Une jeune femme, les yeux fermés, avec la mer en surimpression, un souffle rauque, est-ce un rêve ou un souvenir ?
Dans une ville du Nord de France, Ali fait du stop avec son jeune fils, Sam, 5 ans, qu'il semble connaître à peine. Sans argent, il récupère dans les trains, entre deux correspondances, la nourriture entamée laissée par les voyageurs pour nourrir son fils. Arrivé à Antibes, son beau-frère le ramène dans le camion de livraison qu'il vient de s'acheter, dans son domicile. Les retrouvailles avec Anna sont d'abord un peu froides puis chaleureuses alors que Sam s'intéresse aux chiens dont Anna, caissière dans un supermarché, assure la garde pour arrondir ses fins de mois. Anna héberge Ali dans le garage de son pavillon, s'occupe du petit et trouve à Ali un emploi dans une entreprise de sécurité et de surveillance.
A la suite d'une bagarre dans une boîte de nuit, Ali aide Stéphanie qui s'est fait agresser par un garçon violent. Il la ramène chez elle et lui laisse son téléphone. Stéphanie est dresseuse d'orques au Marineland. Lors d'une démonstration, l'une de ses collègues, Louise, laisse des poissons trop près du bord et un orque arrache la plateforme des dresseuses. Stéphanie s'enfonce dans l'eau, les jambes en sang. Lorsqu'elle se réveille à l'hôpital, elle constate avec effroi qu'elle est amputée des deux jambes. Tassée dans un fauteuil roulant, elle rappelle alors Ali qui l'oblige à sortir de son appartement et par son exemple, l'incite à se baigner.
Ali a pour collègue l'étrange Martial, qui lui propose de gagner de l'argent en participant à des combats à mains nues. Stéphanie est horrifiée par cette proposition qu'Ali est prêt à accepter pour 500 euros. Ali gagne ses combats, achète un jouet, un tracteur, à son fils, fait l'amour à une jeune femme, amie de la famille et rend régulièrement visite à Stéphanie que simplement, sans compassion, sans pitié, il aide à revivre. Stéphanie bénéfice bientôt de prothèses métalliques qui lui font enfin abandonner son fauteuil. Comme Stéphanie s'inquiète de son inactivité sexuelle et de sa possible frigidité après son accident, Ali lui propose de le vérifier avec elle. Stéphanie, d'abord interloquée par la froide franchise de la proposition, finit par accepter. Martial lui propose de recommencer dès qu'elle le souhaite et qu'il sera "opé". Stéphanie semble alors prête à reprendre son métier de dresseuse d'orques.
Ali est de nouveau amené à combattre. C'est beaucoup plus difficile cette fois et, seule la sortie de la voiture de Stéphanie, lui donne la rage de vaincre. Dans un supermarché, les caméras que Martial a installées pour surveiller les employés en dehors de toute légalité sont découvertes et Ali est pris en photos alors qu'il s'enfuit avec une partie du matériel. Martial, obligé de se cacher, confie à Stéphanie l'organisation des combats à main nue.
Anna est licenciée et apprend par une collègue que c'est son frère qui est en est responsable parce qui a posé des caméras révélant qu'elle emportait chez elle des produits périmés. Lorsqu'Ali rentre, elle le chasse de chez elle. Ali fait son sac et disparait.
Ali est à Strasbourg où il s'entraine pour devenir champion
de boxe. Son beau-frère à l'occasion d'un déplacement
lui amène son fils pour une journée. Ils jouent sur un étang
gelé. Sam tombe dans l'eau glacée et disparait sous la glace.
Ali le sauve en se brisant les mains sur la glace pour le repêcher.
Lorsque son fils est hors de danger, Ali s'effondre enfin au téléphone
et confesse sa douleur à Stéphanie. Il sera champion de boxe
mais gardera pour toujours les douleurs aux mains, dont les os ne se remettront
jamais parfaitement, à chaque fois qu'il donnera des coups.
Ce n'est pas tant l'absence de style qui caractérise le cinéma d'Audiard que l'absence de mise en scène. Les contrastes des gros plans de visages avec des plans plus larges obtenus par montage ou recadrage ou l'insistance sur des éléments atmosphériques (les surimpressions du début, le scintillement du soleil sur Stéphanie ou sur la mer) pourraient teinter son cinéma d'expressionnisme en adéquation avec la violence de personnages ou leur caractère souvent buté. Cette forme d'unité stylistique se fait pourtant sans retour sur les éléments mis en exergue par l'image. Et si, au final, le film se conclut comme un mélodrame de la réconciliation, il le fait comme en catimini, froidement et sans émotion.
Du style sans mise en scène
Ni la surimpression, ni les scintillements ne seront réutilisés pour être approfondis ou pour renforcer l'émotion. Il en est de même de presque toutes les séquences fortes du film qui, une fois posées sont immédiatement abandonnées pour autre chose ; ainsi de la séquence des orques puissants au Marineland ou des combats chez les gitans. Après la première relation sexuelle entre Ali et Stéphanie tout semble indiquer que celle-ci va reprendre son métier. Comme emportée par la mécanique fonctionnelle de son partenaire, Stéphanie, musique off lyrique à l'appui, refait les gestes de dressage. Elle retourne sur les lieux de son travail, revoit ses collègues mais finit seulement par se mettre en retrait et suit Ali dans ses combats.
Autre piste avortée la fascination érotique pour les prothèses. Dans la boite, Stéphanie laisse comme une provocation ambigüe ses bas de prothèse bien apparents, de même qu'avec avec les gitans auxquels elle en impose ainsi. Mais, là aussi, elle finit par se mettre en retrait et masquer les prothèses avec la veste d'Ali. Audiard n'est ni Bunuel ni Cronenberg pour jouer du handicap et de la chair abimée comme d'une séduction. Il ne s'engage pas sur ce terrain trouble et ambigu. Les scènes d'amour restent sans amour ni érotisme et dégagent, au mieux, de la tendresse. Evacué l'érotisme des bas retirés depuis le haut des cuisses avant de laisser apparaitre l'amputation, évacuée la douceur de Sam, intrigué par les prothèses. Les éléments posés et non poursuivis se retrouvent aussi dans les détails ainsi du tatouage sur les jambes de Stéphanie ou de l'amour des chiens de Sam dont Audiard ne fait rien.
Un mélodrame de la réconciliation sans délicatesse
Le spectateur met dès lors bien longtemps avant de percevoir l'enjeu du film car à ne pas vouloir choisir une forme, à se métamorphoser sans cesse en autre chose, le film semble finir longtemps par manquer de fond. Tous ces rebondissements, ces événements exceptionnels, ces personnages hors normes, ces paysages de soleil ou de neige, c'est pour nous dire quoi ? Que l'argent facile c'est pas beau ? Que la délicatesse n'est pas superflue dans les rapports humains ?
Quand on n'est pas distrait par la performance des trucages numériques qui ont fait disparaitre les jambes de Marion Cotillard, on se raccroche à la dimension sociale avec les méthodes illégales de licenciement des employés. Mais, là aussi, au lieu d'une émotion, on a un truc de scénario (la sur victime des agissements sans conscience du frère) qui évacue le fond du sujet.
Le film se conclut pourtant sur la réconciliation avec eux-mêmes d'une amputée des jambes et d'un amputé des sentiments après un long chemin de croix. Mais, à part la confession au téléphone, assez convenue, la disparition derrière les vitres d'un grand hôtel et un nouveau truc m'as-tu vu sur les 27 os de la main, rien ne vient faire émotion.
Et puisque l'énergie d'Audiard ressemble à celle d'Ali et se déploie dans la survie d'un scénario sans attention à son propre passé, on se permettra de paraphraser la mise en garde de Stéphanie. La mise en scène est affaire de délicatesse : c'est avoir des attentions entre deux plans, les faire se correspondre pour amplifier une émotion ou pour retrouver une complicité. La délicatesse envers une séquence déjà tournée, c'est la rappeler d'une façon ou d'une autre dans les suivantes et non pas les enchainer dès qu'on est "opé".
Jean-Luc Lacuve le 18/05/2012.