Moi, Daniel Blake

2016

Genre : Drame social
Thème : Exclus

Festival de Cannes 2012 : palme d'or (I, Daniel Blake). Avec : Dave Johns (Daniel Blake), Hayley Squires Hayley Squires (Katie), Dylan McKiernan (Dylan), Sharon Percy (Sheila), Briana Shann (Daisy), John Sumner (CV Manager), Mark Burns (le chômeur), Micky McGregor (Ivan). 1h39.

Newcastle. Pour la première fois de sa vie, Daniel Blake, un menuisier anglais de 59 ans, est contraint de faire appel à l’aide sociale à la suite de problèmes cardiaques. Mais bien que son médecin lui ait interdit de travailler, un examen par une professionnelle de la santé (un cabinet d'audit appliquant des formules toutes faites pour n'importe quel malade) vient de lui retirer ses droits à une pension d'invalidité. Sans ressource, il se voit signifier l'obligation d'une recherche d'emploi sous peine de sanction.

Au cours de ses rendez-vous réguliers au "job center", Daniel va croiser la route de Katie, mère célibataire de deux enfants qui a été contrainte d'accepter un logement à 450km de sa ville natale pour ne pas être placée en foyer d’accueil. Katie, elle aussi sans ressource, est prise de vertige dans la banque alimentaire tant elle s'est privée pour nourrir ses enfants. Elle vole dans un grand magasin et Ivan, un vigile lui laisse l'adresse d'une agence de prostitution. Daniel le découvre bientôt et Katie lui demande de s'éloigner car elle n'a pas d'autre solution.

Daniel, sans ressources, vend tous ses meubles à l'exception de ses outils de menuisier. Daisy vient lui demande de les laisser l'aider. Il obtient enfin un réexamen de sa situation. Il est accompagné de Katie. Mais c'est trop tard : à bout, il meurt d'une crise cardiaque. Katie fait son éloge funèbre, la lecture de sa demande d'appel de son examen de santé où il demandait à être traité comme un simple citoyen, ni plus ni moins. 

Dans Rif raf (1991) Ken Loach en appelait à l'incendie des propriétés des spéculateurs immobiliers qui ne respectaient pas  les règles de sécurité minima vis à vis de ceux qu'ils employaient au noir. Quinze ans après, Ken Loach ne voit plus que la mort comme destin à une classe ouvrière qui voudrait rester intègre. Il pourrait s'agir d'un aveu d'impuissance à se saisir de la situation contemporaine et à se refugier dans la déploration de la perte des valeurs passées (le welfare). On peut aussi voir dans l'affrontement du monstre froid libéral des procédures informatisées avec des figures presque christiques (le charpentier et la prostituée) une volonté mélodramatique dont le film tire l'essentiel de son émotion.

Le monstre froid des procédures informatisées

Rif raf bénéficiait du foisonnement dues aux interactions entres personnages divers d'abord tous plus ou moins sympathiques, du contremaitre à l'ensemble des ouvriers, politisés ou non. C'est le drame d'un accident mortel qui faisait basculer les uns et les autres dans des camps différents. Ici, les personnages et les situations, la mise en scène elle-même sont orientés vers la tragédie.

Dès l'écran noir du début, où la voix de Daniel répond excédé aux questions de "la professionnelle de santé", l'interaction capable de faire changer les choses est donnée comme impossible. L'employée d'un cabinet privé qui égrène les questions posées à n'importe quel malade ne peut sortir du moule imposé puisqu'elle n'a aucune compétence et aucun pouvoir. Inutile donc de la montrer à l'écran. Tout pareillement les agents du "job center" sont formatés pour éviter d'être touchés par l'agressivité compréhensible des allocataires. Ann, compatissante, n'a pas plus de pouvoir que Sheila, satisfaite de sa situation sadique de punir les chômeurs qui n'appliquent pas strictement les règles.

Les fondus au noir qui rythme les différentes épisodes de la lutte de Daniel ont cette même fonction de signifier l'inexorable marche vers la tragédie. Rien n'arrive jamais dans un ordre qui permettrait à Daniel d'entamer une démarche à laquelle s'accrocher.

Le menuisier et la prostituée

Menuisier expérimenté, Daniel appartient à l'aristocratie de la classe ouvrière. Bien intégré, il en est une figure idéale, dépouillée de toute autre considération personnelle. Sa femme est récemment décédée. Eprouvé par son agonie, sa seule lutte consiste à récupèrer ses droits aux indemnités. La solidarité se fragmente avec ses collègues. Il doit se contenter de récupérer du beau bois. Il n'a plus les moyens de faire la fête avec eux au pub. Son habileté à fabriquer des mobiles ou une étagère, ses talents concrets de bricoleur, son amour pour ses beaux outils s'opposent à l'univers des ordinateurs pour lequel il n'est plus fait. Celui-ci est le domaine de ses jeunes voisins qui, moralement plus souples, font du trafic avec la Corée profitant d'une connaissance particulière de la chaine de fabrication. Mais, même avec une remise de 50%, il n'est pas facile revendre des chaussures de luxe à des pauvres ou des classes moyennes dans la rue.

Katie est une autre figure christique. Elle fait tout pour sauver son fils de la neurasthénie dans laquelle il s'enferme et pour emporter l'adhésion de sa fille ainée. Elle va jusqu'à pratiquement se laisser mourir de faim. Sa situation de prostituée est laissée en suspens à la fin. Presque comme si sa situation individuelle n'avait que peu d'importance par rapport à l'archétype qu'elle représente.

L'angélisme à représenter une classe exploitée obligatoirement solidaire en dépit des sexes, des âges et des origines ethniques face à une société jugée unanimement mauvaise (tout le monde remarque le tag de Daniel et y applaudit sans réticence) fera décrocher nombre de spectateurs alors que d'autres seront sensibles au mélodrame de Daniel et Katie.

Jean-Luc Lacuve, le 30/10/2016