Coupez !

2022

Cannes 2022: Film d'ouverture de la compétition officielle Avec : Romain Duris (Rémi, le réalisateur / Higurashi), Bérénice Bejo (Nadia, la maquilleuse / Natsumi), Finnegan Oldfield (Raphaël, l’acteur / Ken), Grégory Gadebois (Philippe, l'acteur alcoolique/ Hosoda), Matilda Lutz (Ava, l’actrice / Chinatsu), Sébastien Chassagne (Armel, l’acteur timide/ Yamakoshi), Raphaël Quenard (Jonathan, l’ingénieur son / Akira), Lyes Salem (Mounir), Simone Hazanavicius (Romy), Jean-Pascal Zadi (Fatih). 1h50.

Dans un bâtiment désaffecté, Rémi, un réalisateur de séries Z essaie d’arracher à son actrice une expression de terreur, quand de vrais morts-vivants surgis de nulle part prennent d’assaut son équipe. Mais quelque chose, dans la forme, ne va pas : les acteurs jouent des personnages au nom japonais qu'ils écorchent parfois, semblent par moment répéter leurs paroles en boucle ; l'un des acteurs, assis sur une chaise, semble complètement indifférent à l'action ; la caméra ne suit pas toujours l'action ou reste bloquée sur un champ vide, le générique de fin est tremblotant.

Trois mois plus tôt. Rémi réalise un reportage télé avec un faux accidenté du travail joué par Philippe quand il est abordé par Mounir qui vient lui proposer avec, la productrice japonaise, de tourner un film d’horreur. Rémi dont la pratique professionnelle se résume à la devise "Rapide, pas cher et dans la moyenne" est flatté qu'on pense à lui mais refuse quand il comprend qu’il devra réaliser ce film de 30 minutes dans les conditions du direct dans un seul plan-séquence. Il ne se sent pas à la hauteur de ce film-concept qui a pourtant été un grand succès au Japon. Rentré chez lui, il reçoit le soutien de sa femme, Nadia, mais est meurtri que sa fille, Romy,  trouve affligeant son reportage, ignorant même qu'il est de lui. Elle exprime en revanche son enthousiasme en regardant ensuite son acteur favori, interviewé à Cannes qui déclare être bientôt la vedette d'un film de zombi concept. Cette admiration de sa fille convainc Rémi d'accepter de faire le film.

Deux mois plus tôt, les répétitions s'enlisent. Raphaël a la grosse tête; l'ingénieur du son est très strict sur la qualité de son eau; Philippe picole et la productrice japonaise est sceptique devant les changements du scénario original voulu par Rémi pour le public français. Tant est si bien qu'elle impose jusqu’au nom japonais des personnages. Au moment du tournage, les acteurs devant jouer les rôles du réalisateur et de la maquilleuse sont victimes d'un accident de la route. Ce sont Rémi et Nadia qui les remplacent au pied levé.

Le tournage débute. Rémi s'y révèle un acteur doué, tant il est survolté par le défi devenu presque impossible à relever. Les acteurs font face à l'effondrement de Philippe qui s'est saoulé à mort avec le saké offert par la productrice mais dont le vomi rend les scènes plus réalistes. Le cadreur reste accroché par la ceinture à un pilier avant de s'écrouler victime d'un lumbago pour être relayé par son assistante, plus douée. Nadia, retombant dans sa psychose d'actrice et ne distingue plus son rôle de la réalité. Munie de la hache, elle joue dangereusement juste. Romy sauve la mise plusieurs fois en assurant la continuité face aux incohérences dues aux accrocs du tournage ; acteur en retard ou hache perdue. Elle sauve enfin la mise à son père en constituant une pyramide humaine formée de tous les acteurs techniciens et producteurs pour se substituer à la grue, effondrée par accident. Quand Rémi lui demande comment lui est venue l'idée, elle montre la photo d'elle, enfant, perchée sur les épaules de son père tenant un appareil photo.

Le film se joue en trois parties. Un plan-séquence d'une demi-heure où se succèdent toute une série d'accrocs dans la représentation du filmage d’un film de zombi perturbé par l'apparition de vrais zombis; un flash-back reprend les conditions catastrophiques de cette production fauchée ; puis le filmage du filmage du film de zombi. Michel Hazanavicius, adepte du pastiche et du détournement depuis le triomphe de The Artist , des deux OSS117 puis du Redoutable, trouve ainsi un terrain de jeu à sa mesure.

Il  s’agit pour une large part du pastiche de ce qu'aurait pu être la déclinaison française de Ne coupez pas ! (Shinichiro Ueda, 2017) comédie horrifique, célèbre pour avoir tiré parti d’un budget au lance-pierre ayant viré, dans l’archipel, au phénomène, puis faisant l’objet d’une franchise dupliquée dans plusieurs pays. Le pastiche réside dans le jeu plein d’anicroches entre France et Japon (Pearl-harbor, Sony) et l'introduction du musicien Fatih, déconcerté par la suite des événements.

Michel Hazanavicius réalise un remake très proche de l'original. Il reprend la vie de famille du réalisateur avec la photo salvatrice de l'enfance pour le plan du générique final. Même la séquence scatologique de l'ingénieur du son est reprise; sans peut-être le vomi à répétition de Philippe. L'interprétation, impeccable, rend en grande partie compte de la vision du cinéma du réalisateur : le triomphe du collectif qui transcende les positions et intérêts particuliers. C’est la rédemption d'un artiste habitué au "Rapide, pas cher et dans la moyenne" pour reconquérir l’estime de sa fille.

Jean-Luc Lacuve, le 22 mai 2022