepte d'amblée ce sujet qui semble alors enthousiasmer les milieux cinématographiques anglais. Powell signe alors un contrat de distribution avec Nat Cohen et Stuart Levy, les patrons de Anglo-Almalgameted Films... qui ne le soutiendront pas lorsque le film sera violemment attaqué par la critique et ses premiers spectateurs.
Sans doute, ceux-ci ont trouvé dans la description des séquences, assez crues, avec la prostituée ou du bon bourgeois qui achète des photos cochonnes, un portait assez fidèle mais guère reluisant du refoulement sexuel de l'époque. Mais l'insistance sur le côté maladif et physique de la pulsion (le visage déformé de Loraine, l'expérience du père) les a choqués alors qu'ils s'attendaient peut être à un Fenêtre sur cour anglais.Ce sera pourtant bien ce thème de la pulsion voyeuriste qui fera ensuite la gloire du film sans que cela soit pourtant le sujet profond du film. Powell traite bien davantage du thème de l'enfant martyre jouissant, parvenu à l'adolescence, d'une transposition du traumatisme initial. Dans le film dans le film, en noir et blanc, qui raconte les expériences traumatisantes du père sur le fils, Michael Powell joue le père. Son propre fils, Bouba, joue Mark enfant.
Mark adolescent a transformé l'objet scientifique, la caméra, en ce qu'elle fut pour lui, un objet du supplice, avec son poignard dissimulé dans l'un des pieds du trépied. Il lui a aussi adjoint un miroir déformant qui se fixe au-dessus de l'objectif pour que les victimes aient encore plus peur de voir leur propre image, terrifiée et déformée, dans le réflecteur.
Mark semble vouloir vérifier avec des moyens terribles, disproportionnés
et jouissifs que, filmé, nul n'échappe à la peur. Ce
n'est que dans le suicide final qu'il peut se libérer de l'emprise
du père et déclarer : "Je suis content d'avoir peur".
Il assume ainsi enfin l'horrible gâchis de la transmission et de l'éducation
qui ne s'est pas opérée. L'exigence paternelle inflexible et
le besoin de protection de l'enfant s'entendent dans le fondu au noir final
:
-"Ne fais pas l'idiot, il n'a pas de quoi avoir peur".
-"Bonne nuit papa, donne-moi la main'.
...tragique.
Jean-Luc Lacuve le 29/05/2010
Source :
Michel Powell, Million dollar movie ou Une vie dans le cinéma tome 2, Institut lumière/ Actes sud. Autobiographie traduite par Jean-Pierre Coursodon, préface de Martin Scorsese, 1992 et 2000 pour la traduction française, pages 463 à 508.