L'éditorial de Yann Calvet et Jérôme Lauté rappelle le parcours du cinéaste, repris ensuite de façon plus détaillée par Valentin Noël dans une bio-filmographie sur laquelle nous reviendrons. Les deux coordonnateurs du numéro concluent sur le fait qu'il n'y a guère que David Lynch, à l'heure actuelle, qui puisse proposer des hypothèses sonores et esthétiques aussi diversement déroutantes et cohérentes dans le cinéma américain.

La majorité des articles sont consacrés à un ou deux films du cinéaste et couvrent ainsi l'ensemble de sa filmographie y compris deux courts-métrages expérimentaux (Do Easy et First Kiss analysés par Roselyne Quéméner). La possibilité pour chaque auteur de sélectionner une page de photogrammes pour chacune des analyses rend celles-ci plus concrètes et plus convaincantes.

Dans Asphalte Jungle, texte consacré à Paranoid Park, Sandrine Marques offre une première analyse du film. L'hypothèse stimulante d'une filiation avec Psycho est sans doute un peu excessive, s'articulant autour de la scène de la douche. Dans Paranoïd park, la douche ne suffit pas à laver de la culpabilité (il faudra la lettre brûlée). Il n'est pas certain par ailleurs que, dans Psycho, elle soit une façon de laver Marion Crane de son vol.

Dans Éclipse de lune, Jean-Max Méjean s'attache à décrire les nuances du noir et blanc dans Mala Noche.

Dans La route, en somme texte consacré à My Own Private Idaho, David Vasse explique que si le road movie est la forme la plus apparente du cinéma de Gus Van Sant, celui-ci repose aussi sur une matrice originelle dont le voyageur peine à se défaire ou à retrouver.

Dans Trois degrés de la séparation texte consacré à trois scènes de séparation dans Drugstore Cowboy, My Own Private Idaho et Will Hunting, Youri Deschamps prouve la rigueur de mise en scène, étonnamment classique de Gus Van Sant. Il est en effet assez surprenant de découvrir dans Drugstore Cowboy et My Own Private Idaho, deux séquences très émouvantes de séparation qui n'auraient pas dépareillé dans un film hollywoodien classique. Peut-être plus étonnant encore l'utilisation d'un montage alterné à distance dans Will Hunting.

Dans La pesanteur et la grâce texte consacré à ce qui n'était encore que la trilogie Gerry, Elephant et Last Days, Florence Bernard de Courville rattache Gus Van Sant au cinéma des corps selon la typologie établie par Gilles Deleuze. Son argumentaire insiste sur le fait qu'être un corps physique chez Gus Van Sant c'est être un corps en mouvement phénomène qui prend d'autant plus d'importance que la narration n'avance pas. L'auteur remarque aussi que les personnages oscillent entre l'envol et l'effondrement. Pour notre part, nous optons plutôt pour l'hypothèse de l'image-cristal qui est aussi développée dans le texte, Sortie de route, consacré à Gerry par Jacques Pasquet.

Dans La mort d'un archétype Arnaud Devillard s'attaque à Last Days. Il démonte deux leurres que Gus Van Sant s'est ingénié à propager : le film n'aurait qu'un rapport lointain avec les derniers jours de Kurt Cobain et ne donnerait pas d'explication à sa mort. Après avoir brillamment démontré le contraire, Arnaud Devillard prouve aussi que le film n'est pas très orignal sur sa représentation d'une star de rock. Un texte salutaire qui permet de trouver autre part l'originalité du film de Gus Van Sant.

C'est à notre avis, Valentin Noël qui dans son texte Tracer la route donne une clé très intéressante sur l'enjeu formel majeur de Last Days et, partant, des derniers films de Gus Van Sant :

"Le personnage de Michael Pitt, le Kurt Cobain de substitution que filme Van Sant, a en été baptisé Blake, probable référence à l'écrivain et peintre William Blake, célèbre illustrateur de L'Enfer de Dante. Le montage en spirale qui emprisonne le personnage dans une éternelle répétition du même peut ainsi être perçu comme une évocation des cercles de l'enfer décrits par le poète italien, une interprétation qui tend à être validée par ce qui suit immédiatement le suicide : l'âme de Blake se détache de son corps et monte vers le paradis, après le coup de feu tiré dans la cabane à la lisière de la forêt, métaphore du purgatoire.

En étendant cette dernière interprétation aux deux autres films, ce que donne à voir la trilogie, Gerry, Elephant, Last days à la lisière de l'expérimental pourrait donc être résumé comme suit : la libération par la mort d'un mouvement imposé. Le mouvement, autrefois libérateur dans les premières oeuvres du cinéaste, est en effet devenu la principale cause de l'aliénation des personnages : le mouvement des deux Gerry leur est imposé par le désert dont ils doivent sortir au plus vite sous peine d'y laisser leur vie; les déplacements des lycéens d'Elephant sont réglés par l'ordre social, et leur impose d'arpenter des couloirs vers des lieux qu'ils n'ont pas choisis ; le pourtour de la maison et la forêt qui al borde sont un refuge pour Blake qui ne choisit pas non plus de partir y marcher mais qui y est contraint par l'atmosphère régnant à l'intérieur de la bâtisse où il ne se sent plus à sa place. Au "mouvement-libération" présent dans la quasi-totalité de l'œuvre vantienne répond donc ici un "mouvement-aliénation", renforçant la singularité de ce triptyque au sein de la filmographie du cinéaste."

SOMMAIRE

Quel est ce sentiment qui vous étreint… ? Editorial par YANN CALVET ET JÉRÔME LAUTÉ

I. Du proche au lointain
Tracer la route (texte bio-filmographique) VALENTIN NOËL
Asphalte Jungle (Paranoid Park) SANDRINE MARQUES

II. À l’horizon du road-movie
Éclipse de lune (Mala Noche) JEAN-MAX MÉJEAN
Jusqu’au bout de la route (Drugstore Cowboy) YANN CALVET
La route, en somme (My Own Private Idaho) DAVID VASSE
Itinéraires déviés pour road-movie en mode mineur (Even Cowgirls Get the Blues) FANNY DELEUZE, SOPHIE LECOLESOLNYCHKINE, ET VINCENT SOULADIÉ

III. Routes obliques et lignes droites
Trois degrés de la séparation (Drugstore Cowboy, My Own Private Idaho et Will Hunting) YOURI DESCHAMPS
Season of the Bitch (Prête à tout) FRANCK BOULÈGUE
Cet obscur objet du désir (Prête à tout) DAMIEN DETCHEBERRY
Les fractures lisses vers la marge (Will Hunting) JULIEN ACHEMCHAME

IV. À perte de vues
Twenty-First Century Schizoid Man (Psycho) JÉRÔME LAUTÉ
Sortie de route (Gerry) JACQUES PASQUET
L’art du grand écart (Finding Forreter et Gerry) PIERRE-ALAIN MOËLLIC
La pesanteur et la grâce (Gerry, Elephant et Last Days) FLORENCE BERNARD DE COURVILLE

V. L’espace d’un instant
La mort d’un archétype (Last Days) ARNAUD DEVILLARD
La raison d’être du plan Notes à propos du clip Who Did You Think I Was (John Mayer Trio) THOMAS AUFORT
Complément musical JÉRÔME LAUTÉ
Les trois minutes « Do Easy » de First Kiss (2007) : la méthode pour débutants du Colonel Van Sant (The Discipline of DE et First Kiss) ROSELYNE QUÉMÉNER

 

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Gus van Sant, Indé-tendance
160 pages. 10 euros. En librairie ou sur Le site de Eclipses.
2007
Eclipses n°41