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Last days

2005

Avec : Michael Pitt (Blake), Scott Green (Scott), Asia Argento (Asia), Lukas Haas (Luke), Nicole Vicius (Nicole), Ryan Fellner (Donovan), Ari Tomais (Le détective privé), Kim Gordon (la représentante de la maison de disque), Harmony Korine (le type dans la boîte), Ricky Jay. 1h37.

samedi : Blake marche dans la forêt, nage dans la retenue de la cascade, dort la nuit près du feu où sèchent ses vêtements mouillés.

Le dimanche matin, il parvient dans sa grande maison de campagne mal entretenue. Il déterre un paquet enveloppé dans un plastique, probablement de la drogue. Il rentre se préparer un petit déjeuner de céréales, trouve le mot d'un ami de passage lui indiquant que la carabine est rangée dans une armoire. Blake se change, découvre la carabine, elle ne semble pas chargée. Il se déplace dans les deux chambres des deux couples qu'il a invités (ou qui se sont invités) les mets en joue puis s'en va lorsqu'Asia, l'une des invités, ouvre un oeil.

Blake reçoit la visite d'un représentant des pages jaunes. Asia, se lève. Elle ouvre la porte du salon ; Blake qui s'était endormi à cet endroit s'écroule. Quelqu'un sonne à la porte, Asia remonte appeler son ami Scott. Celui-ci descend, hésite entre répondre au téléphone ou à la porte, opte pour le téléphone. Il tente de calmer les inquiétudes de la manager du groupe qui s'inquiète de la fuite de Blake du centre de désintoxication (on comprend alors que la marche de Blake du samedi était une fuite de la clinique. Il porte d'ailleurs un bracelet bleu d'hôpital au poignet gauche).

Scott ouvre ensuite la porte à deux jumeaux mormons venus les convaincre qu'ils dialoguent avec Dieu. Par deux flashes-back, l'un d'un seul plan, l'autre plus long : retour à Blake juste après son départ des chambres de ses invités. Il s'habille d'une robe puis tente de prendre son petit déjeuner en écoutant le clip vidéo des Boyz II Men, On Bended Knees, à la télévision. Il s'endort. Depuis l'intérieur de la pièce, on voit de nouveau Asia ouvrir la porte et le découvrir endormi en vérifiant qu'il n'est pas mort. Les mormons s'en vont bientôt, réalisant l'impossibilité de convertir ces hippies. Blake, vêtu d'un anorak et de lunettes de soleil, les précède dans le parc, se cache et les regarde s'éloigner.

Donovan, une connaissance du groupe, arrive avec un inconnu et cherche à voir Blake. Scott l'éconduit. Les quatre amis, Asia et Scott qu'ont rejoint Nicole et Luke, partent se balader en voiture. Venant en sens inverse, le détective raconte à Donovan l'histoire d'un magicien qui attrapait les balles avec ses dents et qui est mort, par malchance dit-on la fois où il a raté son tour ; mais n'était-ce pas un suicide ? Les deux voitures se croisent. Pendant ce temps, Blake reçoit la visite de la représentante de la maison de disque qui lui demande s'il a parlé à sa fille. Devant sa réponse évasive, elle lui demande s'il lui a dit : " pardonne-moi d'être un cliché du rock n'roll " ?. Devant l'apathie de Blake elle s'en va. Arrivent alors le détective et Donovan. Blake s'enfuit.

Blake dans son studio joue de la musique. Grâce au JamMan(1), il simule la présence du groupe.

Le soir, les quatre amis rentrent assez saouls. Blake est vu au loin se préparant à manger. Scott met le disque du Velvet Undeground et chante Venus in Furs sur les paroles de Lou Reed. Luke vient lui demander d'écouter son morceau, Scott vient chercher Luke pour faire l'amour avec lui.

Blake quitte la maison dans le noir. Flash-back sur le moment de l'après-midi où Donovan et le détective sont venus et la fuite de Blake dans le parc. Puis retour sur l'arrivée des quatre amis le soir. Retour à la cuisine le soir, vue cette fois du point de vue de Blake. Après le départ de Luke et de Scott, il joue de la guitare puis part de la maison dans le noir. Fin du flash back : Blake marche vers une boite de rock où un type l'aborde pour lui parler de jeu de rôles et lui proposer un aphrodisiaque.

Blake rentre vers la maison, s'enferme dans le cabanon, à l'écoute de cloches et de musiques qu'il est manifestement le seul à entendre. En pleine nuit, les quatre amis sortent à nouveau. Seul Luke perçoit la solitude de Blake mais il part avec les autres.

Lundi matin le jardinier découvre le corps prostré de Blake. Son âme (son corps nu) s'échappe de ses vêtements et monte au ciel en grimpant une échelle virtuelle figurée par les montants de bois des carreaux. Dans la maison où ils ont trouvé refuge, Scott regarde à la télévision l'annonce de la mort de Blake. Il annonce aux autres qu'ils doivent s'en aller le plus loin possible afin de ne pas être inquiétés par la police qui pourrait les soupçonner d'avoir donné de la drogue à Blake. Ils prennent la route. Luke joue des accords de guitare pendant que sur l'autoroute les voitures roulent.

Un dernier plan fixe montrent ambulanciers et policiers s'afférant autour du cabanon et de la dépouille de Blake.

Gus van Sant a déclaré que Last days clôturait une trilogie entamée avec Gerry et poursuivie avec Elephant. La palme d'or de ce dernier a permis la sortie du premier opus et donné à Last days les moyens d'être produit dans des conditions de tournage et de montage satisfaisantes.

Last days constitue effectivement bien le point d'aboutissement d'une trilogie dont le thème aborde les sujets de l'adolescence confrontée à la solitude et à la mort, crime ou suicide. Mais c'est bien plutôt la forme des films qui les constitue en trilogie. Cette forme représente probablement pour Gus van Sant un point d'équilibre entre ses courts-métrages, parfois très conceptuels, et certains de ses longs métrages classiquement hollywoodiens.

Du coté expérimental, on repère souvent les travellings au steadycam(2), les personnages filmés de dos et les répétitions d'une même scène vue sous des angles différents. Le concept de film-cristal développé par Gille Deleuze permet aussi probablement de dégager la splendide et délicate beauté des derniers films de Gus van Sant.

Le film cristal est composé de cristaux de temps et s'oppose au film organique où les séquences s'enchaînent dans une suite d'actions-réactions la plus logique et psychologique possible. Ainsi, alors qu'il décrit intensément les derniers moments d'une star de rock et comporte un programme narratif assez chargé, le film donne-t-il l'impression d'être sans cesse brisé comme s'il refusait l'enchaînement cause-conséquences pour emmètre des propositions successivement claires ou sombres, réelles ou virtuelles. L'une des facettes du cristal est l'histoire du faux magicien chinois raconté par le detective privé qui aboutit au constat d'une "mort par malchance". Il s'agit là d'une possible explication de la mort de Blake comme d'autres (solitude, drogue, autodestruction...) l'important étant de se refuser à l'explication à cause unique et inéluctable.

L'impression de contempler un film en forme de cristal découle du refus de Gus van Sant de développer, à la manière de The rose, un ensemble organique qui lierait la dangereuse mais aussi grandiose et fastueuse histoire du rock à celle de son personnage. Ici, le désir créatif ou le désir de vie du Blake renvoient aux différentes facettes du cristal où s'observe le personnage. Le temps ne passe pas et Blake, constitué en germe du cristal, finit par s'effacer et s'enfuir hors du corps de la star. Il meurt en même temps que cesse le film.

Deux séquences montrent la liaison organique de la musique et du monde telle que la refuse Gus van Sant. La première, celle du clip vidéo des Boyz II Men, On Bended Knees, en démontre la caricature, l'autre, celle de l'avant-dernier plan, la facilité toute relative.

Lors de la répétition du levé d'Asia, on suit la séquence non plus de son point de vu mais de celui de Blake qui, dans le salon, a allumé la télévision qui diffuse le clip vidéo des Boyz II Men. Dans celui-ci, la musique, entre gospel et chant d'amour, parle à tous et génère partout l'amour tendre et passionné de jeunes couples. Le son parvient d'abord dans le dos de Blake qui dépose son assiette de petit déjeuner et se replie sur lui-même, se courbe vers le sol et marche à quatre pattes vers la porte devant laquelle il s'endort tout en entendant la musique, légèrement déformée, que l'on voit alors à l'écran, en plans de plus en plus serrés sur les visages des couples qui s'embrassent et se réconcilient au son de la musique. C'est ainsi, profondément endormi, que le trouvera Asia qui vérifiera au passage, par deux doigts sur la gorge du guitariste, qu'il n'est pas mort.

L'avant-dernier plan illustre la facilité déconcertante de la musique à enchanter le monde. Les amis invités ont lâchement pris la fuite et partent le plus loin possible en voiture. L'un d'eux par quelques accords de guitare donne pourtant l'impression du retour à la vie, du mouvement vers l'avenir. Ce plan de mouvement de voitures sur des accords de guitare, que de fois vu au cinéma, est au premier abord le plus joyeux du film alors qu'il est moralement dénoncé.

Gus van Sant dénonce ainsi, au passage, par le clip et par ce plan de voitures qui roulent sur un accord de guitare, la facilité avec laquelle la télévision ou le cinéma se réapproprient l'énergie de la musique en en faisant une puissance de communication ou de mouvement.

Dans Last days, Gus van Sant ne montre ainsi pas un processus organique qui englobe la star et qui se développe malgré la mort de celle-ci mais, au contraire, comment la musique et la vie se resserrent sur eux-mêmes dans un processus de cristallisation qui renvoie à des circuits de communication de plus en plus courts pour finalement se décomposer.

On retrouve cette problématique énoncée par le détective privé lorsqu'il découvre dans la chambre de Blake du nitrate : "Regardez, du nitrate de cellulose cristallisé. La matière dont on fait les films, il s'est cristallisé, après il va se décomposer".

Le circuit de communication court, on le trouve bien sûr dans l'impossibilité qu'a Blake de parler ("c'est difficile pour moi de parler") de communiquer ("tout le monde me prend pour un criminel"). Ces difficultés atteignent des sommets comiques avec la rencontre du représentant des pages jaunes ou des jumeaux d'une secte mormon. Ces difficultés sont aussi présentes dans les rappels à l'ordre de ses managers ou partenaires du groupe, avec ses invités qui, ayant besoin de lui, ne se sentent pas concernés par ce qui lui arrive et sa difficulté à composer.

Cette difficulté à composer n'est pas totale et ne constitue en rien une explication à son suicide. Deux très belles séquences de composition nous sont en effet offertes dans le film : d'une part la chanson triste et désespérée à la guitare, Death to birth, évoquant l'étouffement du chanteur en lui-même, incapable de communiquer ses larmes au monde et, précédemment, celle, tout à fait insolite, de Blake jouant alternativement de tous les instruments (clavier, guitare, chant, batterie) ceux-ci restant toujours audibles une fois qu'il les a abandonnés alors que la caméra s'éloigne en travelling arrière découvrant seulement, en plus de la fenêtre, un pan de mur de la maison.

Blake utilise un jamMan, pédale d'effet qui permet d'enregistrer un instrument et de mettre en boucle ce qui a été enregistré. Il joue ainsi sur la premiere guitare pendant 4 temps et le jamMan répète en boucle ce qui a été joué. Il peut jouer ensuite sur l'autre guitare puis sur la batterie, en enrichissant au fur et à mesure la musique enregistrée par le jamMan. Blake crée ainsi un morceau complet avec tous ces instruments mais, ce faisant replie la création en lui-même sans la complicité du groupe et sans la faire partager à quiconque.

Joués dans la solitude pour l'une, dans l'indifférence pour l'autre alors que les amis sont partis faire l'amour, ces deux séquences musicales, malgré l'énergie que déploie Blake, sont simplement insuffisantes pour l'accrocher au monde. Elles offrent une alternative insuffisante, tout comme la nature, souvent magnifiquement filmée (la fuite au bord du lac).

Les faces claires du cristal n'auront pas empêché la mort de Blake qui en constitue le germe. Mais les faces sombres ne conduisaient pas obligatoirement non plus à la mort. La carabine disposée par Gus van Sant au début du film renvoie, dans un humour macabre très ironique, à la fois à la théorie du "revolver sous l'oreiller" et aux derniers jours de Kurt Cobain dont s'inspire le film. Le leader du groupe Nirvana s'est en effet suicidé d'un coup de carabine dans la bouche. Même pour celui qui ne connaît pas ce détail extérieur au film, la carabine ne peut manquer d'être associée aux derniers jours de l'homme. Refusant toute prédestination et contrairement à la théorie du "revolver sous l'oreiller" l'arme exhibée dans la narration ne finira pas par servir. Blake mourra, selon les mots de la télévision d'une overdose.

Blake espérait sans doute quelque chose qui n'est pas venu. Il est probable qu'il attendait une délivrance chrétienne. Les bruits de cloche et la musique religieuse entendus, off, dans la cabane avant le suicide sont probablement une réminiscence liée à l'enfance, à l'espoir d'un monde plus simple, espoir délabré, en lambeau, inaccessible comme le petit chat qu'il n'arrive pas à retenir dans la chambre de sa propre fille qu'il a plus ou moins abandonnée.

Ce son de cloches virtuelles ne peut manquer de rappeler celles entendues au début du film. Certes le journal de Blake indique que l'on est un dimanche et, somme toute, il est possible qu'une cloche résonne au loin. Mais à l'écoute des dernières cloches, on ne peut manquer de penser que si elles sont off, elles sont aussi, virtuellement dans la tête de Blake, déjà liées à l'enfance.

L'intérêt des circuits courts que développe Gus van Sant est en effet de rendre indiscernable image réelle et image virtuelle, de renvoyer sans cesse l'image de l'être présent avec la plénitude de l'être passé et de constater, pour Blake, la dégradation de celui-ci à l'aune de celui-là. Le film est bien un cristal aux multiples facettes (le suicide par imprudence narré par le détective reflète celui de Blake, les multiples références à Jésus allant jusqu'à se matérialiser par l'âme de Blake quittant les habits de celui-ci).

Jean-Luc Lacuve le 25/05/2005

 

(1) - JamMan : pédale d'effet qui permet d'enregistrer un instrument et de mettre en boucle ce qui a été enregistré. Blake joue ainsi sur la première guitare pendant quatre temps et le jamMan répète en boucle ce qui a été joué. Il peut jouer ensuite sur l'autre guitare puis sur la batterie, en enrichissant au fur et à mesure la musique enregistrée par le jamMan.

(2) - Le steadycam : dispositif mécanique reposant sur le principe des contrepoids, destiné à l'amortissement des chocs, à-coups ou tremblements de l'image, en caméra portée pour des travellings ou des tournages au ras du sol. Développé par une société américaine et utilisé pour la première fois par Kubrick dans son film Shining, le Steadycam est destiné aux caméras cinéma (il impose au cadreur une véritable armure) comme aux caméra mini-DV (le dispositif est alors bien allégé !).

(3) Dans La mort d'un archétype, article du numéro 41 de la revue Eclipses, Arnaud Devillard démonte deux leurres que Gus Van Sant s'est ingénié à propager : le film n'aurait qu'un rapport lointain avec les derniers jours de Kurt Cobain et ne donnerait pas d'explication à sa mort. Arnaud Devillard prouve aussi que le film n'est pas très orignal sur sa représentation d'une star de rock.

Last days est tres précis en ce qui concerne les derniers jours de Kurt Cobain. Echappé du centre de désintoxication Exodus, en Californie, le 1er avril 1994, le chanteur de Nirvana ne sera retrouvé que le 8 chez lui, suicidé d'un coup de fusil à l'âge de 27 ans. Sa mort a été estimée au 5 avril par les enquêteurs.

Blake comme Cobain porte un pull rayé noir et rouge. On trouve dans le film, le détective engagé par Courtney Love, la femme du chanteur et chanteuse du groupe Hole à l'époque, pour le retrouver ainsi que le jardinier qui découvre le corps. Comme Cobain, Blake a une petite fille et doit partir en tournée en Europe avec son groupe juste après la désintoxication.

Dramatisation artificielle du propos. C'est dans la cabane du jardin que Blake-Cobain écrit sa lettre d'adieu celle qui sera publiée partout ensuite et notamment adressée à ses fans. Gus van Sant nous dit ainsi : c'est la lettre comme il nous disait c'est la boite de drogue. Le corps de Kart Cobain ayant été découvert gavé d'héroïne. Même chose enfin avec le fusil, que Blake emporte avec lui depuis la penderie où un post-it lui a indiqué qu'il s'y trouvait.

Avec l'histoire du magicien mort mystérieusement mais qui ne s'entendait plus avec sa femme, Van Sant semble suggérer que Courtney Love serait en partie responsable de la mort de Cobain.

Enfin le film n'est pas tres orignal sur sa représentation d'une star de rock à commencer par la séquence dans la forêt qui oppose le monde plein de bruit et de fureur de l'artiste et la forêt apaisante. Cette confrontation nature paisible et groupe de rock se retrouve sur nombre de pochettes de disques. Le rapport de l'artiste à l'argent est également figuré par la séquence du représentant des pages jaunes. Van Sant exacerbe l'image de l'artiste solitaire c'est aussi ce qu'indiquent les deux séquences musicales du film.

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