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2010

Genre : Drame social

Avec : Isabelle Huppert (Maria Vial), Christophe Lambert (André Vial), Isaach de Bankolé (Le boxeur, l'officier rebelle), Nicolas Duvauchelle (Manuel Vial), William Nadylam (Chérif, le maire), Adèle Ado (Lucie, la femme d'André), Michel Subor (Henri Vial, le propriétaire de la plantation), Ali Barkai (Jeep, le chef des enfants rebelles), Daniel Tchangang (José). 1h42.

Quelque part en Afrique, Maria Vial court à travers la brousse et rejoint un car, bondé. Elle s'accroche à l'échelle extérieure. Elle se souvient.

Dans sa plantation de café, des militaires ont trouvé le boxeur, le chef des rebelles, mort. Elle se souvient, le boxeur qu'avant celui-ci dirigeait une troupe d'hommes et d'enfants soldats et qu'ils étaient encouragés dans leur révolte par une radio indépendante cachée dans la montagne. Plus tard, le boxeur avait trouvé refuge chez elle.

Chez elle, c'est chez son beau-père, Henri Vial, et le fils de celui-ci, André, son ex mari avec qui elle eut Manuel, adolescent amolli passant ses journées au lit et toujours absent du lycée

André cherche à vendre la propriété au maire, Chérif, qui compte sur sa milice privée pour le défendre des rebelles.....

Comme l'avait déjà remarqué Serge Daney, le cinéma de Claire Denis est plus géographique qu'historique, il raconte bien davantage l'impossible installation dans un territoire qu'un trajet de fiction. Ici Maria, qui ne possède rien (tout appartient à son mari ou plus exactement à son ex mari et ex-beau-père), cherche, sans exploiter ses ouvriers noirs, à s'insérer dans un territoire qui n'est pas le sien et qui la rejette.

Ce parcours tragique est porté par Isabelle Huppert qui donne ici à la juste mesure de son talent. Bien loin du cabotinage qu'on lui permet dans des films trop psychologiques, Villa Amalia ou Un barrage contre le pacifique. Elle est ici mythique et fragile, forte et cassante comme Médée, prête à sacrifier son fils pour sa récolte de café. Nicolas Duvauchelle, excellent en fils mollasson, peine un peu plus à devenir une sorte de Kurtz sorti de Apocalypse now via Au cœur des ténèbres, le roman de Joseph Conrad.

Maria est emporté dans le car toujours en mouvement, comme entêtée par la musique et sonnée à chaque coup de flash-back qui révèle un pan de son passé proche.

Ce qui se joue au présent, sa volonté de revenir coûte que coûte chez elle alors qu'elle a déjà presque tout perdu imprègne d'une atmosphère de désastre et de mort ce qui se joue dans les flash-back. Ceux-ci découvrent une réalité incertaine dans son déroulement narratif : le boxeur est présenté comme mort mais, un peu plus tard, le chef des enfants rebelles dira qu'il n'a jamais crû à cette mort annoncée. Même incertitude psychologique dans les relations que les personnages entretiennent entre eux. Alors que le spectateur ré-arrange peu à peu faits et relations, l'enfermement et le désastre apparaissent de plus en plus manifestes jusqu'à l'écroulement en larme, jusqu'au retrait du fils dans le bâtiment en feu, jusqu'au massacre enfin du beau-père par sa belle-fille.

Si le film a été tourné au Cameroun, il évoque tous les pays en proie à de récentes guerres civiles avec leurs enfants soldats et des haines attisées par les radios ultra partisanes appelant au meurtre : Congo, Libérai, Rhodésie ou Rwanda.

Les résistants, les rebelles semblent avoir la sympathie de Claire Denis malgré la haine qu'ils déchaînent. Alors que les autorités, pourtant un peu comme Maria, s'accrochent au pouvoir : "Dieu ne baisse pas les bras", "Le maire tient bon".

Mais, K.O. debout, Maria finira par s'écrouler comme mourra le boxeur, fondant en larme avant son dernier geste sublime et sanglant, comme point final d'une défaite : exécuter son beau-père à coups de machette pour ne pas avoir su protéger son fils, mort brûlé vif.

Jean-Luc Lacuve le 01/04/2010