Saint Omer

2022

Genre : Drame social

Avec : Kayije Kagame (Rama), Guslagie Malanda (Laurence Coly), Valérie Dréville (La Présidente), Aurélia Petit (Maître Vaudenay), Xavier Maly (Luc Dumontet), Robert Cantarella (L'avocat général), Salimata Kamate (Odile Diata), Thomas De Pourquery (Adrien), Adama Diallo Tamba (Seynabou, la mère de Rama), Seyna Kane (Seynabou jeune). 2h02.

Une femme s'avance vers la mer dans la nuit, portant son nourrisson dans les bras. Rama se réveille d’un cauchemar aux côtés d'Adrien, son compagnon, qui lui dit qu'elle appelait sa mère dans son sommeil. Puis, Rama donne un cours de littérature à ses étudiants, confrontant le récit de la femme tondue, inventé par Marguerite Duras dans Hiroshima, mon amour, à des images d’archives de la Libération, et indiquant que: "L’auteure met sa puissance de narration au service d’une sublimation du réel". Adrien et Rama sont invités chez la mère de celle-ci, Seynabou, pour dîner en compagnie des deux sœurs de Rama. L'après-midi, ils passent une vidéo du joyeux Noël de 2000 où rien n'annonce la maladie mortelle du père.

Au retour, Rama prépare sa valise et part pour Saint-Omer couvrir le procès de Laurence Coly accusée d'avoir tué son bébé de quinze mois en l'abandonnant la nuit à marée montante sur la plage de Berck-sur-Mer. Une jurée expert-comptable est récusée par la défense, une autre, musulmane, par l'avocat général avant que la première des six jurées, une infirmière, ne soit acceptée.

La présidente du tribunal rappelle les faits. Le bébé mort a été retrouvé le lendemain matin après son abandon par un pêcheur qui a averti les gendarmes. On a d'abord cru à un enfant de migrant, noyé, rejeté par la mer mais une femme près de l'hôtel s'est souvenu avoir vu une femme noire portant un bébé la vielle au soir et l'hôtelier près de la plage à révélé l'identité de la femme. Neuf jours après, les policiers ont interpellé Laurence Coly chez elle à Saint Mandé. Elle a déclaré que sa petite fille était au Sénégal chez sa grand-mère mais les policiers lui ont déclaré qu'elle avait été vue la veille du drame avec sa fille et que les caméras de vidéo surveillance l'ont ensuite vue revenir seule à la gare. Laurence Coly a alors reconnu les faits et déclaré qu'elle avait agi ainsi parce que cela lui avait paru le plus simple.

La présidente lui demande si elle plaide coupable et pourquoi elle a agi ainsi. Laurence Coly dit qu'elle plaide non-coupable et espère que le procès lui apprendra pourquoi elle a agi ainsi.

Rama sort du tribunal et s'attarde auprès d'Odile Diata, la mère de Laurence Coly qui loge dans un hôtel proche du sien. Fatiguées, elles se promettent de déjeuner ensemble le lendemain. Le matin Luc Dumontet, 67 ans, qui héberge Laurence, témoigne qu'il s'agit d'une histoire d'amour qui a mal tourné. Il était sincèrement amoureux de Laurence, fier de l'avoir pour compagne même s'il n'a jamais parlé d'elle à sa famille. Il n'a pas reconnu l'enfant parce que Laurence le voulait pour elle. Laurence lui reproche son désinvestissement dans leur relation. L'avocat général déclare qu'elle a toujours caché cet enfant non désiré en pensant qu'elle pourrait la tuer sans laisser de trace. Cécile Jobard, sa professeur de licence en philosophie à Paris 8 la décrit comme une affabulatrice, absente aux examens et à l'aise seulement à l'oral. Elle aurait préféré un autre choix que Wittgenstein comme sujet de master.

Rama est réveillée par son éditeur qui accepte son projet mais préférerait un autre titre que Médée naufragée. Le déjeuner avec Odile Diata ne se passe pas bien, elle est trop directive mais n'a pas tort de trouver trop indigeste la commande de Rama qu'elle a deviné enceinte et qui vomit son repas.

Le juge d'instruction est appelé à témoigner. Le procureur lui reproche d'avoir offert à Laurence une ligne de défense à laquelle elle s'accroche en lui proposant une référence supposée à sa culture : le maraboutage. Rama se sent mal d'autant que Laurence lui adresse un regard qu'elle ressent comme sardonique.

Prise de panique, Rama rentre précipitamment à l'hôtel et fait sa valise pour partir. Elle pleure et téléphone sans succès à  Adrien et s'endort. Adrien lui rend visite. Elle dit avoir peur d'être vis à vis de sa fille comme sa mère vis à vis d'elle, manquant d'amour. Adrien et la réconforte elle n'est pas sa mère, une femme cassée.

Le troisième jour du procès, Maître Vaudenay plaide. La société a rendu folle Laurence en lui faisant perdre tout repère et c'est ainsi qu'elle a commis cet acte monstrueux qu'aucune personne censée ne peut commettre. Au cours de ce procès, on a entendu Laurence mais on a aussi entendu la petite Elise. Pour preuve le rêve que lui a raconté Laurence ce matin même. Sa petite fille était venue se réfugier sous sa robe d’avocate. Elle avait alors compris le rêve de Laurence; elle lui demandait de porter non pas que sa voix mais aussi la voix de sa petite fille. La liaison entre la mère et on en connaît l'un des trajets à la naissance : les cellules de la mère vont vers l'enfant mais la science dit que l'inverse est vrai. Des cellules de l'enfant remontent dans chacune des parties de la mère qui devient ainsi une Chimère, cette créature fantastique fait de plusieurs corps assemblés. Laurence est folle d'avoir tué sa fille, conclut l'avocate, en la condamnant à une lourde peine en prison sans soin psychiatriques vous la condamnez à rester dans sa folie. Une peine plus légère lui permettra d'être soignée et de renouer avec le souvenir de sa fille.

Rama est chez sa mère allongée avec elle sur le canapé. Elle se souvient qu'enfant, elle l'avait vu s'habiller comme une reine dans sa pauvre chambre en France. Elle pleurait. Rama était venu s'asseoir à coté de sa mère qui n'avait rien dit. Aujourd'hui, Rama partage enfin avec elle un moment d’intimité, leurs mains sur son ventre de femme enceinte.

Le film est centré sur le personnage de Laurence Coly et tente d'approfondir les raisons qui l'ont conduit à ce crime monstrueux. Le personnage principal est néanmoins Rama, alter ego de la réalisatrice, qui permet d'élargir le propos à la thématique de la maternité dans ses dimensions mythiques et sociologiques.

Un crime monstrueux

Les circonstances du crime sont explicitées au cours du procès. Sans plus d’inscription à la fac, ni sécurité sociale, ni ressource après que son père lui ait coupé les vivres pour avoir abandonné le droit et choisi la philosophie, Laurence Coly avait trouvé refuge auprès de Luc Dumontet, trente ans plus âgé qu'elle qui l'aimait à sa façon sans s'engager ni la reconnaître auprès de sa famille. L'enfant, non désiré, avait été une cause de déséquilibre supplémentaire pour Laurence qui, sans plus aucun repère et soutien avait donc, selon ses mots, "trouvé plus simple" d'abandonner son enfant à la mort.

Cet acte monstrueux, explique son avocate, ne peut s’expliquer que par l'état de folie dans laquelle Laurence Coly se trouvait. C'est aussi ce qu'a retenu la justice dans le procès réel dont s’inspire le film qui s'est ouvert le 20 juin 2016 à Saint-Omer. Fabienne Kabou est condamnée à 20 ans de réclusion criminelle. L’accusée fait appel de la décision. Un an plus tard, sa peine est réduite à 15 ans de prison. La justice a retenu la maladie mentale comme circonstance atténuante.

La royauté féminine

Rama donne un cours de littérature en amphtheatre à ses étudiants, confrontant le récit de la femme tondue, inventé par Marguerite Duras dans Hiroshima, mon amour, à des images d’archives de la Libération. Elle explique ainsi son choix : "L’auteure met sa puissance de narration au service d’une sublimation du réel. La femme, objet d’opprobre, devient grâce aux mots de l’écrivaine, non seulement une héroïne, mais un sujet en état de grâce". Alice Diop tente le même pari en montrant ses personnages dans des plans rapprochés, longs, aux décors très dépouillés s'exprimant face caméra.

Alice Diop donne aussi une explication de nature plus mythique à ce crime. Elle rajoute dans la plaidoirie de l'avocate "l'explication scientifique" qui fait de la mère une Chimère, créature fantastique constituée d'elle-même et de son enfant. Cette notion, puisée dans la culture gréco-romaine, contrebalance le maraboutage présenté par Laurence Coly pour sa défense et qui ne semble pas intéresser Alice Diop. Elle semble rejoindre l'avocat général qui accuse le juge d'instruction d'avoir soufflé cette ligne de défense à Laurence et sa mère. Tout comme le témoignage de l'universitaire de Paris VIII, qui veut cantonner les sujets adéquats pour Laurence à ceux censés relever de sa culture africaine et trouver extravagant le choix de Wittgenstein. Ces clichés n'expliquent rien, ne justifient rien. Si Rama panique lorsque Laurence lui jette un regard au tribunal, ce n'est pas qu'elle croit qu'elle lui a jeté un sort mais parce qu'elle craint aussi de ne pas aimer son enfant.

Le titre que Rama veut donner à son enquête, Médée naufragée, et l'extrait du Médée de Pasolini visent à un autre niveau de compréhension. Médée aime ses fils. C'est parce que la société de son époque la rejette comme femme et barbare qu'elle leur jette au visage le crime le plus odieux. Sa détermination à se venger d'une société qui ne lui oppose que la froide raison en explication à son exclusion conduit Médée à cette folie d'assassiner ses fils. Quand la raison sociale, l’inertie sociale condamnent les femmes à l'exclusion, la vengeance peut être terrible.

Les conséquences de déchéance de la royauté féminine hantent Rama. Quatre fois, elle se revoit enfant tenue à distance par sa mère. Une première fois quand, lors du repas initial, elle s'absente mentalement pour se voir enfant, traitée avec indifférence par sa mère. Ce flash vient expliquer qu'elle refuse d'accompagner sa mère le lundi pour un rendez-vous médical. Sa sœur lui reproche de n’être pas disponible pour sa mère, comme d'habitude semble-t-il. La vidéo passée l'après-midi met pour la seconde fois en scène Seynabou, la mère de Rama, lors du repas de Noël 2000. Cette fois, les personnages sont bien identifiés. Ils vont revenir lors des deux autres flashes mentaux.

Le dernier flash-back est le plus important. Il montre Seynabou s'habiller comme une reine, ce qu'elle n'est plus dans sa banlieue française. Adrien l'avait expliqué à Rama : sa mère est cassée et c'est pour cela qu'elle n'aime plus. Rama, princière comme écrivaine reconnue et d'une élégance qui jure par ailleurs avec la population en voie de déclassement de Saint-Omer, n'a rien à craindre. Elle saura donner son amour à son enfant à naître. L'exclusion familiale ou sociale peut conduire si ce n'est au pire crime (Laurence est folle) du moins à l'apparence de l'absence d'amour. La dernière séquence, apaisée, scelle la réconciliation des trois générations.

Jean-Luc Lacuve, le 29 novembre 2022.