Après que sa femme Carol se soit assurée de l'aide de Jack Beynon, un puissant homme d'affaires corrompu, Doc McCoy sort du pénitencier. Il prend en main le hold-up d'une banque que Beynon a mis au point dans une petite ville du Texas. Contre sa volonté, Doc est "flanqué" de deux acolytes, Rudy et Frank.
Durant le hold-up, Frank panique et abat un garde. Les McCoy prennent la fuite avec l'argent. Rudy liquide Frank et est abattu par Doc alors qu'il tente de le " doubler". Mais il portait un gilet pare-balles et n'est pas mort. Beynon apprend à Doc qu'il a l'intention de prendre l'argent et sa femme, Carol, avec laquelle il a une liaison, prétend-il. Carol survient et abat Beynon. Le couple s'enfuit : explications orageuses.
Les hommes de Beynon se lancent à leur poursuite, ainsi que Rudy Butler soigné par Harold et Fran Clinton, un vétérinaire timoré et sa femme, une blonde écervelée. Les McCoy se dirigent vers El Paso et la frontière mexicaine. Un petit escroc vole la sacoche remplie d'argent à la consigne de la gare. Bientôt la police est à leurs trousses. Après divers incidents, le couple arrive dans un hôtel proche de la frontière où les attendent Butler et les tueurs de Beynon. Après la tuerie finale, le couple McCoy franchit la frontière mexicaine à bord d'un camion conduit par un vieux cow-boy sympathique.
Guet-apens est l’adaptation du roman de Jim Thompson, The Getaway, publié en 1958 et traduit en France en 1959 sous le titre Le lien conjugal dans la collection "Série noire" de Gallimard puis, dans nouvelle traduction chez Rivages en 2012, sous le titre L'Échappée. Ces variations sur le titre indiquent la diversité de sujets traités par le film tout comme la capacité de Peckinpah à réaliser tout à la fois un film d'action et une œuvre romantique lyrique.
The Getaway, Guet-apens ou lien conjugal
Ce premier scénario du débutant Walter Hill est d’une efficacité remarquable même s’il trahit ouvertement le roman de Thompson. Celui-ci intentera même un procès devant la guilde des scénaristes... qu'il perdra tant il a l'impression, justifiée, que son roman est édulcoré. Le Doc de Thompson est un tueur sans états d'âme qui abat de sang-froid tous ceux qui peuvent le gêner (conducteur de voiture, le voleur de la gare) et non comme ici seulement en état de légitime défense. Mais surtout, le lien qui unit Carol et Doc finit par se distendre, l'infidélité n'étant jamais explicitement avouée. La fin est particulièrement cruelle. Obligés de se cacher dans une grotte exigüe sous les flots en avalant des somnifères durant 48 heures Carol et Doc poursuivent leur calvaire en se cachant sous un tas de fumier qui, dans la chaleur du jour, les couvre de coulures de merde et les oblige à ôter tous leurs vêtements en étant importunés par des nuées de mouches. Qui plus est l'échappée du titre, une fuite en bateau depuis Los Angeles vers le Mexique, est furieusement ironique puisqu'ils seront au Mexique victimes de la mafia locale. Le roman se termine par la révélation pour l'un et l'autre que chacun, à court d'argent, a demandé au chirurgien local de supprimer son conjoint discrètement. The Getaway du film au contraire colle totalement et sans distance à son propos : sortir le couple de l'impasse d'une dispute liée à l'infidélité de Carol. La première traduction française du roman peut également convenir, là non plus sans trace d'ironie.
En revanche le Guet-apens choisi par les distributeurs français du film, outre sa résonance phonétique avec le titre original anglais, ne joue que sur le règlement de compte final dans l'hôtel : un acolyte du gang de Beynon étant posté là dès le début pour appeler les renforts afin d'y abattre Doc. Cette séquence est inventée pour les besoin du film, prétexte à Steve McQueen de reprendre, fusil à pompe à la main, la pose d'Au nom de la loi. Peckinpah prévient d'ailleurs par un insert sur la télévision passant La chevauchée fantastique qu'on va se retrouver dans une séquence digne d'un règlement de compte de western.
Le titre français insiste sur l'aspect film de casse non sans raison puisque le film accumule les morceaux de bravoure tel que le braquage de la banque, la poursuite d’un voleur dans une gare, la fuite dans la ville où ils sont reconnus, puis au drive-in et le fameux règlement de compte final dans un hôtel miteux d’El Paso où Doc élimine un à un les assaillants.
Accélération par montage alterné et analyse par montage parallèle
Il est fort à parier que Peckinpah aurait préféré rester plus près du scenario de la déliquescence du couple de Thompson. Mais, présence de Steve McQueen oblige, la star alors la mieux payée d'Hollywood, il accepte de bonne grâce le scénario de Walter Hill. Le film joue néanmoins perpétuellement de l'accélération de l'action due au montage alterné et de son ralentissement dû au montage parallèle.
Le montage alterné est le principe constant des scènes d'action. La préparation du hold-up où chacun prépare d'abord le coup selon sa spécialisation (Doc et Carol observent la banque, Frank achète le camion, Rudy le matériel) avant que les complices ne soient réuni pour la mise au point finale du plan. Le hold-up où chacun à sa mission est également filmé en montage alterné, tout comme l'attente de Carol dans la gare pendant que son mari poursuit le voleur de leur valise dans le train. Le montage alterne aussi les séquences du trio Rudy, Fran et Harold avec le duo Carol et Doc convergeant vers l'hôtel près de la frontière. La bande-son, constamment géniale du film, établit d'ailleurs une simultanéité du programme radio écouté par Fran dans sa chambre et dans le drive-in de Doc lorsque, la veille du rendez-vous, ils sont proches de leur but commun.
Les séquences grotesques consacrées au trio sont pourtant trop longues pour être au service de la seule action. Peckinpah ne fait là que reprendre le principe et les détails du roman de Thompson qui préfigure la chute du couple principal avec ce couple dégénéré d'Harold et Fran, le premier se suicidant à la vue des abandons répétés de sa femme dans les bras de Rudy. Peckinpah en faisant de ce couple désespérant la caricature du couple principal établit en revanche un parallèle révélateur de leurs différences. Ce parallèle commence dès que Carol est tenue en joue par Doc après qu'elle vienne de tuer Baynon et alors qu'il ignore ses intentions et son infidélité. Au plan de Doc tournant son arme vers elle succède celui de Rudy découvrant le panneau de la clinique vétérinaire de Fran et Harold Clinton. De même, le parallèle prend fin lorsque Rudy découvre qu'Harold s'est suicidé alors que le camion d'ordures ouvre ses portes. Au couple détruit répond le paysage détruit dans lequel se retrouvent Doc et Carol. Mais, alors que tout désigne (comme le tas de fumier du roman) la désintégration à venir du couple (jusqu'à la fumée noire et l'arbre mort ou la voiture, désormais coupée en deux, qui leur sert d'abri) la musique du Quincy Jones et la promesse de Doc de littéralement laisser la merde du couple dans la décharge, réifie le couple sur une image ensuite parfaitement lyrique du couple marchant seul sur un paysage désolé d'accès à la décharge.
Cette mise en parallèle de séquences, pour symbolique qu'elle soit, ne relève pourtant pas du montage parallèle canonique puisque répondant principalement au principe d'une poursuite de l’équipée sauvage d'un couple de malfaiteurs par la police et par une bande rivale. En revanche, l'examen d'une situation pour elle-même en montrant le tissage mental qu'elle implique est exemplairement traité dans la séquence très célèbre (et pas seulement dans les écoles de cinéma) du générique. C'est d'abord un troupeau de biches qui est mis en alerte par le bruit de chiens et de chevaux. L'élargissement du cadre révèle qu'elles sont dans l'enclos d'un pénitencier du Texas. Doc McCoy sort alors du sous-sol pour rejoindre la commission qui statue sur sa demande de libération anticipée après quatre ans d'emprisonnement. Elle est refusée. McCoy rejoint l'atelier de tissage de la prison où le bruit obsédant des métiers à tisser mécaniques se fait désormais plus fort et obsédant. Peckinpah monte, en parallèle aux séquences de travail dans l'atelier, cinq autres séries. Après le rappel des biches, il y le fréquentatif du quotidien de la prison (fermeture des grilles, douche, repos sur la couchette), puis les souvenirs du corps de Carol . Un autre travail des prisonniers, le débroussaillage en exterieur fait l'objet d'une série importante, où est mise en évidence la surveillance sans faille des gardiens. Les maigres loisirs des prisonniers ; jeu d'échecs et construction de maquettes font l'objet de la sixième série.
La série des flashes mentaux du corps de Carol explicite que Doc ne peut plus supporter l’enfermement et la séparation d’avec sa femme. La frustration du désir se fait de plus en plus violente au fur et à mesure que s'accélère le montage parallèle et aboutit au renversement du jeu d'échecs et à la destruction de la maquette du pont dans la cellule. Cette séquence de tissage mental où la situation paraît inextricable est conclue sèchement par la séquence suivante : Doc au parloir demande à sa femme de contacter Beynon pour le faire libérer "à son prix".
On notera par ailleurs que l'infidélité de Carol ne fait plus ici objet de suspens. Sa tenue très sexy lorsqu'elle vient dans le bureau de Beynon puis accepte de "venir par ici" à son invitation est suffisamment explicite. Le fait que se fasse entendre de nouveau le bruit de la prison avant que le plan immédiatement après soit celui de la sortie de prison de Doc indique le prix à payer. Certains ont également entendu dans la réplique "Tout le plaisir fut pour moi" une marque de duplicité assumée de Carol. Dans le contexte du film, la phrase renvoie davantage à la nuit d'amour qui vient d'avoir lieu, justement permise par la libération. Beynon se trompe ainsi tragiquement pour lui en supposant que Carol va tuer son mari. L’argument trivial de la trahison de Carol se double d’une interrogation plus profonde : jusqu’où une femme peut-elle aller par amour ? Sans doute plus loin qu’un homme semble être la réponse de Peckinpah dont le supposé machisme doit ainsi être révisé. La mise en exergue de sa "trahison" place Carol au rang des femmes modernes, de celles des grands personnages féminins. Un vrai beau rôle de femme… qui sait répondre aux coups de Doc, et à la violence dont il est capable à son égard.
Energie des enfants et des machines et explosions de ralentis
Tout comme le montage alterné accélère l'action, la vision du monde par les enfants est-elle dénoncée comme trop rapide et trop violente. Ce sont les enfants qui se précipitent sur le corps de Frank dans la rue. Ce sont des enfants qui jouent au pistolet dans le train et dénonceront Doc. Ce sont des enfants qui sont les seuls à observer avec intérêt la destruction de la voiture de police par Doc ou qui commentent de "pan, pan" les coups de feu dans l'hôtel.
Par ailleurs les machines, ici les voitures et les armes, ont un rôle de destruction particulièrement marqué (Frank jouissant de son tir inutile sur le gardien sera abattu d'abord d'une balle dans l'entrecuisse par Rudy) fuite de Doc à travers les explosions et détruisant la véranda en bois d'une maison.
Les ralentis sont nombreux. Après quatre ans de prison, Doc ressent intensément sa première sortie. Elle se manifeste par une vision onirique de la rivière magnifiée par les ralentis et la musique de Quincy Jones. Doc se voit plonger dans la rivière suivi de Carol qui l'enlace et l'embrasse dans l'eau pure. La séquence se termine par quelques pas de course vers la rivière puis, cut, le retour à la maison des époux trempés. La baignade a bien eu lieu mais, filmée sans ralentis et fondus-enchainés, elle aurait été moins merveilleuse. Les ralentis qui suivent sont plus classiques : explosions et corps de Frank jeté par terre, mort de Beynon, destruction de la voiture de flics et morts de la bande de tueurs à la fin. A noter tout de même le bref ralenti de la descente de Carol et Doc du camion poubelle qui vient comme en écho à la séquence de ralenti dans la rivière. Le couple se forme aussi bien dans l'eau pure qu'en sachant évacuer les méfaits du passé.
Jean-Luc Lacuve le 12/10/2015 (après intervention au cinéma de Courseulles-sur mer).