Pendant la Première Guerre mondiale, en avril 1917, l'armée allemande s'est retirée d'un secteur du front occidental dans le nord de la France. Le général Erinmore informe deux jeunes soldats britanniques, le caporal Tom Blake et le caporal Will Schofield que la reconnaissance aérienne a repéré que les Allemands ne battent pas en retraite mais ont effectué un retrait tactique vers leur nouvelle ligne Hindenburg, où ils attendent de submerger les Britanniques attaquants d'artillerie. Les lignes téléphoniques sur le terrain étant coupées, Blake et Schofield doivent remettre en mains propres un message au deuxième bataillon du Devonshire Regiment, annulant leur attaque prévue, qui pourrait coûter la vie à 1600 hommes, dont le frère de Tom Blake, le lieutenant Joseph Blake.
Schofield et Blake traversent le no man's land et atteignent les tranchées allemandes abandonnées. Celles-ci s'avèrent contenir des mèches vers des explosifs qu'un rat déclenche. L'explosion qui s'ensuit tue presque Schofield, mais Blake le déterre. Ils arrivent dans une ferme abandonnée, où ils assistent à un combat aérien. L'avion allemand plonge vers la ferme et Schofield et Blake tentent de sauver le pilote brûlé. Schofield propose de le tuer par pitié, mais Blake demande à Schofield d'aller chercher de l'eau pour le pilote. Le pilote poignarde Blake et est abattu par Schofield, qui réconforte Blake alors qu'il meurt, promettant de terminer la mission.
Schofield est récupéré par une unité britannique commandée par le capitaine Smith. Schofield peut ainsi se rendre plus rapidement vers le village Écoust-Saint-Mein, mobilisant les soldats lorsque le camion s'embourbe. Mais un pont détruit près du village bombardé empêche cette fois les camions de traverser et les oblige à un long détour. Schofield emprunte donc seul le pont aux trois quarts détruit. Il est alors la cible d'un sniper allemand isolé. Schofield se lance à l'assaut du bâtiment à partir duquel il tire et tue le tireur d'élite. Celui-ci a cependant le temps de tirer et par ricochet une balle atteint Schofield, qui bien que superficiellement atteint, s'évanouit sous le coup de la douleur.
Schofield reprend conscience la nuit dans Écoust-Saint-Mein en flamme. Il est de nouveau la cible d'un soldat allemand, et Schofield se refugie dans une cachette où se trouve déjà Lauri, une femme française avec un bébé. Elle soigne ses blessures et il lui donne sa nourriture en conserve et sa gourde préalablement remplie du lait recueilli dans la ferme. En continuant sa route, Schofield est la cible de soldats allemands isolés et battant en retraite. Il étrangle un Allemand qui refusait de le laisser passer alors que son camarade de bivouac était trop saoul pour l'arrêter. Poursuivant sa route, Schofield est de nouveau pris pour cible. Il échappe aux coups de feu en sautant dans une rivière. Il échappe à la noyade malgré les rapides et une chute.
Schofield atteint le bataillon juste avant le début de l'attaque britannique. Il est cependant tout à l'arrière du bataillon. Il sprinte à travers le champ de bataille, après avoir réalisé que les tranchées sont trop remplies de soldats pour qu'il parvienne au commandant à temps. L'infanterie britannique commence sa charge et Schofield est ainsi aussi sous les bombardements de l'artillerie allemande. Schofield se fraye un chemin pour rencontrer le colonel Mackenzie, qui, dépité, annule l'attaque si soigneusement préparée.
Schofield retrouve ensuite Joseph Blake qui est revenu indemne de la première vague d'attaque et lui apprend la mort de Tom. Joseph est bouleversé mais remercie Schofield pour avoir assisté son frère dans ses derniers instants et pour écrire à la mère de Blake pour lui parler de l'héroïsme de son fils. Allant se reposer sous un arbre, Schofield sort d'une boire enfer les photographies de sa mère et de ses sœurs qui attendent son retour en Angleterre.
Sam Mendes s'est inspiré des récits de son grand-père, Alfred H. Mendes, première classe pendant la Première Guerre mondiale et lui rend hommage en petit fils, maître des moyens de la mise en scène du cinéma. La thématique du film de guerre, et spécialement celle attachée au premier conflit armé mondial, s'en trouve ainsi bouleversée. Le thème de la transmission est en effet moins propice au réquisitoire qu'à l'héroïsation. La boucherie de la guerre est ainsi gentiment évacuée pour permettre aux plans-séquences de se déployer dans un exercice de style qui transforme la réalité historique en parc d'attraction.
Une page de gloire
La course de Schofield, unique trame narrative du film, est une probable métaphore de la transmission. Schofield transmet au frère de son ami le comportement de celui-ci, changé pour lui depuis que la vie qui lui a été rendu après avoir été 'avoir été déterré de sous les bombes par son ami. Alors qu'auparavant peu motivé et un peu couard, Schofield se transforme en héros qui sera admiré lors de son retour au pays. Plus généralement, il transmet à la famille ce qu'elle doit à l'héroïsme de ses soldats pour la défendre. Il permet au cycle de la vie de se perpétuer, de l'arbre initial sous lequel se reposent les deux amis à l'arbre de la dernière séquence sous lequel se repose Schofield. Pareillement la mobilisation des soldats pour sortir le camion de la boue et surtout la séquence de la jeune femme dans sa cachette, cherchant à nourrir le bébé, relèvent du thème de la transmission à assurer coûte que coûte.
La thématique principale du film de guerre s'en trouve ainsi modifiée ; au lieu de la perte de l'innocence, encore plus ou moins intacte au moment de l'engagement, à une compréhension ou un ahurissant devant la boucherie des guerres a-t-on une forme d'héroïsation de l'acte guerrier. Autre transformation, l'évacuation du point de vue français, une interminable guerre de tranchée au profit d'une anecdote britannique : un assaut reporté.
Du coup, 1917 ne porte aucune des charges militante ou politique contre la guerre que le premier conflit mondial portait au plus haut point. Il est au contraire assez proche des films de propagande tournés pendant le conflit ainsi Une page de gloire (Léonce Perret, 1915) où une femme recevant la lettre de son mari décide de le rejoindre avec son fils en franchissant les lignes ennemies. Pourtant dès le sortir de la première guerre, que l'on voulait voir comme "la Der des Ders", le cinéma a traité la catastrophe qui s’était abattue sur l’Europe comme un cauchemar qu’il fallait interpréter. La sanglante histoire militaire du conflit sur le front occidental – statique, répétitive – se prêtait au réquisitoire (J’accuse, d’Abel Gance, Les Croix de bois, de Raymond Bernard, La Grande Parade, de King Vidor), qui tentaient d’embrasser d’un coup toute l’infernale réalité du conflit. Un siècle plus tard, cette forme est toujours celle du Cheval de guerre, de Steven Spielberg ou de La Peur (Damien Odoul) qui tentent de comprendre comment un tel désastre humain a été possible.
Une demi-page d'Histoire
Historiquement, le repli stratégique des Allemands vers la Ligne Hindenburg (entre Lens et Saint-Quentin) en 1917, qui sert de trame au récit, a effectivement existé, ce qui explique que le personnage peut se déplacer dans un paysage de guerre vide. C’est aussi pour cela qu’on ne voit quasiment pas d’ennemi. La mission confiée à deux simples soldats d'en sauver 1 600 autres paraît pourtant improbable.
Pareillement, l'action se déroule à Écoust et dans ses environs. Le village y est montré ravagé et en proie aux flammes pour des besoins qui relèvent avant tout du plaisir pyrotechnique. Le réalisateur a aussi pris des libertés concernant la géographie et la topologie locales en situant la commune au bord d'une rivière comprenant des rapides et une cascade.
L'horreur vue du train fantôme du plan-séquence
Sam Mendes rend ainsi la guerre presque ludique pour son spectateur, attaché à ces deux soldats par le lien du plan-séquence comme des passagers d'une grande roue ou d'un train fantôme. Le plan-séquence n'a pourtant rien de réaliste, il possède au contraire un fort impact démonstratif. Chez Welles comme chez Gus van Sant ou Béla Tarr, il est la figure du temps. C'est à dire qu'il montre, littéralement, le temps qui passe plus que l'action elle-même. Le plan-séquence génère ainsi souvent un sentiment d'étrangeté, d'artifice qui peut, comme dans Citizen Kane (Orson Welles, 1944), inciter à chercher ce qui se cache dans la profondeur de champ. Hitchcock lui-même dans La corde (1948) avait renoncé à cacher les raccords dans un fondu au noir, une fois sur deux et, dans Un grand voyage vers la nuit (2019) Bi Gan associe le plan-séqeunce à la 3D pour en faire un parcours mental initiatique. Par ailleurs, pour exacerber l'action, les films du même nom utilisent au contraire un montage ultra-rapide comme équivalent de l'œil aux aguets.
Ici, Sam Mendes construit son enchaînement de plans-séquences pour, dit-il, être au plus près des soldats. Mais nous sommes souvent éloignés des soldats plus qu'avec eux. La caméra traverse le grand trou d'obus noyé d'eau alors que Blake et Schofield le contournent ou la caméra passe au-dessus des tranchées pour, dans un raccourci, retrouver les deux caporaux quittés de dos, de nouveau de face. Mais sont bien montrés ainsi, dans ces raccourcis où la caméra va plus lentement que les héros, tel ou tel cadavre dans la boue, tel cheval en putréfaction. La caméra semble ainsi comme embarquée dans le train fantôme du plan-séquence avec le surgissement d'horreurs sanguinolentes (la main ensanglantée plongée dans un cadavre) ou boursouflées (les noyés la langue gonflée).
Sam Mendes est un cinéaste virtuose qui apprécie les prouesses techniques et formelles dans ses films. Et à ce titre, 1917 est un bel exercice de style sans que l'on sache si cette histoire a réellement existée et si finalement le grand-père n'aurait pas tout inventé... Un curieux hommage finalement.
Jean-Luc Lacuve, le 21 janvier 2020