Fenêtre sur cour

1954

Voir : photogrammes
Genre : Film noir

(Rear window). Avec: James Stewart (L. B. "Jeff" Jefferies), Grace Kelly (Lisa Fremont), Wendell Corey (Thomas J. Doyle), Thelma Ritter (Stella), Raymond Burr (Lars Thorwald), Judith Evelyn (Miss Lonelyhearts), Ross Bagdasarian (Le compositeur), Georgine Darcy (Miss Torso), Irene Winston (Emma Thorwald). 1h52.

Mercredi, 7h10. Le laitier porte ses bouteilles, déjà 34° et tout le monde se réveille dans les appartements donnant sur une cour intérieure de Greenwich Village, à Manhattan. Jeff lui dort encore, suant déjà à grosses gouttes. Un peu plus tard, il se rase. Voilà cinq semaines que Jeff est confiné dans un fauteuil roulant, une jambe dans le plâtre à la suite d'un accident dont il fut victime pendant un reportage photographique. Son rédacteur en chef l’aurait envoyé au Cachemire, s'il n'avait eu besoin d'une semaine supplémentaire pour se remettre. A défaut, Jeff surveille ses voisins, qui gardent leurs fenêtres ouvertes pour rester au frais en ce temps de canicule.

Stella, l'infirmière, lui rend visite. Elle le réprimande d'être un voyeur comme tous ses contemporains. Il lui dit son peu d'envie d'épouser Lisa, trop parfaite, trop chic, trop "Park avenue" alors que lui est pauvre et n'aime rien tant que voyager léger à travers le monde. Elle lui conseille de l'épouser puisqu'elle l'aime et a toutes les qualités; trop réfléchir, trop analyser ne peut conduire qu'à la catastrophe. Jeff observe, la danseuse, la jolie Miss Torso, le couple Lars et Emma Thorwald se disputer, et un jeune couple d'amoureux qui vient d'emménager.

Le soir, Lisa vient lui rendre visite alors qu'il est endormi. Elle porte une robe à 1100 dollars importée de Paris qu'elle étrenne pour son métier de modiste. Sa journée professionnelle fut très active et elle a commandé le dîner au Club 21, livré à domicile. Pendant qu'elle prépare la table, Jeff observe ses voisins. Miss Lonelyhearts fait comme si elle recevait un amoureux ; Thorwald prépare le diner de sa femme et lui ramène une fleur qu'elle dédaigne; lorsqu'il téléphone, sa femme lui fait une scène de jalousie ; miss Torso se laisse séduire par l'un des trois hommes qu'elle a invités chez elle; le pianiste joue une belle mélodie. Jeff répond agressivement à chaque mot tendre de Lisa. Ils s'expliquent après le dîner. Lisa voudrait qu’il crée son studio à New York ; il veut continuer à voyager. Excédée, Lisa déclare vouloir rompre, Jeff lui demande de garder le statu quo.

A peine est-elle partie, que Jeff entend un cri dans la nuit : "Ne fais pas ça !" et le bruit du verre brisé. Puis dans la nuit, alors qu'il pleut, les voisins âgés rentrent précipitamment leur matelas puis Thorwald sort avec une lourde valise. Il est 1h55. A 2h35, il revient la valise nettement plus légère. Jeff observe le pianiste qui rentre saoul et désespéré, ce qui l'amuse mais est de nouveau intrigué par Thorwald qui sort une deuxième fois avec une valise pleine. Il se rendort et voit le retour de Torso qui ferme la porte à son cavalier puis Thorwald qui revient avec une valise légère. Il se rendort et ne voit pas, au petit matin, Thorwald et une femme vêtue d'un imper et d'un chapeau noir sortir ensemble avec la valise.

Jeudi matin. L'artiste du rez-de-chaussée continue sa sculpture de La faim ; Mlle Torso danse, les voisins âgés descendent le chien dans sa panière et Stella masse Jeff. Il se dit intrigué par le manège de Thorwald. Il lui demande ses jumelles mais ne le voit nettoyer sa valise que pour y fixer des bijoux fantaisie. Armé de son téléobjectif, il le voit envelopper dans du papier journal un grand couteau et une scie à main puis s'assoupir dans le canapé.

Le soir, Lisa est dans les bras de Jeff. Il lui fait part de ses soupçons : les sorties, les armes, le fait qu'il ne va plus dans la chambre de sa femme alitée. Stella, d'abord en colère, finit par le croire quand Lars Thorwald fait sa malle pour déménager et que le lit de la femme est vide. En partant, Lisa indique le nom du voisin au téléphone à Jeff.

Vendredi matin. Jeff appelle son ami et compagnon de guerre Tom Doyle, inspecteur de la police de New York, et lui demande d'enquêter sur Thorwald. Stella pense que le corps est dans la malle mais arrive trop tard pour identifier le camion des déménageurs. Doyle est sceptique mais promet d’enquêter. Jeff voit Thorwald arroser ses fleurs et éloigner gentiment le chien. Doyle ne trouve rien de suspect : le concierge lui a dit que les Thorwald étaient partis à 6h00 du matin, heure où Jeff dormait, pour la gare afin d'aller dans le nord de l'État, à Merrittville.

Cœur solitaire sort, le pianiste à des amis, la danseuse répète avec un jeune homme. Jeff voit revenir Thorwald avec un carton de chemises puis trier les bijoux dans le sac de sa femme. Quand Lisa revient, elle affirme qu’aucune femme ne partirait sans son sac et ses bijoux. Elle lui révèle qu'elle est venue pour la nuit et que son week-end est libre. Doyle revient : il a vérifié la malle, qui ne contenait que des vêtements d’Emma. Il a reçu un coup de fil que c'est bien elle qui est venue chercher la malle à Merrittville. Lisa et Jeff le laissent partir, affligés de voir leur théorie s'effondrer.

Ils semblent renoncer et Lisa met sa tenue de nuit. Ils sont interrompus par un cri. Le chien du voisin est retrouvé mort. La propriétaire désemparée crie et tout le monde court à la fenêtre sauf Thorwald, qui est assis tranquillement dans son appartement sombre en train de fumer un cigare.

Samedi soir. Jeff a attendu toute la journée mais observe Thorwald, laver les murs de la salle de bain de son appartement, lieu où Stella, qui les a rejoint, pense que celui-ci a découpé sa femme. Jeff pense savoir pourquoi Thorwald a tué le chien : Thorwald a enterré quelque chose dans le parterre de fleurs et a tué le chien parce qu'il creusait dessus. La preuve : les deux zinnias jaunes au bout de la plate-bande de fleurs sont moins hauts que sur sa photo prise il y a quinze jours. Stella objecte qu'on ne peut y enterre une femme et reste sur son idée d'un corps découpé et jeté dans l'East-river. Lisa propose de creuser dans la plate-bande mais Jeff trouve cela trop dangereux. Cependant, comme Thorwald fait ses valises pour partir, Jeff décide d'écrire une lettre anonyme "Qu'as-tu fais d'elle ?" et envoie Lisa la glisser sous la porte de Thorwald. Celui-ci la lit interloqué et est bien prêt de découvrir Lisa qui s'enfuit juste à temps. Il reprend ensuite tranquillement le rangement de ses vêtements.

Stella et Lisa sont déçues du manque de réaction et prêtes à aller creuser sa plate-bande. Jeff décide de téléphoner à Thorwald pour l'attirer hors de chez lui afin que Stella et Lisa puissent creuser la terre. Quand Thorwald part, Lisa et Stella creusent sous les fleurs, mais ne trouvent rien. Au grand étonnement et à l'admiration de Jeff, Lisa grimpe par l'escalier de secours menant à l'appartement de Thorwald et y accède par une fenêtre ouverte. Jeff et Stella sont distraits lorsqu'ils voient Miss Lonelyhearts prendre des pilules et écrire une note, réalisant qu'elle va tenter de se suicider. Ils appellent la police mais avant de pouvoir le signaler, Miss Lonelyhearts s'arrête, ouvrant la fenêtre pour écouter la musique du pianiste. Thorwald revient et confronte Lisa, et Jeff se rend compte que Thorwald risque de la tuer. Il appelle la police et signale une agression en cours. La police arrive et arrête Lisa lorsque Thorwald indique qu'elle est entrée par effraction dans son appartement. Jeff voit Lisa désigner son doigt avec l'alliance de Mme Thorwald dessus. Thorwald la voit également et, réalisant qu'elle fait signe à quelqu'un, aperçoit Jeff de l'autre côté de la cour.

Jeff téléphone à Doyle et lui laisse un message urgent pendant que Stella va libérer Lisa de prison. Lorsque son téléphone sonne, Jeff suppose qu'il s'agit de Doyle et laisse échapper que le suspect est parti. Quand personne ne répond, il soupçonne que c'était Thorwald qui l'appelait. Thorwald entre dans l'appartement sombre de Jeff et Jeff déclenche une série de flashs d'appareil photo pour l'aveugler temporairement. Thorwald pousse Jeff par la fenêtre et Jeff, s'accrochant, crie à l'aide. La police entre dans l'appartement pour se saisir de Thorwald que Doyle allait l'abattre. Jeff tombe et les policiers au sol amortissent sa chute. Alors que Lisa se précipite vers lui, il entend le second de Doyle affirmer que Thorwald va les conduire à East river. Il a avoué ce qu'il avait caché dans sa plate-bande mais comme le chien devenait trop curieux il l’a remonté dans son appartement.

Quelques jours plus tard. Il fait de nouveau une température raisonnable, 21°. La normalité revient dans le quartier. Le couple dont le chien a été tué a un nouveau chiot, les jeunes mariés ont leur première dispute, le petit ami de Miss Torso revient de l'armée, Miss Lonelyhearts commence à voir le pianiste et l'appartement de Thorwald est en cours de rénovation. Jeff repose dans son fauteuil roulant, maintenant avec des plâtres aux deux jambes. À côté de lui, Lisa lit un livre intitulé « Au-delà des sommets de l'Himalaya ». Après avoir vu que Jeff dort, Lisa ouvre joyeusement un magazine de mode.

Fenêtre sur cour est sans doute le film d'Hitchcock le plus parfaitement construit, celui aussi dont la portée morale est la plus grande. En ce sens, il est plus proche des grands films sur l'imaginaire, plus proche d'un film de Bunuel ou de Resnais que des films hollywoodiens de gestion du suspens. La critique ne s'y est d'ailleurs pas trompée, faisant de Fenêtre sur cour un grand film moderne.

Une pensée à l'oeuvre

Le film va en effet bien au-delà de son scénario. Un reporter photographe, immobilisé chez lui, une jambe dans le plâtre, observe par désoeuvrement le comportement de ses voisins d'en face. Bientôt, il acquiert la conviction qu'un homme a tué sa femme et il fait part de ses soupçons à son amie et à un copain détective. La suite des événements lui donne raison et, finalement, l'assassin traverse la cour et vient précipiter par la fenêtre notre reporter qui s'en tirera.. avec une deuxième jambe cassée.

Le film se lit à deux niveaux : Stewart est une représentation du spectateur et la cour qu'il contemple la représentation de sa pensée. Il s'agit d'une mise en abîme. Le spectateur pénètre sur l'écran par l'effet d'identification au personnage de Stewart. Puis, par l'effet Koulechov, qui nous identifie au regard de Stewart, le spectateur pénètre à l'intérieur de la cour : la fenêtre est un écran dans l'écran : on y voit la pensée à l'oeuvre.

Dans l'entretien avec Truffaut, HItchcock déclare que ce qu'il l'a le plus intéressé c'est la gageure technique : réaliser un seul et immense décor vu par les yeux du même personnage. Mais le décor unique n'est qu'un moyen pour réaliser "un film purement cinématographique, basé sur l'effet Koulechov." Et Hitchcock de s'étendre longuement sur cet effet Koulechov :

"Prenons un gros plan de James Stewart. Il regarde par la fenêtre et il voit par exemple un petit chien que l'on descend dans la cour avec un panier ; on revient à Stewart, il sourit.. Maintenant à la place du petit chien qui descend dans le panier, on montre une fille à poil qui se tortille devant sa fenêtre ouverte ; on replace le même gros plan de Stewart souriant et, maintenant, c'est un vieux salaud."

Le premier point à cerner est de savoir si ce que l'on voit par la fenêtre de Stewart est vraisemblable où s'il s'agit d'une projection imaginaire des fantasmes du personnage. Dans son livre d'entretien avec Truffaut, Hitchcock nous livre la solution :

"De l'autre côté de la cour, vous avez chaque genre de conduite humaine, un petit catalogue des comportements. Il fallait absolument le faire sans quoi le film aurait été sans intérêt. Ce que l'on voit sur le mur de la cour, c'est une quantité de petites histoires, c'est le miroir d'un petit monde. Et toutes ces histoires ont pour point commun l'amour."

Et Hitchcock d'acquiescer à la remarque de Truffaut :

" Le problème de James Stewart est qu'il n'a pas envie d'épouser Grace Kelly et, sur le mur d'en face, il ne voit que des actions qui illustrent le problème de l'amour et du mariage ; il y a la femme seule sans mari ni amant, les jeunes mariés qui font l'amour toute la journée, le musicien célibataire qui s'enivre, la petite danseuse que les hommes convoitent, le couple sans enfant qui a reporté son affection sur le petit chien, et surtout le couple marié dont les disputes sont de plus en plus violentes jusqu'à la mystérieuse disparition de la femme."

Accepter les situations décrites comme un catalogue des relations de couple à laquelle réfléchit Stewart, permet d'éliminer les critiques rationnelles que l'on peut faire au film. On peut alors accepter de pénétrer aussi facilement dans l'univers des autres. On peut accepter la simplification caricaturale des situations : un drame se noue et se dénoue chez chacun des voisins dans l'espace des quatre jours que dure le drame.

La cour est ainsi une projection mentale de Jeff qui tergiverse, procrastine en pensant au mariage. Pour se sauver de l'ennui, il se persuade d'un meurtre et finit par trouver un coupable. Le spectateur est embarqué dans cette aventure et, regrettant que l'amour n'embrase pas le couple, finit par suivre Jeff dans son délire pour trouver un sens à tout cela. Le sens est probablement de se laisser piéger par la virtuosité du cinéaste. Tellement emporté par notre volonté d'une histoire criminelle avec un vrai meurtre et un vrai coupable, on oublie tous les indices que donne Hitchock de l'innocence de son personnage.

Un faux faux-coupable, vraiment ?

La bague, qu'ironiquement Hitchcock fait mettre au doigt de Grâce Kelly, vient in extremis apporter "la preuve" que le voisin est coupable. Mais il aura fallu toute l'obstination folle de Jeff, Lisa, Stella et peut-être la notre pour y arriver.

Doyle confirme que la femme à l'imper noir a bien été identifiée par le concierge comme Emma et que le couple partait pour la gare afin que Eamma prenne le train de 6h00 pour Merritsville. Lars et Emma Thorwald arrivaient en fin de bail et avaient donc prévu de déménager. Doyle a retrouvé la malle, qui ne contenait que des vêtements, et c'est bien Emma qui l'a récupérée.

En face, les preuves sont minces : "une femme ne partirait jamais sans son sac, ses bijoux et son alliance" affirme Lisa. Mais on peut imaginer qu'Emma, devant partir tôt et sous la pluie, ait oublié son sac et qu'elle demande ensuite à son mari d'en vérifier le contenu. Les deux trajets dans la nuit avant six heures pourraient être les affaires que le mari apporte à la gare pour sa femme avant que la malle ne lui parvienne. Le grand couteau et la scie sont immaculés quand il les enveloppe dans le journal pour compléter le déménagement. Les fleurs moins hautes sont peut-être dues à l'arrosage trop abondant, à son défrichage et aucune trace de quoi que ce soit n'est retrouvée quand Stella creuse la plate-bande. Thorwald a toujours une attitude placide, éloignée de celle d'un criminel. Il est poussé à bout par son voisin intrusif avec la lettre anonyme, le coup de fil et les flashes qui lui font perdre la raison et l'entraîne à défenestrer Jeff.

Photo La platte-bande
Une "preuve" que quelque chose a été enterré :
les deux zinnias jaunes au bout de la plate-bande de fleurs sont moins hauts que sur sa photo prise il y a quinze jours

On ne voit pas Thorwald avouer, c'est juste l'apparition du second de Doyle à la fenêtre qui vient dans un temps record confirmer que quelque chose, déterré du jardin se trouverait, chez Thorwald qui va les conduire L'East river. La mort du chien est attribuée à un étranglement par Miss Lonelyhearts sans que rien ne vienne le prouver à l'image. Mieux même, c'est le seul moment où la cour est montrée en entier, les voisins s'approchant des fenêtres pour mieux s'en détourner rapidement. Un peu comme si par ce plan général, Hitchcock marquait la seule cérémonie, un peu dérisoire, faite pour le seul mort du film, le chien donc.

Photo La platte-bande

Et c'est dans toute cette volonté de croire au coupable que réside le plus sûrement l'identification du spectateur au personnage. Connaissant l'extrême attention d'Hitchcock au thème du faux coupable, on peut s'étonner de ne pas en voir ici. Tous les indices successifs viennent pourtant montrer que le voisin est honnête. Pourquoi cette obstination à le vouloir coupable ? Probablement parce que c'est ce que souhaite tout spectateur de film policier : qu'on lui serve le coupable sur un plateau. C'est d'ailleurs ce que remarque Lisa : "Nous voila déçus par ce qu'un homme n'a pas tué sa femme. Nous sommes ignobles."

Virtuosité à tous les étages

L'exposition du film démarre sur la cour endormie, puis on glisse sur le visage de James Stewart en sueur, on passe sur sa jambe plâtrée, puis sur une table où l'on voit l'appareil photo brisé et une pile de magazines et, sur le mur on voit des photos de voitures de courses qui se retournent. Dans ce seul mouvement d'appareil on apprend où nous sommes, qui est le personnage, quel est son métier et ce qui lui est arrivé. C'est l'utilisation des moyens offerts au cinéma pour raconter une histoire. Cela est plus intéressant que si quelqu’un demandait à Stewart: "Comment vous êtes-vous cassé la jambe ?" Stewart répondrait: "Je prenais une photographie d'une course automobile, une roue s'est détachée et elle est venue me frapper".

A la fin du film, Jeff se défend avec les flashes, en aveuglant l'assassin à coup de flashes dans la figure. L'utilisation du flash relève du vieux principe de Quatre de l'espionnage : en Suisse ils ont les Alpes, les lacs et le chocolat. Ici nous avons un photographe et lorsqu'il doit se défendre c'est avec les instruments du photographe : les flashes. Il est essentiel de se servir d'éléments liés au décor et aux personnages.

Le voyeurisme est abondamment utilisé au cinéma, principalement dans des scènes érotiques. Hitchcock en centrant son film sur le personnage de Jeff en développe un versant plus général. Jeff est victime d'une pulsion scopique qui se traduit par une exacerbation de l'appréhension du monde par la vue, et donc à une mise à distance du monde. Jeff répugne aux autres stimuli que ceux provoqués par la vue : il ne peut pas bouger, il repousse les contacts physiques, les baisers notamment de Grace Kelly. Son désir est matérialisé par le zoom-pénis qu'il porte sur ses genoux. A la fin, Jeff se retouve immobilisé avec une femme qui lui fait croire qu'elle partira pour l'hymalaya mais a bien l'intention de le confiner dans un studio de mode de Park Avenue.

Mais, comme le regrette Stella, le voyeurisme est partout. Dans notre action de spectateur, nous en sortons-nous mieux ? Nous apparaissons comme d'impitoyable chasseur de coupable, sans autre alibi que cette traque qui peut conduire à trouver un vrai aussi bien qu'un faux coupable. Ainsi quand, spectateur de cinéma, sommes dans cette position de voyeur, après un bon film, il est bon de se dégourdir les deux jambes... ou davantage..

Jean-Luc Lacuve, le 8 janvier 2024