Gabriel, jeune conscrit, rejoint le front en 1914. Il va vivre l’enfer des tranchées, et connaitre la peur qui ravage tous les soldats. Sorti vivant de cette terrible expérience, pleine de fureur et de sang, il va découvrir sa propre humanité.
L’écrivain Gabriel Chevallier, célèbre pour son roman Clochemerle, a raconté dans La peur, récit autobiographie, son effroyable expérience de "poilu" pendant la Première Guerre mondiale, durant l’intégralité du conflit. Ce livre, publié en 1930 puis retiré de la vente en 1939 en raison de la nouvelle entrée en guerre contre l’Allemagne, fut enfin réédité en 1951.
Dans son adaptation, Damien Odoul conserve le point de vue de Gabriel avec une voix off omniprésente. L'ouverture est cependant très originale. Pour rendre "l'atmosphère d'émeute et de kermesse" qui préside à l'élan patriotique inconscient des jeunes hommes de 1914, Odoul film au ralenti les gestes emphatiques des personnages qui se trouvent ainsi décalés par rapport à leurs propos guerriers. En est victime un homme lucide qui refuse cet élan patriotique et est tabassé à mort par les clients avinés.
L'attente des combats, entre fin 1914 et le printemps 1915, valorise l'amitié entre Gabriel et Bertrand, son ami de toujours, et le fragile Théophile qui se dit poète. Se met aussi en place la lecture des lettres à la douce et pure Marguerite, habillée ou nue devant l'eau d'une fraiche rivière. Les marches à travers les plaines de l'Est et les premiers combats sont filmés en plan serrés, rendant d'autant plus palpable le danger laissé hors champ. Ces propositions plastiques simples valorisent le texte off qui insiste sur la prise de conscience qu'aller à la guerre est sans doute autre chose qu'"aller à un spectacle auquel il faut absolument participer".
La succession des combats, l'effondrement de Théophile, la mort de Bertrand bénéficient d'un peu plus de moyens pyrotechniques. Le film échoue, cependant à notre avis, dans son projet central qui est de filmer la peur. Plastiquement, il se résume à montrer Gabriel se mettant les mains sur les oreilles et ouvrant la bouche dans un grand cri. Simple soldat, Gabriel, n'a que faire des honneurs et de l'avancement (scène rêvée avec son père). Sensible aux arguments de Nègre, l'anarchiste rigolard pour qui son seul patrimoine est son intégrité physique et moral, il se refuse tout autant à déserter mais supporte mal le comportement de planqué. N'est ainsi qu'effleurée, au cours d'une discussion avec une infirmière, l'idée que le courage ne commence qu'avec le sentiment de la peur. Ne restent plus que des messages assez simples : la hiérarchie est incompétente et criminelle; la guerre détruit tout en l'homme qui apprend à ne plus être humain durant son cours et se trouve transformé après.
Cet effondrement de la conscience se traduit par une hypertrophie de l'imaginaire et des séquences oniriques qui lorgnent parfois du coté du Voyage au bout de la nuit avec le soldat rendu fou par l'alcool et prénommé Ferdinand. Rien ne vient hélas faire écho avec la situation d'aujourd'hui laissant ce film honnête n'être quand même qu'un exercice de style.
Jean-Luc Lacuve le 23/08/2015