Quittant sa maison, adossée à la montagne et en haut de la forêt, Rudi, un garçon d’une douzaine d’années se rend à l’école, un peu plus bas dans la vallée. A mi-chemin, il fait demi-tour, effrayé.
Fin du générique qui signale des sous-titrages de plusieurs couleurs, distinguant le roumain (en blanc), le hongrois (en jaune) et les autres langues (en violet).
Allemagne. Matthias travaille dans un abattoir où il est affecté à la découpe. Lorsqu’il passe un coup de téléphone dehors, il est interpellé par le contremaîitre pour retourner travailler. Il avance que c'est une urgence mais le contremaître le traite alors de « gitan paresseux ». Instinctivement, Mathias lui donne un coup de boule puis s'enfuit en le voyant écroulé par terre et donnant l’alarme. Mathias parvient à quitter l’Allemagne en stop.
Dans un petit bourg de Transylvanie multiethnique où vivent des Hongrois, des Roumains et encore quelques Allemands, Mme Dénes est à la propriétaire d'une boulangerie industrielle. Elle demande à sa directrice, Csilla, d’origine hongroise comme elle, de tout faire pour parvenir à l’embauche de cinq nouveaux salariés d’ici le 7 janvier afin d'obtenir une importante subvention européenne, accordée aux entreprises de plus de 50 salariés. Csilla sait la tâche ardue car à la mi-décembre aucun candidat ne s’est déclaré pour un emploi au salaire minimum. Les plus jeunes ont préféré émigrés à l’étranger pour des salaires décents. Mais Csilla ne se décourage pas et part remplacer les affiches et offres emploi par internet avec la maigre promesse d’heures supplémentaires payées double.
Mathias arrive dans son village et sa maison en haut de la colline où il retrouve Anna, sa femme, et son fils, Rudi. Il laisse croire qu’il est rentré de son plein gré pour s’occuper de son fils qui ne parle plus depuis le choc mental qu’il a reçu sur le chemin de l’école. Il reproche à Anna de s’occuper trop tendrement de Rudi ce qui ne l'aide pas, dit-il, à agir comme un homme, comme lui, dénué de peur. Il l’accompagne ainsi le lendemain l’école, tirant au fusil, tentant de convaincre du bénéfice des armes parce qu’il faut toujours "mourir en dernier". Rudi semble néanmoins toujours aussi effrayé sur le chemin.
Matthias revient voir son ancienne maîtresse, Csilla, à la boulangerie industrielle, espérant que son mari, médecin, pourra diagnostiquer le problème de Rudi. Il est surpris d'apprendre que Csilla vit seul, son mari l’ayant quittée pour vivre à l’étranger et qu'elle est devenue directrice de l’usine. Le soir il épie la jeune femme à l'arrière de la maison jouer du violoncelle sur le thème d’In the Mood for Love. Il se masturbe et fait tomber un instrument de jardin. Interrompant sa répétition, Csilla vient lui dire de venir la visiter s'il le souhaite par la porte d’entrée.
Les relations entre Anna et Mathias se détériorent rapidement du fait de son infidélité et de sa présomption à rejeter sur Anna la responsabilité de l'absence de paroles de Rudi. Matthias revient vers Csilla et redevient son amant. Il tente toujours vainement de faire retrouver la parole à son fils en lui enseignant des manières d’homme : comment rendre l’eau potable en la faisant bouillir avec des moyens de fortune.
Grâce à un recruteur professionnel, trois Sri-lankais sont recrutés pour la boulangerie à la veille de Noël. Deux d’entre eux arrivent d’abord que Csilla se charge de loger dans une maison appartenant aux parents d’Anna, M. et Mme Baciu. Ceux-ci disposent en effet d'une maison préalablement louée par des gitans que les habitants du village, racistes, ont chassés et qui habitent dorénavant un village plus éloigné. M. et Mme Baciu ne font pas de difficultés pour accueillir les étrangers d’autant qu’ils reçoivent aussi chez eux un jeune français mandaté par l'Union Européenne pour recenser les ours dans la vallée.
Mathias avait promis de passer la veille de Noël chez Csilla mais quand il rentre chez lui, il découvre son père, Papa Otto, victime d’un AVC. Il reste avec lui à l’hôpital lorsqu’il passe un IRM. Ce n’est ainsi que le soir de Noel qu'il rentre au village, en fête avec les cadeaux distribués aux enfants par la boulangerie industrielle et un grand bal. Mais les tensions apparaissent néanmoins lorsque le français danse avec Csilla ou les Sri-lankais avec des filles du pays. Lors de la fête des ours, où chacun se déguise comme aux temps anciens, tout comme lors d'un match de hockey sur glace contre le village qui abrite les gitans, les propos racistes et xénophobes sont menaçants.
Csilla et Matthias passent la nuit ensemble mais ce dernier n’exprime qu’un peu forcé son amour pour Csilla. Elle le charge d’aller chercher le lendemain le troisième Sri-lankais promis par le recruteur.
A l’usine, Mme Dénes et Csilla s’inquiètent des menaces portées à l’encontre des Sri-lankais sur les réseaux sociaux. Un groupe facebook appelle à les chasser. Alors que ceux-ci viennent à l’église pour la messe, ils sont chassés de l'enceinte. Le prêtre proteste mollement et accepte même de relayer la demande d’expulsion auprès de Mme Dénes. Celle-ci demande la médiation du maire. La réunion d'abord prévue à l’église est déplacée à la salle des fêtes tant l'assistance est nombreuse. Les arguments de la population, qui se sent menacée de disparition, font preuve d'un ressentiment profond contre les étrangers : mondialisation, concurrence déloyale, virus sur les mains des Sri-lankais, appauvrissement de la culture locale, favorisation des attentats terroristes islamistes, tout y passe jusqu’à la décision de ne plus acheter de pain de l’usine tant que les étrangers y seront.
La réunion est interrompue par la nouvelle que Papa Otto s’est suicidé dans la forêt. Rudi, qui a probablement assisté à un précédent suicide, est touché par la peine de son père se remet à parler. Csilla, excédée par la lâcheté de Mathias lors de la réunion publique se contente de lui envoyer quelques fleurs découpées à la hâte et par l'intermédiaire du Français en guise de condoléance. Elle doit en effet évacuer les Sri-lankais après une tentative d'incendie de la maison qu'ils occupaient et le refus des propriétaires de supporter cela plus longtemps.
Le lendemain, Mme Dénes, confrontée à la grève du pain, décide du renvoi des Sri-lankais. C'en est trop pour Csilla qui présente sa démission. Mathias, rendu jaloux par le peu de cas que fait Csilla de lui et le départ de sa femme, retournée chez ses parents, erre dans le village un fusil à la main. Il renonce à tuer les Sri-lankais, protégés par la police.
Mathias retourne chez Csilla qui joue du violoncelle. Menaçant, complètement perdu, il tire en sa direction alors que son esprit embrumé voit apparaitre des ours derrière elle.
R.M.N. est l'acronyme formé par les initiales de "Rezonanta Magnetica Nucleara" soit, en français : "Imagerie par Résonance Magnétique", I.R.M. Christian Mungiu ausculte ainsi en profondeur la maladie qui ronge son pays. Et le diagnostic est terrible. A grande échelle, celle d'un village admirablement ausculté, socialement, intimement, politiquement, historiquement et géographiquement, Christian Mungiu fait un constat plus désespérant encore des laissés pour compte de la mondialisation que Rodrigo Sorogoyen dans As bestas (2022).
Scanner et plan-séquence
Mathias a pris en photos les images du scanner de son vieux père, Papa Otto, et fait défiler sur son téléphone les clichés en noir et blanc de son crâne attaqué par un AVC. Mais, sous le crâne d'une population en proie à une perte d’identité, ce sont les mêmes têtes de mort qui sont progressivement dévoilées.
Tout d'abord accueillants pris séparément, les villageois vont bientôt gronder en proie au mal collectif s'auto-entretenant, de la haine raciste. C'est bientôt tout le village réuni dans une "salle des fêtes", saisi dans un unique plan-séquence de dix-sept minutes qui va débiter les arguments les plus insensés pour exclure les étrangers. Le prêtre avait allumé la mèche en relayant les doléances des villageois mais c'est le médecin qui se montre le plus terrible. S'appuyant sur l'autorité que lui donnent ses supposées connaissances médicales, il prétend que les Sri-lankais peuvent transmettre par leurs mains les virus les plus dangereux, car différents des européens. Il n'en faut pas plus pour dégoûter la population de toucher au pain de la boulangerie. Les habitants d’origine hongroise, pourtant minoritaires, se montrent les plus extrémistes, redoutant peut-être les prochains à être assimilés aux étrangers. Mais c’est l'ensemble de la population, se sentant marginalisée au sein de l'Europe, réduite, avec ses ours, à n'en être plus que le zoo, qui se recroqueville sur une supposée identité qui lui donne seule l'impression d'une dignité que le capitalisme rogne chaque jour davantage. En effet, ils ne peuvent se retrouver ni dans les positions du jeune français plein de bonne volonté mais subventionné ni même dans celles de Mme Dénes, habile profiteuse de aides européennes. A ce constat d'échec de la réunion, il est mis un point orgue avec le suicide de papa Otto.
Les femmes et les enfants d'abord... victimes
La conséquence en sera la mort de la plus courageuse et indépendante des jeunes femmes, Csilla, probablement abattue par un Mathias instinctif et incapable du moindre changement. A moins qu'au dernier moment, les ours qu'il fantasme derrière elle, au lieu de l'approuver comme l'un des leurs, ne lui fassent détourner son arme ; mais d'une telle confusion, il ne peut rien sortir de bon.
En montrant l’aporie de ces attitudes dans un petit village ainsi ausculté, il est probable que Mungiu espère un réveil de son pays pour se soigner des vieilles haines rancies du passé. Voir en face la mort permettra peut-être à l'enfance de retrouver la parole.
Jean-Luc Lacuve, le 26 octobre 2022.