Janvier 1942. Bans une campagne polonaise enneigée près d'Auschwitz, un modeste couple de bûcherons vit dans une petite maison en bois. En face de leur terrain passe un train de marchandises et, tous les jours, la bûcheronne prie pour qu'une des marchandises alimentaires soit déposée pour eux. Un jour, alors qu'elle regarde le train passer, une marchandise semble s'être égarée d'un wagon. Réalisant que c'est un nourrisson, la bûcheronne recueille et élève cette enfant comme sa fille, en dépit de son mari. Celui-ci finit par être touché par l'enfant. Découvrant que les "sans cœur ont un cœur" il est de plus en plus perturbé par le passage des trains aux wagons plombés. Il rêve la nuit de ce qu'a dû accomplir le père de l'enfant, la faisant passer par l'unique fenêtre pour lui donner une chance de survie.
Les autres bûcherons comprennent qu’il s'agit d'un enfant juif tombé du train. Foncièrement antisémites, trois d'entre eux viennent réclamer l'enfant pour la tuer. Le pauvre bucheron tue le premier d’un coup de hache et les autres au fusil mais est tué dans le combat. La pauvre bucheronne fuit et trouve refuge chez la gueule cassée qui lui avait déjà fourni le lait de sa chèvre. Durant l'hiver 44, les Russes s'approchent d'Auschwitz. La gueule cassée sort impudemment la nuit et se fait tuer par erreur par les Russes qui ne comprennent pas sa langue. Après l'avoir sommairement enterré, la pauvre bucheronne marche avec l'enfant et la chèvre jusqu'au village d'Oswiecim tout proche, cédant le passage aux chars russes qui viennent de libérer les camps d'Auschwitz-Birkenau.
Dans le camp d'Auschwitz, le père de l'enfant a survécu, contraint de jeter dans une fosse les cadavres des malades, abandonnés par les nazis et morts de faim. Après que les Russes lui aient donné un peu d’eau, il prend la photo de sa femme et ses deux enfants soigneusement cachée dans une encoche de son lit. Il fait quelques pas hors du camp et s'effondre sur les rails, laissant s'envoler la photographie. Un paysan qui passait par-là le prend dans sa charrette et le conduit à Oswiecim. Là il reconnait sa fille en compagnie de la pauvre bûcheronne qui vend des fromages sur un étal recouvert du linge brodé dans lequel il avait enveloppé l'enfant pour la faire passer par la fenêtre du train. Effrayé par son reflet décharné dans la vitre, il renonce à parler.
Quelques années plus tard, le père, revenu en France et ayant poursuivi ses études de médecine, est devenu un pédiatre réputé. Au cours d'un voyage en Pologne, il voit à la gare la photo de couverture d'un magazine dans laquelle il reconnait le portait en plus jeune de sa femme. Le descriptif d'une orpheline méritante, sauvée par une pauvre bûcheronne qui vend du fromage pour survivre, lui confirme qu'il s'agit bien de sa fille.
Ainsi, conclut le narrateur, comme bien d’autre familles séparées par la guerre et les camps de la mort, cette enfant a bien pu survivre grâce à l'amour inconditionnel de la mère pour son enfant, sentiment plus fort que toute tragédie.
Adoptant du début à la fin la tonalité rassurante du conte, le film évite soigneusement tout effet mélodramatique pour aborder pour un jeune public, ne l'ayant probablement jamais vu auparavant, la représentation des camps de concentration.
Un conte illustré
La première image du film, un cadre enserrant un paysage neigeux figé, est le marqueur de l'adaptation d'un livre, en l'occurrence une adaptation du conte éponyme de Jean-Claude Grumberg (Le seuil / Points roman, 2019). L'image s'anime ensuite avec des flocons tombant de plus en plus drus. Le début de l'histoire, sur un plan d'une petite maison de bois dans une prairie enneigée au milieu de la forêt, est conté par la voix de Jean-Louis Trintignant. Il nous assure qu'il ne s'agira pas ici du conte à dormir debout du Petit Poucet. Qui en effet pourrait croire que des parents abandonnent leur enfant parce qu'ils ne peuvent les nourrir ?
Cette tonalité rassurante d'un conte où sont narrés des faits horribles n'est jamais abandonnée. La fin évite ainsi soigneusement l'effet mélodramatique des retrouvailles d'un père et de sa fille. Ce refus clôt le film sur une note moins émouvante que douce pour se conclure sur l'apologie de l'amour maternel survivant à toute tragédie. Mais elle dessine aussi un père, pédiatre jusque dans sa vie privée qui n'a pas jugé utile de traumatiser sa fille à la sortie des camps et qui, plus tard, la laisse vivre sa vie, s'effaçant devant sa mère adoptive.
Représenter la Shoah
Il ne s'agit donc pas de faire au cinéma un cours d'histoire mais de sensibiliser les enfants qui pourraient être confrontés pour la première fois à ce terrible traumatisme du XXe siècle. Qui d'ailleurs pourrait croire que le cinéma participe à améliore le monde ? Godard comme d'autres ont fait de l'holocauste la preuve de l'impuissance du cinéma qu'li n'a pas su empêcher pas plus que les bombes nucléaires d'Hiroshima et Nagasaki.
Si le film n'est pas un cours d'histoire, il n'en est pas moins toujours juste dans sa représentation des camps. Les chambres à gaz ne sont pas montrées, se conformant ainsi à la position de Claude Lanzmann pour qui on ne peut les représenter dans une fiction mais seulement les évoquer, par le son ou leur aspect contemporain. Le feu de cheminé des trains, plus noir et jaune qu'une représentation réaliste, évoque pour les adultes, les feux sortants des chambres à gaz. Mais ce qui est montré ici de l'intérieur du camp ce sont les cadavres des morts de faim après le départ de la plupart des prisonniers avec des marches de la mort par la faim, le froid et l'épuisement. La libération du camp de concentration d'Auschwitz a lieu le 27 janvier 1945, quand l'Armée rouge libère environ 7 000 survivants. Aussi longtemps que cela a été possible, les nazis ont continué l'extermination dans les chambres à gaz. Ce n'est qu'en novembre 1944 que les trois crématoires restant en activité sont dynamités. Avant cela, les nazis entreprennent de détruire et d'effacer les traces des crimes commis. Ils assassinent la plupart des témoins oculaires du génocide et particulièrement les Juifs qui avaient travaillé dans les crématoires. Ils font nettoyer et recouvrir de terre par des déportés les fosses contenant des cendres de victimes. La représentation des cadavres décharnés, morts de faim, se fait ici médiatisée par une représentation picturale avec une relative proximité avec la série Nous ne sommes pas les derniers de Zoran Music.
Peu probable quand même que l'on ne prête pas attention à la sortie d'un prisonnier survivant. Plus gênant peut-être, la présentation de bûcherons foncièrement racistes. Le terme "Sans cœurs" englobe un ostracisme plus général que celui dont furent victimes les juifs mais il n'est pas "naturel", comme représenté ici, mais bien culturel, soufflé et entretenu par une idéologie dont on regrette un peu de ne pas voir trace ici.
En revanche, la prise de conscience des horreurs que certains, à proximité des camps, ont refusé de voir est remarquablement mis en scène avec la vision mentale du pauvre bûcheron. La tête littéralement encerclée par le bruit du train,il a la vision par laquelle le père jette l'enfant puis celle de l'arrivée de la famille à Auschwitz. Le troisième déplacement à Auschwitz, une fois le pauvre bûcheron mort, est pris en charge par l'oiseau qui vole jusqu'au camp et voit le père tondre les prisonnières. Ensuite le montage alterné classique entre le père et la pauvre bûcheronne avec l'enfant les fera se rencontrer pour des retrouvailles qui resteront dans l'après du film. Qui en effet pourrait croire qu'un film sur la Shoah se termine dans un bonheur individualisé ?
Jean-Luc Lacuve, le 28 novembre 2024