(1) Générique sur un ciel s'obscurcissant jusqu'à la nuit noire. Un matin d'automne dans l'Oregon. Dans une allée bordée d'arbres, une voiture zigzague et en heurte une autre garée sur le bas côté, freine brusquement pour éviter un cycliste et finalement s'arrête en heurtant un trottoir
(2) Carton : John. Un jeune homme aux cheveux décolorés, habillé d'un tee-shirt jaune marqué d'une tête de taureau noir, prend les clés de la voiture. Celle-ci était conduite par son père, manifestement ivre. John s'installe au volant.
(3) -Carton : Elias. Un jeune homme brun, dans le parc du lycée, rencontre un couple de punks qu'il persuade de poser devant son objectif.
John arrivé au lycée. Il téléphone à son frère, Paul, pour qu'il vienne chercher leur père trop saoul pour rentrer. Constatant qu'il est arrivé en retard, M. Luce, le proviseur, convoque John McFarland dans son bureau.
(4) Sur le stade, des garçons jouent au rugby. Michelle en survêtement regarde le ciel s'assombrir. Nathan, survêtement rouge et croix lifeguard dans le dos, termine son entraînement de football américain.
(5) Nathan pénètre dans les bâtiments du lycée et parcourt couloirs et escaliers. Il croise un groupe de 3 filles qui l'admirent, l'une d'elle le trouve "trop mignon". Nathan rejoint sa petite amie au secrétariat du proviseur. -carton : Nathan et Carrie-.
(6) John est lâché par M. Luce. Il laisse les clés au secrétariat. Il marche dans les couloirs, il se rend dans une grande pièce. Il est 11h10.
(7) Dans cette salle de détente, John semble accablé et au bord des larmes. Une jeune fille entre dans la salle de détente et vient l'embrasser sur la joue pour le réconforter. -carton : Acadia-. Elle rejoint son groupe de paroles, "l'alliance homo-hétéro". Un adulte anime une discussion et pose la question de savoir si l'on peut reconnaître un homosexuel. Chacun y va de sa réponse.
(8) Nathan et Carrie sortent du secrétariat proviseur. Ils promettent de revenir pour 13h30. Nathan propose à Carrie une sortie en 4x4 et lui demande d'inviter ses amies. Carrie est inquiète des conséquences d'une nuit passée avec Nathan. Il la rassure.
(9) John marche dans un couloir, il rencontre Elias marchant vers le labo qui lui demande de poser pour une photographie.
(10) Il sort du lycée, joue à faire sauter un chien puis croise les auteurs du massacre qui lui conseillent de rester hors du lycée car "ça va chier".
(11) -carton Eric et Alex- Alex (habillé d'un tee-shirt rouge marqué d'un écusson Triomphe, blanc et marron) subit les brimades de ses camarades en cours de physique, il reçoit des boulettes de papier mâché. Alex va aux toilettes pour se débarrasser des projectiles lancés par les élèves. Il se rend dans la cafétéria et prend des notes. A une élève qui l'interroge, il lui répond qu'il fait un plan et qu'elle en connaîtra plus tard la raison. Alex continue sa marche dans la cantine, s'arrête puis se prend la tête dans les mains,
Elias marche dans les couloirs du lycée, il va au labo photo et entre dans la chambre noire.
(12) -carton Michelle-. Michelle termine son cours de gymnastique où sa professeure l'exhorte sous peine de sanction de se mettre en short lors du prochain cours. En haut de l'escalier les élèves partent d'un côté et Michelle d'un autre, seule. Elle passe par le gymnase désert. Elias est dans son laboratoire photo et prépare le développement de sa pellicule.
(13)Michelle évite de prendre sa douche dans le vestiaire avec les autres filles qui se moquent d'elle. Alex rentre chez lui. Elias avec d'autres élèves développent leurs photos dans la chambre noire.
(14) Elias sort de la chambre noire et suspend son tirage. Il sort de la pièce et croise John (répétition 2) pour se rendre à la bibliothèque. Il y a été devancé par Michelle qui les a doublés lui et John lorsqu'il prenait la photo et qui est maintenant occupée à mettre des livres en rayonnage.
(15) -carton Brittany, Jordan, and Nicole- Les trois copines discutent de Nathan qui vient de les croiser et de sa nouvelle copine. Elles se plaignent de la curiosité indiscrète de leurs mères.
(16) Elles vont au self. Il est 12h20. Elles aperçoivent John dehors et le chien. Elles se querellent. Elles quittent la cantine, alors qu'une élève demande à un autre élève de justifier ses critiques sur ses qualités de chanteuse. (17)Les 3 filles se rendent dans les toilettes et se font vomir pour garder la ligne
(18) Alex chez lui joue du piano La lettre à Elise. Eric entre dans la chambre, s'allonge sur le lit et prend un ordinateur. (19) Le jeu vidéo consiste à abattre des personnages qui sont tous tués dans le dos. Alex joue maintenant la sonate au clair de lune puis s'arrête excédé par ses fautes. Il s'assoit à côté d'Eric, lui prend l'ordinateur et va sur le site Internet de GunsUSA. Dehors le ciel s'assombrit et les garçons s'endorment pendant l'orage. Les parents sont rentrés, la mère prépare le déjeuner pendant que le père parle de sport. Eric lui jette un regard méprisant et les deux ados plaisantent à propos de l'odeur de cuisine. La mère d'Alex rétorque qu'ils n'ont qu'à aller déjeuner en ville. Ils devront fermer la porte en sortant. (20) Alex et Eric regardent un documentaire à la télévision sur la propagande nazie et le processus de nazification de la population. Commentaires négatifs d'Alex et Eric. Pendant le documentaire, livraison d'un fusil d'assaut Alex et Eric reçoivent les armes et s'essayent au tir.
(21) Michelle sort de la douche. Elle marche dans un couloir, aperçoit Elias et John et longe le mur. Au bruit de la sonnerie, elle se met à courir alors qu'Elias prend John en photo (répétition 3). Elle se rend dans la bibliothèque. Le documentaliste lui indique les livres à ranger. Michelle interrompt son rangement au bruit de chargement d'une arme.
(22) Alex prend sa douche, arrive Eric qui dit : "Voilà, on va mourir aujourd'hui", puis "j'ai jamais embrassé, et toi ?". Ils s'embrassent sur la bouche. (23 Ils consultent le plan et se voient arrivant au lycée armés. (24) Ils partent pour le lycée. John les voit approcher et tente d'empêcher les élèves d'entrer dans le lycée
(25) Dans la bibliothèque, Michelle et Elias sont les premières victimes (26) puis les trois filles, toujours aux toilettes, et le groupe de paroles. (27) Benny patrouille, il aide Acadia à s'enfuir par la fenêtre. Eric accuse M. Luce de ne pas avoir écouté ses problèmes mais dit vouloir l'épargner.
(28) John retrouve son père et lui explique ce qui se passe. Ils regardent la fumée s'échapper du lycée. Benny croise Eric qui l'abat puis exécute M. Luce dans le dos. (29) Alex fait une pose à la cantine où il est rejoint par Eric qui lui dresse le bilan de ses victimes. Alex exécute Eric. Il entend du bruit et en cherche l'origine. (30). Il trouve Nathan et Carrie cachés dans une chambre froide où sont suspendues des pièces de viande. Il récite une comptine pour tirer au sort lequel des deux sera exécuté le 1er. Nathan l'insulte, Carrie le supplie en pleurant. Il les met en joue.
Générique sur le ciel d'orage qui se dégage.
Le 18 avril 1999, Eric Harris 18 ans et Dylan Klebold, 17 ans remplissent leurs sacs de sport d'explosifs et d'armes à feu. Puis, ils prennent leur voiture et vont jusqu'à Columbine High School. A 11h19, les étudiants qui sont nombreux à pique-niquer à l'extérieur de l'établissement entendent les premiers coups de feu. La fusillade ne durera en tout qu'une vingtaine de minutes et se terminera par la mort des deux adolescents ainsi que de 13 de leurs camarades, 23 autres seront blessés.(1)
Cet évenement eut tant de répercussions dans la presse que Gus van Sant décida de créer une uvre dramatique sur ce thème : "Nous voulions en faire une fiction. Non pas réécrire cet événement ni tenter de faire comprendre l'état d'esprit des deux gamins qui ont finit par ouvrir le feu dans leur lycée avant de se suicider". (2)
Le titre du film est ainsi une référence à l'essai cinématographique Elephant d'Alan Clarke, série d'exécutions sommaires par des activistes d'Irlande du Nord. Au départ, Gus van Sant pensait que le titre choisi par Alan Clarke faisait référence à la vieille parabole des aveugles et de l'éléphant (voir : détails plus bas) où personne ne voit la réalité dans sa globalité. Le thème de cette parabole semblait pour Gus van Sant correspondre au contexte des fusillades dans les écoles.
Un film cosmique : l'orage et l'atome
Le déchaînement de violence qui clôt le film s'inscrit pour Gus van Sant dans une dimension cosmique comme en témoignent les génériques de début et de fin : un ciel qui s'obscurcit puis qui se dégage après l'orage. La sieste que font Eric et Alex avant de partir, armés, vers le lycée est précédée de plans de ciel d'orage et, lorsqu'ils arrivent au lycée, le sol est trempé de l'orage qui vient d'éclater.
Seconde métaphore cosmique, celle proposée par Youri Deschamps pour qui le film s'organise comme un atome avec le lycée au centre, les étudiants, électrons proches du noyaux solidaires et Eric et Alex, les deux électrons libres. A l'appui de cette thèse, Youri Deschamps remarque que le cours de physique que suit Alex porte sur ce thème. La métaphore atomique donne aussi une image de la structure du film faite de répétitions et croisements, d'accélérés et de ralentis multiples. Gus van Sant reprend en partie la structure du film d'Alan Clark faite systématiquement de plus ou moins longues errances de chacun des tueurs jusqu'à leur cible, de l'exécution de la victime, de la fuite du tueur, puis du retour sur le cadavre.
Gus van Sant va cependant beaucoup plus loin que son modèle. Il semble promouvoir d'une part la solidarité objective des étudiants avec un montage parallèle de leurs actions : Michelle après le sport évite la douche alors que Elias développe la photo puis au laboratoire avec une amie puis croise John. A l'inverse, les tueurs, Eric et Alex, semblent rejetés dans une bulle, hors du temps des autres.
La majeure partie du film se déroule entre 11h00 et 12h30. Une première pendule est visible lors de l'entrée de John dans la salle de repos, elle marque alors 11h10. Une seconde pendule est visible dans la cantine. Les trois filles ont terminé leur déjeuner à 12h20 et elles voient alors John dehors jouer avec le chien où il croisera les tueurs. Elles se rendent aux toilettes pour se faire vomir et se refaire leur maquillage. C'est là qu'Alex viendra les abattre.
Empathie de Gus Van Sant avec Alex. Dans la douche : ça y est, ce coup là on va mourir aujourd'hui. Dire que je n'ai jamais embrassé personne !Ignoble et pur et le jour qui s'achève Les plus belles cibles : les sportifs et tous ces cons là. Tenir toute la journée maintenant mon pote éclate toi un max. Casse-toi direct et ne revient pas, ça va chier à mort.
Des plans-séquences comme une image-cristal
Ici les errances sont de longs plans-séquences qui sont comme autant de grandes face d'un film-cristal qui porte en lui le gemme de la violence.
Ce sont d'abord les deux plans séquences pour suivre Nathan. Dans le premier (3 mn, 4), on le suit terminant son entraînement de football américain, il disparaît hors champ pendant que Michelle inspecte le ciel, puis, alors que celle-ci s'en va dans le fond du plan rejoindre le groupe de filles qui suivent le cours de gymnastique, il ressurgit dans le plan pour enfiler son survêtement rouge et quitter le terrain de sport pour entrer dans le bâtiment du lycée Dans le second il croise Jordan, Nicole et Brittany (2mn40, 5).
Ce sont ensuite, point nodal du film, les trois points de vus de la photo de John prise par Elias dans le couloir vers 11h15. C'est d'abord Elias qui croise John sorti de la salle de détente qui quitte le bâtiment et croise les tueurs (1mn40, 9 et 10 jusqu'au photogramme 11). Ce sera ensuite Elias qui sort du laboratoire de photo, croise John au bout de une minute, prend la photo alors que Michelle surgit derrière lui ... et qu'il retrouve dans la bibliothèque (2mn30, 14). Troisième reprise, cette fois du point de vue de Michelle (2mn15,21).
Mais la performance la plus magistrale est le long plan séquence qui suit Jordan, Nicole et Brittany. Juste après le carton indiquant le nom des trois filles (15) c'est d'abord Nathan qui surgit de la porte de face. Il tourne sur sa droite et sort par la gauche de l'écran. Les files le suivent du regard tandis que la caméra tourne autour d'elles, dépasse l'axe de la porte et les saisit de face lorsqu'elles font demi-tour pour se diriger vers ce qui était la droite du plan au départ. Elles sont alors suivies en travelling arrière (GVS dit l'importance qu'il accorde à ce plan dans le making off)
Le plan séquence débute sur le plan de dos qui le cadre toutes les trois (15, 13ème photogramme). Elles se plaignent de ce que leur mère fouille leurs affaires. la caméra les saisit de face au self lorsqu'elles se sont retournées pour saisir leur plateau. elle les abandonne pour suivre les hommes des cuisines dont l'un débouche dans la cantine et croise les trois filles que l'on suit à nouveau en train de déjeuner et de se disputer avant de rejoindre les toilettes (5mn 10 : de 15, 13ème photogramme, à 16 puis 17, 12ème photogramme).
A ces seize plans remarquables s'en ajoutent trois autres : le premier retour de Elias vers son laboratoire (2mn 30), Michelle rentrant par le couloir extérieur avant d'atteindre le gymnase désert (45 s) et les trois tours circulaires dans la chambre des tueurs (3mn).
Ces deux derniers plans-séquences sont aussi des références cinéphiles. Le premier rappelle le dernier plan de Elephant de Clark où deux tueurs conduisent un prisonnier dans un gymnase désert et l'exécutent. Le second fait référence à La chambre, court métrage de Chantal Akerman.
Jean-Marc Lalanne dans les inrockuptibles du 17 avril 2007 rappelle que Gus van Sant a découvert Jeanne Dielman de Chantal Akerman durant ses études d'arts plastiques, peu de temps après sa sortie et le tient comme une des scènes originelles de son cinéma.
"Quand j'étais enfant, j'ai observé ma mère très
longuement dans sa cuisine et voilà qu'une cinéaste vous communiquait
quelque chose à travers cette expérience, vous montrait directement
une expérience, une expérience banale qui vous laisse sans voix."
Et Jean-Marc Lalanne de continuer : "De fait, Elephant peut être envisagé comme un remake et indirect et transposé de Jeanne Dealman. On y retrouve cette répétition des mêmes gestes jusqu'à ce qu'une giclée de violence vienne en perturber l'ordonnance, cet usage de la caméra comme un il mécanisé qui perd parfois les personnages et même La lettre à Elise que Jeanne écoute à la radio le second soir et que joue au piano le jeune tueur de Elephant.
Ce sont donc au total neuf plans séquences s'étageant de 45
secondes à 5mn50 qui viennent ponctuer le film. Chacun d'eux est comme
une suspension du temps, véritable image-cristal selon Gilles Deleuze
où sous les gestes banals tout peut surgir : écroulement, rupture
ou monstruosité.
Ralentis et répétitions
Un bonheur aussi, parfois, éphémère, sorte d'épiphanie du quotidien est évoqué par les trois légers ralentis du film. Ainsi lorsque Michelle levant la tête sur le terrain de sport voit l'orage approcher ; lorsque les trois filles regardent Nathan dans le couloir ; lorsque John joue avec le chien avant qu'il ne croise les tueurs.
Dernier effet, les redoublements d'action, outre l'action de la photo, on notera aussi la sortie du bureau de l'administration de Nathan et Carrie juste après la remise des clés par John puis après le groupe de parole.
Jean-Luc Lacuve, le 13 novembre 2003
Le titre du film est une référence au Elephant d'Alan Clarke. Ce film diffusé sur la BBC en 1989 montrait la violence sectaire en Irlande du Nord comme une marche acharnée et anonyme de meurtriers. Au départ, Gus van Sant pensait que le titre choisi par Alan Clarke faisait référence à la vieille parabole des aveugles et de l'éléphant. Dans cette histoire, dont une version apparait dans les canons boudhistes datant de l'an 2 avant Jésus Christ, plusieurs aveugles examinent différentes parties d'un éléphant - une oreille, une patte, la queue, le corps, une défense, etc. Chaque aveugle est convaincu qu'il comprend la vraie nature de l'éléphant grâce à la partie qu'il a touché : l'éléphant représente pour l'un un éventail, pour l'autre un arbre, ou encore une corde, un serpent, ou une lance. Mais aucun d'entre eux ne le voit dans sa globalité. Le thème de cette parabole semblait pour Gus van Sant, correspondre au contexte des fusillades dans les écoles.
Elephant et Bowling for Columbine et L'Ange exterminateur
Produit par la chaîne câblée HBO, le film a été tourné en vingt jours avec de jeunes acteurs de la région de Portland. Inspiré de la même tragédie du lycée Columbine de Littletown (Colorado) que Moore traite dans Bowling for Columbine. Celui-ci accumule les explications possibles de la tuerie de Littletown, principalement la libre circulation des armes à feu qui va de paire avec la paranoïa sécuritaire, mais aussi la pression de la réussite, le goût de la célébrité et l'absence des parents pris par leur travail. Pamphlet politique, il ne donne pas d'explication définitive au geste des deux adolescents. Devant ce trou noir, Moore étend son propos au drame parallèle survenu quelques jours plus tard dans une école de la banlieue de Flint, sa ville natale où une fillette de six ans s'est fait tuer par un camarade de son âge. La force du film tient alors au surinvestissement de Moore lui-même dans son film, à la colère froide qui le porte.
Pareillement, Elephant, incapable de donner une explication définitive - mais qui le pourrait ?- au massacre élargit son propos à la vie personnelle des "modèles" qu'il filme. Les boucles concentriques autour du drame concernent moins la géographie et la politique comme chez Moore que la question adolescente et la question de la représentation
Tout comme dans Bowling for Columbine, des explications du drame sont proposées. Les adultes sont formidablement absents (le père de John alcoolique, la mère d'Eric expéditive, la professeur d'éducation physique répressive, celui de physique laissant Alex se faire humilier par ses camarades qui lui lancent des boules de papier, celui de sociologie animant le débat sur l'homosexualité assez creux) et les armes sont faciles à commander par Internet. En sus de ces deux explications principales, van Sant laisse aussi entendre que les discours idéologiques moulinés au travers des médias modernes favorisent le passage à l'acte, soit par les jeux vidéo soit par la mise à disposition, via la télévision, du discours nazi. Le reportage sur les nazis est toutefois violemment critiqué par Alex qui trouverait crétin de se procurer un drapeau nazi et trouve effrayant l'embrigadement des enfants dans la propagande. Ces mises en suspension du discours et des moyens sans cadrage symbolique par les parents, laisse possible le plus grand crime par ceux qui sont le plus cultivés (Eric et Alex sont les deux seuls que l'on voit lire ou jouer de la musique) mais l'on connaît bien le haut niveau de culture de certains dirigeants nazis. La capacité d'absorption et de recyclage pour le meilleur (la photographie avec Elias) ou pour le pire serait ainsi la première caractéristique de l'adolescence. Les symboles ne renvoient d'ailleurs jamais à une réalité univoque. La croix "Lifegard" de Nathan est évidemment dérisoire, le taureau noir du tee-shirt de John ne traduit pas sa personnalité et la petite figurine du diable, accrochée à la voiture des deux meurtriers, n'en faisait pas l'incarnation du diable qu'ils finissent par évoquer.
Si le recyclage est une valeur positive (avec ses conséquences "bonnes" ou "mauvaises"), c'est le vide qui hante Elephant faisant de ce film un ballet mortuaire.. Ce vide est évidemment symbolisé par ses longs couloirs que van Sant prend le temps de filmer. Le premier de ses longs intermèdes est assez représentatif du choix délibéré de van Sant. John inquiet de l'état de son père laisse les clés pour son frère et est renvoyé en cours par le proviseur ; il traverse le couloir. Une jeune fille vient s'inquiéter de ses larmes et l'embrasser sur la joue. Il aurait été facile à van Sant de jouer sur la corde romanesque d'une famille en remplaçant une autre dans le cur de John. Mais non, de la jeune fille il n'en sera plus question et le père ne réapparaîtra qu'à la fin, toujours aussi hébété. Entre temps, des couloirs et des scènes répétées sous différents axes n'apportant pas d'explications supplémentaires si ce n'est cette impression d'inquiétante étrangeté au sein d'un monde adolescent où tout à l'impression de se répéter tout en étant jamais exactement la même chose.
Après tout, ce mal existentiel, Bunuel ne l'avait-il pas déjà traité dans L'Ange exterminateur sous une forme laissant apparaître bien des points communs avec celle-ci ?
Editeur : Mk2. 2004 puis réédition
en mai 2008. Edition 2DVD, double collector. Langues anglais, français.
Sous-titrage français. 30 €
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Suppléments sur DVD2 :
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