Hana-bi

1997

Genre : Film noir

Avec : Takeshi Kitano (Yoshitaka Nishi), Kayoko Kishimoto (Miyuki, sa femme), Ren Osugi (Horibe). 1h43.

Au cours d'une mission, l'inspecteur Nishi lâche son ami et collègue Horibe pour se rendre au chevet de sa femme à l'hôpital, où on lui apprend qu'elle est condamnée par un cancer. Nishi est doublement choqué lorsqu'on l'informe que, pendant ce temps, Horibe a été gravement blessé lors d'une fusillade avec des malfrats. Horibe est désormais cloué dans un fauteuil roulant, et aimerait se remettre à la peinture, mais n'a pas les moyens de s'acheter le matériel nécessaire. Et sa femme l'a quitté, avec sa fille, incapable de supporter cette situation.

Nishi, rongé par un sentiment de culpabilité, quitte la police et emprunte de l'argent à un yakuza, afin de pouvoir payer le matériel de peinture à son ami et les frais d'hospitalisation de sa femme. N'ayant pas l'argent pour rembourser le yakuza, qui le fait poursuivre par ses sous-fifres, Nishi décide de braquer une banque, et va chercher dans une casse une sirène de police et un taxi volé, qu'il repeint en voiture de police. Il réussit le braquage sans difficultés et envoie le matériel de peinture à Horibe, tout en remboursant le yakuza.

Tandis qu'Horibe s'absorbe dans sa peinture fantastique, Nishi emmène sa femme dans la montagne enneigée, et organise un feu d'artifice pas très réussi. Ils vont au bord de la mer, mais ils sont rattrapés par les yakuzas puis par la police. Le voyage se termine par un double suicide.

Les décharges de violence soudaines et meurtrières, le métier d'inspecteur de police de Horibe et de Nashi, les magouilles des yakuzas, le hold-up et la traque finale du héros de Hana-bi apparente sans conteste ce film au film noir.

Il ne s'agit toutefois là que d'un tricotage romanesque qui absorbe l'attention consciente du spectateur alors que la beauté tragique de l'existence liée à la proximité de la mort est le vrai sujet d'une mise en scène d'autant plus efficace qu'elle est souterraine. En ce sens, Takeshi Kitano est le continuateur de François Truffaut ou de manière plus contemporaine de Clint Eastwood, autant de metteurs en scène qui, sous l'apparence d'une mise en scène classique où toute l'attention du spectateur est concentrée sur l'intrigue, bombardent l'inconscient d'images symboliques à forte charge émotionnelle.

Les personnages finissent par accepter la mort lorsqu'elle sert à magnifier la vie alors que toute la première partie était lestée du poids d'un souvenir destructeur. Le film bascule dans la séquence où Nashi décide définitivement du hold-up et ce débarrasse du même coup du poids du passé.

Quatre plans sur Nashi devant sa voiture structurent cette séquence. Les deux premiers sont entrecoupés par un probable souvenir de sa première venue dans la casse automobile, entre le second et le troisième s'intercale une vision d'une voiture de police réelle ou l'anticipation (le plan sera répété) de ce qu'il prévoit qu'il fera. Entre la troisième et la quatrième occurrence du plan se dévoile enfin la scène complète qui a traumatisé Nashi ; son attaque du gangster et la mort qui s'en est suivi du jeune policier. Après la quatrième occurrence du plan, Nashi se détourne vers le souriant propriétaire de la casse, comme l'homme dans la caverne de Platon se détournait des ombres pour contempler la réalité.

Trois autres fois auparavant (3a, 3b, 6) des plans mystérieux parce qu'a-chronologiques de Nashi nous avaient signalé que le récit était un immense flash-back chargé d'expliquer un traumatisme (la blessure d'Horibe) puis deux (la mort de l'inspecteur, jeune père de famille). Ces plans, comme les quatre plans de la séquence, se font l'écho d'une posture morale proche de celle du voyageur romantique qui fait halte dans la nature à la vue d'une tombe perdue dans un paysage ce qui provoque sa prise de conscience de la proximité de la mort et de la vanité de la vie terrestre. Kitano est aussi nihiliste que les romantiques et ses héros sont proches de ceux de Jean-Pierre Melville auxquels il ne reste d'autre choix que celui de leur mort.

Dans le dernier plan de la séquence Nashi émet un sourire désabusé. Un peu comme si, déchargé du poids du monde et du souvenir, il savait aussi que la seule voie qui s'ouvre encore devant lui le mène à la mort.

Vont alors s'enchaîner une suite de séquences où les joies simples de la vie sont magnifiées par la proximité de la mort : l'amitié entre les deux anciens inspecteurs qui trouvent simultanément une voie pour échapper au suicide immédiat : la peinture ou le hold-up puis, lors de la fuite, les épisodes du jeux de cartes, de la photo masquée par la voiture, du feu d'artifice retardé, de la pièce dans le jardin, de la cloche que l'on frappe pour un enfant, du gant dans la neige, du cerf-volant...

Ces instants permettent d'échapper au poids tragique de l'existence dont les yakuzas ne sont qu'une forme dégénérée et caricaturale alors que la mort de l'enfant en est le symbole obsédant (plan du tableau à l'hôpital, Horibe avec le dessin sur son carnet de note dans sa voiture avant la fusillade, dessin d'enfant qui vole au vent, chaussons abandonnés dans un couloir…).