"J'ouvre les yeux et je ne vois rien. C'est bizarre, où suis-je ?", s'écrie le narrateur du film - en fait, le réalisateur en personne -, qui se réveille après un mystérieux accident et se trouve projeté en plein XVIIIe siècle au Musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg.
Les murs du Musée de l'Ermitage sont tapissés de peintures qui expriment le désordre le plus profond. Une femme aveugle - qui se révélera être un ange - déchiffre une peinture de Van Dyck représentant une madone et un enfant comme l'expression d'une lutte pour la survie.
Le narrateur rencontre une figure historique, le marquis de Custine, monarchiste convaincu, émigré après la Révolution. Ensemble, ils parcourent trente-trois salles du Musée de l'Ermitage et traversent plusieurs siècles d'histoire comme autant de plongées en enfer : Pierre le Grand met son fils à mort ; le chah de Perse envoie des émissaires auprès du tsar Nicolas Ier pour s'excuser du meurtre de plusieurs diplomates russes. Lorsque le marquis ouvre une porte, il se trouve face à un survivant du siège de Leningrad, qui a coûté la vie à plus d'un million d'habitants.
La séquence finale du film reconstitue le dernier bal de l'Ermitage en 1913, sommet de la splendeur des tsars. Le marquis veut rejoindre le bal alors que le narrateur tente de le retenir. Custine se joint finalement à la danse pendant qu'une voix évoque des milliers de morts : les invités du bal sont abandonnés à leur sort et à la révolution qui pointe.
L'Arche russe représente d'abord un tour de force technique. Réalisé avec une caméra compacte haute définition, enregistré sur un système de disque dur portable capable de stocker jusqu'à 100 minutes d'images, chose impossible sur le support 35 mm, le film porte l'expérimentation à un niveau inédit.
L'Arche russe se compose d'un unique plan-séquence de 96 minutes, le plus long de l'histoire du cinéma, enregistré en numérique, support inaltérable, susceptible de conserver pour l'éternité la totalité d'une mémoire deployée en continu. C'est donc un film tourné en moins de deux heures.
Les mouvements de caméra et le dynamisme du cadrage compensent l'absence de montage et maintiennent en permanence l'attention du spectateur.
"Tout le monde peut entrevoir le futur, mais personne ne se souvient du passé", fait remarquer l'un des personnages du film. Et c'est bien l'ambition du film que de vouloir mettre toute la mémoire russe sur l'Arche de survie
La distance entre le narrateur et le marquis de Custine est l'une des clés de L'Arche russe. Le cinéaste établit ainsi une frontière entre un homme conscient des limites de la Grande Russie et de son déclin inexorable, loin de toute nostalgie pour le tsarisme, et un personnage happé par l'histoire et fasciné par les fastes de la cour. "Quel régime y-a-t-il maintenant, une république ?", demande le marquis au narrateur invisible. "Je ne sais pas", se contente de répondre laconiquement celui-ci.
Aiinsi que le conclut Samuel Blumenfeld : "Ancré dans le passé,
L'Arche russe est aussi un film de son époque. Celle d'une Russie
confrontée à son propre déclin et contrainte de se redéfinir
au sein d'un ensemble plus vaste qui serait l'Europe. L'Arche russe est une
arche d'alliance."
Bibliographie :