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Inherent Vice

2014

Genre : Film noir

Avec : Joaquin Phoenix (Larry "Doc" Sportello), Josh Brolin (Christian "Bigfoot" Bjornsen), Owen Wilson (Coy Harlingen), Katherine Waterston (Shasta Fay Hepworth), Reese Witherspoon (Penny Kimball), Benicio Del Toro (Sauncho Smilax), Jena Malone (Hope Harlingen). 2h29.

Los Angeles, 1970. Shasta Fay Hepworth, l'ex-petite amie du détective privé Doc Sportello surgit un beau jour chez lui, en lui racontant qu'elle est tombée amoureuse de Michael Wolfmann, un promoteur immobilier milliardaire. Elle craint que l'épouse de ce dernier et son amant ne conspirent tous les deux pour faire interner le milliardaire. Shasta demande à Doc Sportello d'attirer l'attention de Penny Kimball, la vice-procureur de district qu'elle sait être sa nouvelle petite amie, sur un possible internement contre son grès de son amant. Celui-ci est un personnage complexe, juif attiré par une bande de bikers néo-nazis, membres de la Fraternité aryenne, qui lui servent de gardes du corps et nouvellement adepte de la drogue.

Doc, dont le bureau est l'une des pièces d'un cabinet médical de Los Angeles, reçoit le lendemain la visite d'un noir américain, Tariq Khalil, qui a fait de la prison avec Glenn Charlock, l'un des bikers néo-nazis de Wolfmann et qui lui demande de récupérer une grosse somme d'argent que son ancien codétenu lui doit. Entendant parler pour la seconde fois de Wolfmann en deux jours, Doc se demande s'il hallucine.

Il se rend pourtant dans un salon de massage thaïlandais, habituellement fréquenté par Genn Charlock. Mais au lieu de la séance de broute-minou espérée un temps avec la jolie Jade ... Il reçoit un coup de batte de base-ball sur la tête. Pire même, à son réveil, il est allongé aux côtés de Genn Charlock, étendu, mort et mis en joue par toute la police de Los Angeles et notamment son ennemi intime, le lieutenant Christian F. Bjornsen dit "Bigfoot".

Bigfoot tente de lui faire porter le chapeau de cet assassinat mais l'avocat de Doc, Sauncho Smilax, parvient sans peine à convaincre le policier que son dossier est vide et fait relâcher son client.

Chez lui Doc voit à la télévision une étrange publicité où les appartements du promoteur milliardaire sont proposés gratuitement aux clients. Il a à peine le temps de s'en étonner qu'il reçoit un appel de Hope Harlingen, un jeune femme, ex droguée maintenant responsable d'un programme d'éducation au sevrage de drogue qui lui demande de retrouver son mari. Coy Harlingen connaissait Shasta et c'est par elle qu'elle a eu ses coordonnées.

Doc est inquiété par Bigfoot et les agents du FBI au sujet de ses rapports avec l'activiste Tariq Khalil. Il se rend aussi chez Sloane Wolfmann et son amant, Riggs Warbling. Il y rencontre leur domestique, la charnelle Luz. Mais c'est Jade qui le met en rapport avec Coy qui lui demande de chercher du coté du croc d'or, une goélette mystérieuse. Il reçoit une carte postale de Shasta lui rappelant ce jour de pluie où, en manque de défonce, ils avaient eu recours à une mystérieuse planche indienne pour trouver l'adresse d'un fournisseur. Nostalgique, Doc revient à cet endroit et y découvre le un bâtiment non moins mystérieux terminé par un croc d'or. Là Doc y rencontre le défoncé et sympathique Dr. Rudy Blatnoyd et la névrosée Japonica Fenway qu'il aida autrefois. Elle lui donne l'adresse de la clinique privée pour gens riches où pourrait se trouver Wolfmann. Celui-ci y est bien et sous la surveillance du FBI. Doc découvre le pot aux roses : Wolfmann est interné car, dans un coup de folie hippie, il voulait donner gratuitement les appartements qu'il construisait. Cette sympathie hippie, conséquence de ses récentes prises de drogue, est cependant en voie de disparition.

Doc est de nouveau inquiété par Bigfoot car le Dr. Rudy Blatnoyd est retrouvé mort après un "accident de trampoline". Doc soupçonne Le croc d'or d'être impliqué et demande à Bigfoot de vérifier s'il n'y a pas trace d'or ou de cuivre à la base du cou du mort. Shasta revient le voir et lui avoue sa mésaventure à bord de la goelette du croc d'or où elle servit de marchandise sexuelle à l'équipage par la volonté de Wolfmann. Il n'avait voulu l'assurer de rien, étant elle-même un vice inhérent de la cargaison. Filant la métaphore, le doc se demande ce que pourrait être le vice inhérent d'une relation avec une ex-copine. Il lui fait violemment l'amour mais tout deux refusent encore l'idée qu'ils sont de nouveau ensemble.

En discutant avec Lege, Doc dit ne pas se satisfaire de la situation de Coy qui est toujours privé de voir sa femme et sa fille, impliqué qu'il est par les fédéraux dans une infiltration des bikers aryens. En compulsant un dossier confidentiel que lui laisse lire Penny Kimball sur Adrian Prussia, Doc découvre que celui-ci est l'exécuteur des basses œuvres de la police et qu'il a probablement tué le coéquipier de Bigfoot tout aussi intègre et empêcheur de corrompre en rond que lui. Doc se rend donc dans le bureau de Prussia, décoré de battes de base-ball, qui comprend vite la menace qu'il représente et le laisse aux bons soins de son homme de main, Puck Beaverton. Doc terrorisé et avec l'énergie du désespoir parvient à s'échapper en tuant les deux hommes. Bigfoot l'avait suivi et transvase dans sa voiture la drogue saisie chez Prussia afin qui serve d'appât aux gangsters.

Mais c'est Crocker Fenway, le père de Japonica, qui le contacte pour faire l'échange. Doc décline un gros montant de dollars et exige seulement qu'il soit rendu sa liberté à Coy Harlingen. Coy retrouve ainsi sa femme et sa fille. Plus tard Shasta revient vers Doc et, cette fois, ils ont bien du mal à croire qu'ils ne sont pas de nouveau ensemble.

La traduction française littérale d'Inherent vice est probablement moins vice caché que vice inhérent ou "ce que l'on doit passer par pertes et profits" ; Shasta donnera ainsi l'exemple des dégradations mineures d'une cargaison qu'il est souvent impossible d'empêcher durant un voyage. Le Doc s'empressera alors de filer la métaphore avec ce qui, inévitablement, dégrade une relation, une aventure mais qui, somme toute, n'est pas aussi grave que cela. Le film trouve sa juste forme dans l'expérience de son personnage principal, adepte des drogues douces et donc jouissant du flottement, de la distance à prendre avec les choses et ainsi capable d'accepter sans drame ce que l'on doit passer par pertes et profits. Si Le Doc a dans sa manche des personnages proches de ce mode de vie, il doit aussi se confronter aux accros des drogues dures que sont l'argent et la recherche désespérée d'une vérité impeccable comme une coupe de cheveux à la brosse.

Flottement généralisé

Le récit est dans sa première séquence pris en charge par Lege, diminutif de Sortilege, qui, de temps en temps, vient relancer Doc sur la piste de son enquête sans que l'on sache bien s'il s'agit d'un personnage réel ou d'une invention de Doc, Pynchon ou Anderson. Ce personnage concourt à l'atmosphère de flottement généralisé du film tout en permettant de citer quelques passages du roman ayant trait aux considérations sur l'astrologie ou le devenir urbanistique de Los Angeles.

Doc est, l'humour en plus, un personnage digne des grands privés que furent Marlowe ou Sam Spade dont il retrouve, drogue douce aidant, l'assurance et l'opiniâtreté. Proche aussi du Dude de The big Lebowski (Joël Coen, 1997), il est bien loin des privés tragiques de Chinatown (Roman Polanski, 1974) ou du Privé (Robert Altman, 1973). L'enchâssement des récits est aussi commun à Chandler et Pynchon. Si on se perd parfois dans les détails de l'intrigue, celle-ci est néanmoins assez simple, basée sur le coup de folie du milliardaire promoteur qui, tout d'un coup, décide de tout donner... ce qui évidemment en fait pas l'affaire de son entourage. En enquêtant dans ces hautes sphères, Doc tombe sur tout un système maffieux impliquant police et FBI et trafic de drogue.

Sortilege, décrite dans le roman comme un jeune femme connectée aux forces invisibles, évoque le destin de Lemuria, île-monde engloutie dans les eaux du Pacifique et dont le souvenir métaphorise l’Amérique elle-même en Eden souillé. Anderson, transpose la métaphore dans le si romantique flash-back sous la pluie déclanché par la carte postale reçu par Le Doc. Au final, ce voyage paradisiaque se revelera n'être qu'une terrible croisière sexuelle que le couple passera par perets et profits. Au final, abandonnée la vie de milliardaire, les colliers tocs des plages des tropiques, inherent vice compris, l'amour est là. Comme dans Le grand sommeil le couple, grâce à l'éclairage malicieux (hors champ mais insistant) de Sortilege, se trouvera reconstitué.

Surgissement de personnages baroques

Anderson réalise ainsi la premiere adaptation cinématographique de Thomas Pynchon, l'un des plus importants romanciers contemporains. La fréquence des digressions et la longueur imposante des romans de Pynchon, sa propension à embrasser de larges problématiques métaphysiques et politiques ont conduit le critique James Wood à qualifier son travail de réalisme hystérique. En parallèle à son attention à des thèmes comme le racisme, l’impérialisme et la religion, sa connaissance scientifique et littéraire, Pynchon ménage une large place à la culture populaire : comics, dessins animés, cinéma ou télévision. Ses quatre premiers romans,  V. (1963), Vente à la criée du lot 49 (1966), L'Arc-en-ciel de la gravité (1973), Vineland (1990) sont très connus et commentés. Mason & Dixon (1997) Contre-jour (2006), Vice caché (2009) et Fonds perdus (2013) ont connu un succès critique et public plus mesuré.

Vice caché propose toute une profusion de personnages baroques bien définis et que Doc essaie d'aider. Il reforme ainsi le couple Harlingen, revenu de la drogue et d'une trop grande proximité avec le FBI. Le Doc est aussi aimé sans réserve par la vice-procureur qui se définit elle-même comme bien proprette mais sans naïveté vis à vis de la loi. Le Doc tente aussi de "sauver" Bigfoot qui semble son exact opposé. Doc voit bien pourtant à quel point ils sont liés et que, d'une certaine façon, ils font équipe. Bigfoot se croit "de multiples talents". Mais sa naïveté même l'empêche de participer au bal général de la corruption. Il est relégué aux petits rôles dans les séries TV qui arrondissent les fins de mois de la police de Los Angeles. Mais c'est la profondeur psychanalytique de Bigfoot qui le meurtrit davantage encore. Cette dimension, Doc l'entraperçoit dans les deux flashes mentaux où il sent que Bigfoot a envie de le piétiner de dépit. Malmené par sa femme depuis qu'il est brisé par la mort de son coéquipier, tant bien que mal aidé par son fil qui lui sert son whisky; mal aimé par sa mère au point d'en trouver un substitue chez le serveur de pancakes, Bigfoot est le seul personnage tragique du film. Ainsi, même manger de la marijuana à même le plat ne le sauvera pas. Crocker Fenway, qui sous des dehors cordiaux méprise toute personne amenée à payer un loyer, et Michael Wolfmann, dont le coup de folie à l'origine de toute cette enquête ne durera qu'un temps, font bien pales figures à côté de lui.

Jean-Luc Lacuve le 08/03/2015.

Webographie : Guillaume Orignac, sur Chronic'art.

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