Le crime de monsieur Lange

1935

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Avec : René Lefèvre (Amédée Lange), Florelle (Valentine), Jules Berry (Batala), Marcel Lévesque (Le Concièrge), Henri Guisol (Le fils Meunier), Jean Dasté. 1h20

Le directeur d'une petite entreprise de publications populaires, Batala, exploite honteusement son personnel. Il édite aux moindres frais "Arizona Jim", un western écrit par l'un de ses employés, le sympathique M. Lange, tout en lardant sa prose de slogans publicitaires. Entre deux affaires véreuses, il viole l'innocente Estelle, employée de la blanchisserie du rez-de-chaussée dont la patronne, Valentine, est elle-même amoureuse de Lange. D'autres intrigues se nouent gentiment dans la cour de l'immeuble.

Acculé à la faillite, Batala prend le large. Son train déraille. Il passe pour mort. En réalité, il a volé les vêtements et usurpé l'identité d'un ecclésiastique qui voyageait avec lui. En son absence, l'affaire est renflouée et sainement gérée par les ouvriers réunis en coopérative. On s'apprête à tirer un film d'"Arizona Jim". C'est le moment que choisit l'ignoble Batala pour reparaître et faire valoir ses droits. Lange, effondré, le tue. Après quoi il s'enfuit en compagnie de Valentine et passe aisément la frontière.

Le film comporte l'un des panoramiques les plus célèbres de l'histoire du cinéma ,brillamment analysé par André Bazin :

"Le scénario original s'appelait Sur la cour. L'idée générale du film est de grouper autour de cette cour intérieure un certain nombre de personnages et d'activités, bref de peindre dans un esprit quasi unanimiste une de ces petites communautés parisiennes née spontanément de la topographie urbaine. Il y a ceux qui habitent et travaillent " sur la cour " : les concierges, la blanchisseuse, Lange et ceux qui viennent seulement y travailler : les typographes, les ouvrières de Valentine, etc. mais tout ce petit monde ne nous est (à quelques "extérieurs" près) connu que par ses rapports constants ou occasionnels avec la cour et les activités dont elle est le centre.

Or, cette réalité dramatique a été concrétisée en fait par un décor, non point morcelé entre plusieurs plateaux du studio, mais construit effectivement en entier dans la cour du studio de Billancourt. Dans ce vaste complexe, chaque partie importante du décor (la conciergerie, la blanchisserie, le grand escalier, la salle de composition, le bureau de Batala…) occupait sa place réelle autour de la cour dont le centre devenait le lieu géométrique de toute l'action. Notons un détail significatif : le pavage de ladite cour est concentrique.

On comprend dès lors que si la profondeur de champ est, en effet, le modèle de prise de vue toujours logique lorsque l'action se passe dans l'un des éléments périphériques du décor, le panoramique soit le mouvement d'appareil spécifiquement imposé par cette disposition générale lorsque l'action est saisie depuis la cour.

D'où le trait de génie final de la mise en scène, le point d'orgue, l'accord parfait qui va cristalliser toute la structure spatiale du film le panoramique à 360° et à contresens, prenant Lange dans le bureau de Batala nous le faisant suivre à travers l'atelier puis l'escalier enfin débouchant sur le perron. Mais, lors du plan suivant, la caméra l'abandonne et, au lieu de continuer sur ses pas, vire en sens contraire balayant toute la cour et recadrant l'acteur dans l'angle opposé où il vient de rejoindre Batala pour le tuer. Cet étonnant mouvement d'appareil apparemment contraire à toute logique a peut-être des justifications secondaires, psychologiques ou dramatiques (il donne une impression de vertige, de folie, il crée un suspense) mais sa raison d'être est plus essentielle ; il est l'expression spatiale pure de toute la mise en scène.


Il est vrai que ce panoramique non immédiatement justifié pourrait paraître arbitraire et sentir la rhétorique. Aussi Renoir nous a-t-il préparés inconsciemment à l'admettre dans la scène du concierge ivre traînant les poubelles autour de la cour. Le mouvement circulaire est ainsi dans notre œil et c'est sa persistance mentale qui contribue sans doute a faire admettre l'abstraction du panoramique qui va suivre.
"