Fuyant la guerre civile au Sri Lanka, un ancien soldat tamoul, Dheepan, une jeune femme, Yalini, et une petite fille, Illayaal, se font passer pour une famille. Après une traversée en bateau, ils arrivent à Paris et tentent de survivre en vendant des babioles aux touristes. Ils font alors une demande d'asile politique. Un traducteur, du même camp que Dheepan, leur sauve alors la mise en transformant leur demande stéréotypée en une fiction qui leur permet d'obtenir gain de cause.
C'est ainsi, qu'installé légalement en France, Dheepan trouve une place de gardien au Près, cité sensible de Poissy. La place semble abandonnée tant les dégradations des immeubles sont nombreuses et l'autorité du quartier dévolue aux bandes de dealers qui squattent les halls d'entrée. Dheepan et Yalini inscrivent leur fille à l'école tout en travaillant sérieusement à la réparation des dégradations pour l'un et aux préparations des repas pour l'autre. Petit à petit, ils s'intègrent au quartier qui ne doute pas qu'ils forment une vraie famille. Yalini est pourtant mal à l'aise, souhaitant partir au plus vite chez sa cousine en Angleterre et n'ayant aucun sentiment maternel pour Illayaal qui lui en fait le reproche. Dheepan aimerait aussi que Yalini trouve un travail. Youssouf, l'élu de la mairie, lui propose pour 500 euros, somme que les refugiés trouvent mirobolante, de faire des ménages et de préparer à manger chez le vieux M. Brahim qui perd un peu la tête. Yalini n'est pas vraiment rassurée d'autant plus que chez M. Brahim une bande de jeunes délinquants semble y tenir ses quartiers.
Et puis, un soir, c'est le jeune caïd du quartier, qui débarque d'une voiture. C'est le jeune Brahim... que Yalini retrouve donc chez son oncle. Le jeune Brahim explique en effet être en liberté conditionnelle, bracelet électronique au pied, mais qu'il ne goute plus guère le trafic de drogue et se sent en danger dans une cité où son père a déjà été victime d'une bande rivale. Yalini est attirée par le jeune homme qui apprécie sa cuisine et lui parle gentiment et respectueusement tout en lui faisant découvrir un autre univers. Et c'est sans doute un peu émue par lui qu'elle se laisse faire l'amour par Dheepan dont elle avait repéré depuis quelque temps son désir pour elle.
Pourtant, quand une fusillade éclate devant la barre d'immeubles, Yalini ne pense qu'à fuir et Dheepan ne la rattrape qu'à grand peine à la gare et est obligé de lui confisquer son passeport. Ce qui met Yalini en colère rappelant à celui-ci qu'il aurait tort de croire qu'ils constituent une vraie famille.
Dheepan s'entête pourtant et, prenant modèle sur un reportage télévisé vu sur son pays, tente d'instaurer une "zone hors tir", démilitarisée, en traçant une ligne blanche devant la barre de son immeuble. Pour les dealers, c'est aller trop loin et l'un d'eux tente de le tuer en balançant un lourd meuble depuis le toit. Le jeune Brahim prévient Yalini de ne pas aller trop loin dans cette démarche. Il se dispute bientôt avec un membre d'une bande rivale. Il pressant les représailles mais n'a pas le temps de mobiliser ses troupes : il est blessé à mort chez lui. Il exige de Yalini, revolver sur la tempe, qu'elle prévienne Dheepan pour lui venir en aide. Celui-ci armé d'une simple machette, récupère l'arme d'un premier assaillant, enflamme une voiture qu'il jette sur le hall d'entrée de l'immeuble et dans la fumée ainsi dégagée tue tous les membres de la bande rivale. Arrivé chez le jeune Brahim, Yalini lui déclare qu'elle l'a tué et tous deux tombent dans les bras l'un de l'autre.
Plusieurs mois après, Dheepan vit en Angleterre. Il reçoit chez lui, dans son coquet pavillon des membres de la communauté sri-lankaise. Il a une petite fille de Yalini et Illayaal est toujours avec eux. La plus grande harmonie règne dans cette famille et cette communauté recomposées.
Jacques Audiard abandonne son habituel jeu de plateaux scénaristique où un jeune opprimé, suite à de multiples épisodes, finit par triompher. Il choisit cette fois de rester, hormis un court prologue et un épilogue plus court encore, dans un lieu unique : une cité de Poissy extrêmement dégradée et dominée par des dealers qui font la loi sans que la police n'intervienne jamais. On se doute dès lors que la violence emmagasinée chez les tigres tamouls va investir ce nouveau lieu au plus grand profit du héros. Ce sera bien le cas mais de manière suffisamment retardée pour ausculter auparavant le milieu social et l'investir de plus de symbolisme que de romanesque.
Entre documentaire suspect et symbolisme
La cité de Poissy est habitée par des personnes âgées (la femme arabe au pack d'eau du début et monsieur Brahim), quelques jeunes filles que l'on voit sortir en bande et des mères de familles conduisant leurs enfants à l'école. Des hommes qui travaillent, on n'en voit pas. Youssouf n'habite sans doute pas là. Ce sont ainsi les jeunes délinquants qui, non seulement font la loi, mais sont ultra majoritaires. Sans être particulièrement caricatural et servi par le jeu d'acteurs non professionnels, l'ensemble ne produit pas pour autant d'effet de vérité tant on a vu cent fois les ascenseurs en panne, les graffitis sur les murs et les boîtes aux lettres et luminaires dégradés. La cité du Pré semble un ilot coupé du monde dont plusieurs plans en plongée ont révélé son isolement au milieu des champs et quelques travelings les murs dégarnis de leurs crépis protecteurs. Plus qu'un lieu réel, les barres d'immeubles deviennent un lieu où se joue pour les héros comme pour nous un spectacle de cinéma.
On notera aussi la différence de traitement entre le triste modèle d'intégration à la française, obligatoirement chez les plus démunis et le modèle d'intégration ethnique de l'Angleterre où, au sein de la communauté sri-lankaise faisant la fête sur la pelouse printanière, tout paraît idyllique.
Les effets de mise en scène les plus marquants sont aussi les plus signifiants. Le flou sur la barrière et surveillante quand Yalini conduit Illayaal à l'école indique qu'elles lui apparaissent comme hors de son monde. Le pano- travelling à la grue partant de Dheepan en gardien modèle, sacoche à outils confectionnée avec soin, s'élevant vers la forêt au-delà des barres d'immeubles indique que se clôt la partie documentaire. L'arrivée du jeune Brahim enclenchant ensuite la partie fiction. Les deux apparitions lentes de l'éléphant se confondant avec la forêt de feuilles qui l'entoure évoquent peut-être la nostalgie et la puissance d'un monde disparu. A moins que cela ne prépare à l'assaut du HLM, montré lui aussi presque symboliquement, mitraillage quasi-fantastique au milieu des fumées de la voiture, intentionnellement incendiée pour cela.
Le romanesque en panne
Le film est ainsi doté d'une grande volonté documentaire et symbolique que l'on appréciera selon ses goûts et ses connaissances personnelles. Il est en revanche hélas assez manifeste que, pour une fois, le romanesque qui est censé y prendre appui, ne décolle pas.
Il y a ainsi assez peu de discussions ou de moments intimes entre les deux héros. On serait assez de l'avis de Yalini : il n'y a pas assez d'instants où il se passe quelque chose les deux personnages hormis le moment où ils discutent sur l'absence d'humour de Dheepan. Les scènes de montée du désir sont brèves et les disputes sans surprises. Les relations avec l'enfant sont aussi assez conventionnelles.
Deux pistes romanesques sont aussi esquissées puis abandonnées. Ainsi de la plongée dans une guerre tamoule qui pourrait se rejouer sur le territoire français. L'interprète tamoul a retrouvé Dheepan au sein de sa communauté, où il tente de se faire tout petit, refusant de reconnaitre qui que ce soit pour le mener au colonel. Mais celui-ci est trop fou pour aller au-delà d'une sévère correction de coups contre Dheepan, bien plus réaliste.
Plus regrettable peut-être, la tentative de séduction du jeune Brahim par Yalini qui manque de temps pour se développer. Certes le film s'appelle Dheepan et non Yalini mais le sacrifice de cette relation non conventionnelle aurait pu faire décoller un romanesque qui peine à convaincre surtout avec la sage et idyllique image de fin : un magnolia en fleur sous le soleil anglais.
Jean-Luc Lacuve le 27/08/2015