Un drame social réussi cherche à réinventer l'agencement des articulations entre les groupes pour leur rendre autonomie et puissance de rupture. C'est le fonctionnent des groupes les uns par rapport aux autres qui est analysé. Quel énoncé chacun peut-il formuler comme représentatif de son groupe ? Le drame social est alors une façon de décrire un "vivre ensemble" de la cité au sens large. C'est une construction quotidienne et à long terme des conditions d'appartenance, fussent-elles conflictuelles, à un monde commun lui-même composé de collectivités de tailles variables qui s'incluent plus ou moins les unes aux autres.
Le drame social réaliste prend en charge un personnage, nous fait partager ses désirs et nous montre la réalité qu'il tente d'atteindre (victorieusement pour Dheepan ou qui va les broyer dans Sweet sixteen de Ken Loach). Dans le drame social naturaliste (Los Olvidados de Buñuel) s'expriment les pulsions des personnages dans des plans qui sont souvent proches du surréalisme. Et puis, il y a les films néo-réalistes, dans la lignée de ceux de Rossellini, où le réel montré est déformé par la conscience du personnage. Des films où le metteur en scène prend le risque de composer l'image avec un effet de sens tout en restant toujours dans le vraisemblable.
Le danger du drame social réaliste est souvent de se cantonner à l'analyse d'un seul milieu social, le pouvoir restant abstrait et l'engagement absent (Qu'elle était verte ma vallée contrairement aux Raisins de la colère). La Nouvelle vague anglaise, dont Ken Loach est l'héritier, a ainsi dangereusement renouvelé le genre, perverti plus encore par les fictions de gauche française de triste mémoire (Costa-Gavras). L'intention de faire bouger les choses ne garantit en effet pas que s'ébranle la matière même brassée par le film. Livrant des constats implacables, certains films découragent l'action par cette implacabilité même. Classe pauvre solidaire et système social implacablement inhumain, la découpe de Moi Daniel Blake est si nette qu'elle semble définitive, et inspire le sentiment que le désastre n'est plus amendable. Peut-on parler de drame social là où tout semble fatal ?
Gilles Deleuze propose deux caractéristiques principales pour définir un cinéma social moderne : la mise en scène privilégiant "la mise en transe" des différentes composantes sociales (privé-public, exploitants/exploités...) et "la production d'énoncés collectifs non unanimistes" par appel à la mémoire ou à la fabulation.
C'est ce dont rendent compte La vie est belle de Frank Capra, Le crime de monsieur Lange de Jean Renoir ou Douches froides : une mise en crise du dispositif social, de l'irruption dans l'ordre du monde de ce qui permettrait de le mettre en cause, hypothétiquement de le transformer en rompant avec l'ordre antérieur.
Proche du drame social est le documentaire ethnographique qui s'attache à décrire un mode de vie et des comportements induits par des conditions particulières qu'elles soient géographiques ou climatiques ou bien politique, religieuses ou sociales. (Sociétés lointaines : Afrique, Asie, Océanie; Exclus, quart-monde, migrants ; Ouvriers et classe ouvrière, étudiants Paysans, pêcheurs; Comportements nationaux, urbains). Plus abstraits sont, d'une part, le documentaire social qui fait le constat d'un état du système social souvent au travers d'un domaine particulier (Éducation, justice, santé, média) et, d'autre part, le documentaire politique qui s'attache à décrire et critiquer les institutions économiques et politiques.
Principaux drames sociaux
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Saint Omer | Alice Diop | France | 2022 |
R.M.N. | Cristian Mungiu | Roumanie | 2022 |
As bestas | Rodrigo Sorogoyen | Espagne | 2022 |
Bad luck banging or loony porn | Radu Jude | Roumanie | 2021 |
Séjour dans les monts Fuchun | Gu Xiaogang | Chine 2019 | 2019 |
Noura rêve | Hinde Boujemaa | France | 2019 |
120 battements par minute | Robin Campillo | France | 2017 |
Moi, Daniel Blake | Ken Loach | G-B | 2016 |
La loi du marché | Stéphane Brizé | France | 2015 |
Dheepan | Jacques Audiard | France | 2015 |
Gone girl | David Fincher | U.S.A. | 2014 |
Promised land | Gus van Sant | U.S.A. | 2014 |
Deux jours, une nuit | Luc et J.-P. Dardenne | Belgique | 2014 |
L'Apollonide, Souvenirs de la maison... | Bertrand Bonello | France | 2011 |
The social network | David Fincher | U.S.A. | 2010 |
Un homme qui crie | Mahamat-Saleh Haroun | Tchad | 2010 |
White material | Claire Denis | France | 2010 |
Fish tank | Andrea Arnold | G-B | 2009 |
Les bureaux de Dieu | Claire Simon | France | 2008 |
Le silence de Lorna | Luc et J.-P. Dardenne | Belgique | 2008 |
United red army | Koji Wakamatsu | Japon | 2007 |
La graine et le mulet | Abdellatif Kechiche | France | 2007 |
4 mois, 3 semaines, 2 jours | Cristian Mungiu | Roumanie | 2007 |
Still life | Jia Zhang-ke | Chine | 2006 |
Douches froides | Antony Cordier | France | 2005 |
Intervention divine | Elia Suleiman | Palestine | 2002 |
Moolaadé | Sembene Ousmane | Sénégal | 2002 |
Respiro | Emanuele Crialese | Italie | 2002 |
The Magdalena sisters | Peter Mullan | G-B | 2002 |
Sweet sixteen | Ken Loach | G-B | 2002 |
La ville est tranquille | Robert Guédiguian | France | 2000 |
Rosetta | Luc et J.-P. Dardenne | Belgique | 1998 |
La promesse | Luc et J.-P. Dardenne | Belgique | 1995 |
Ariel | Aki Kaurismäki | Finlande | 1988 |
Les liaisons dangereuses | Stephen Frears | G-B | 1988 |
Nashville | Robert Altman | U.S.A. | 1975 |
Le droit du plus fort | Reiner W. Fassbinder | Allemagne | 1974 |
Pourquoi Monsieur R. est-il... | Reiner W. Fassbinder | Allemagne | 1969 |
La poursuite impitoyable | Arthur Penn | U.S.A. | 1965 |
Samedi soir et dimanche matin | Karel Reisz | G- B. | 1960 |
La rue de la honte | Kenji Mizoguchi | Japon | 1957 |
Umberto D | Vittorio de Sica | Italie | 1952 |
Qu'elle était verte ma vallée | John Ford | U.S.A. | 1941 |
Les raisins de la colère | John Ford | U.S.A. | 1940 |
La règle du jeu | Jean Renoir | France | 1939 |
La vie est à nous | Jean Renoir | France | 1936 |
Le crime de monsieur Lange | Jean Renoir | France | 1935 |