A la différence du montage alterné, le montage parallèle associe deux plans, soit sans simultanéité temporelle, soit avec une simultanéité temporelle mais qui s'efface devant les effets de sens recherchés. Le montage alterné répond à un besoin syntaxique, le montage parallèle à un besoin sémantique. Le cinéma muet utilise le montage parallèle pour une comparaison visuelle à effets symboliques. Le cinéma parlant préfère l'utiliser pour comparer le vrai et le faux, le présent et le passé à des fins dramatiques.
Le montage parallèle de deux plans une seule fois
Il n'y a pas de continuité diégétique entre les deux plans. Le montage met en rapport deux éléments différents pour produire par leur parallélisme un effet de comparaison. C'est l'association des plans qui crée du sens.
Les temps modernes de Chaplin débutent ainsi sur un plan de troupeau de moutons, suivi d'ouvriers émergeant en masse d'une bouche de métro pour se rendre à l'usine.
Le fondu-enchainé qui relie les deux plans assume la fonction du "tels sont" : Des moutons, "tels sont" les ouvriers qui se rendent à l'usine.
Plus proche de la métaphore, comparaison non motivée, est le plan de l'autruche dans A propos de Nice de Jean Vigo, greffé entre deux plans d'une bourgeoise déambulant sur la promenade des anglais.
Peut-être est-on plus proche de la métaphore lorsqu'un plan vient symboliser le discours du réalisateur exprimé par l'ensemble de l'histoire. Ainsi les plans de phares ou de lumières vacillantes dans Tetro qui disent le danger du spectacle pour ceux qui, tels des papillons, se laissent prendre par sa lumière.
Dans Docteur Jivago, un gros plan de neige taché de sang bolchevique est vu par Youri après le massacre par l'armée tsariste des révolutionnaires. Mais succède à ce plan le regard triste de Lara qui vient d'être déflorée par par le brutal Komarovsky, ce plan joue aussi comme une métaphore de sa défloration.
David Lean use aussi du plan métaphorique sur la figure du barrage qui retient l'eau sans réussir totalement à l'empêcher de passer, censé suggérer combien le régime soviétique est impuissant à retenir les torrents d'amour qui emportent la jeune génération.
Le montage parallèle de deux séries, développé
dans une seule séquence
La production de sens connoté est omniprésente dans le montage parallèle dont le but est de rapprocher symboliquement deux situations. Ainsi Eisenstein dans la séquence de La grève, juxtaposant le massacre des ouvriers par l'armée et une scène d'égorgement d'un animal à l'abattoir.
Il n'y a qu'une seule lecture possible de l'évènement. Le montage-greffe est compréhensible par tous, même s'il n'est pas naturel.
La séquence la plus célèbre du Parrain (Francis Ford Coppola, 1972) est celle du montage parallèle entre la scène du baptême et celles des massacres des rivaux de Michael. Entre le plan d'intérieur de l'église et celui de l'extérieur (4'35) vont alterner les séquences ou Michel répond aux paroles du prêtre pour son filleul, Michael Rizzi, et où lui-même, parjurant les paroles qu'il prononce, visualise mentalement les crimes qu'il a commandité. L'orgue et les cris de l'enfant (qui perdra son père dans la séquence suivante, exécuté) ponctuent ces massacres, tout comme s'oppose le bruit de l'eau du baptême et les mitraillettes.
On dira que le montage est alterné si l'on pense que Michael visualise les crimes qu'il a commandités et s'inquiète de leur bonne exécution. Ce serait alors un effet de suspens qui prédominerait. Il n’en est rien : les exécutions sont minutieusement réglées et c’est leur froide exécution qui constitue la force de cette série. On dira plus sûrement que le montage est parallèle car Michael sait que ses crimes l'éloignent de la promesse faite à sa femme de vivre une vie respectable, en accord avec les préceptes de l'église. Il assume le blasphème : les deux séries sont mises en parallèle pour dire que ses crimes sont l'inverse de ses paroles. C’est l’effet de sens qui prédomine
Le montage parallèle de plusieurs séries, développé
dans une seule séquence
Dans Guet-apens (Sam Peckinpah, 1972) la célèbre séquence du générique examine la situation mentale de Doc après le refus de sa libération conditionnelle. Le film débute par un plan de de biches qui est mis en alerte par le bruit de chiens et de chevaux. L'élargissement du cadre révèle qu'elles sont dans l'enclos d'un pénitencier du Texas. Doc McCoy sort alors du sous-sol pour rejoindre la commission qui statue sur sa demande de libération anticipée après quatre ans d'emprisonnement. Elle est refusée.
McCoy rejoint l'atelier de tissage de la prison où le bruit obsédant des métiers à tisser mécaniques se fait désormais plus fort et obsédant. Peckinpah monte, en parallèle aux séquences de travail dans l'atelier, cinq autres séries. Après le rappel des biches, il y le fréquentatif du quotidien de la prison (fermeture des grilles, douche, repos sur la couchette), puis les souvenirs du corps de Carol . Un autre travail des prisonniers, le débroussaillage en exterieur fait l'objet d'une série importante, où est mise en évidence la surveillance sans faille des gardiens. Les maigres loisirs des prisonniers ; jeu d'échecs et construction de maquettes font l'objet de la sixième série.
La série des flashes mentaux du corps de Carol explicite que Doc ne peut plus supporter l’enfermement et la séparation d’avec sa femme. La frustration du désir se fait de plus en plus violente au fur et à mesure que s'accélère le montage parallèle et aboutit au renversement du jeu d'échecs et à la destruction de la maquette du pont dans la cellule.
Le montage parallèle de plusieurs séries développé dans l'ensemble du film
Dans Intolérance sont montées en parallèle quatre métaphores historiques de l'intolérance : La chute de Babylone, la crucifixion du Christ, la saint Barthélémy et le massacre de Ludlow, au Colorado, où plusieurs dizaines de grévistes d'une mine de Rockefeller trouvèrent la mort. Griffith donne ainsi à son film une ampleur spatio-temporelle jamais vue.
Dans Mon oncle d'Amérique (Alain Resnais, 1980), trois destinées, celles d'un journaliste directeur des informations d'un poste de radio, d'un fils d'agriculteur recyclé dans une industrie textile elle-même en mutation, et celle d'une fille d'ouvrier devenue styliste, s'entrecroisent en contrepoint des théories formulées depuis son laboratoire par le professeur Laborit, biologiste et analyste des comportements des rats et des hommes vivant en société.
Le montage parallèle du vrai et du faux
Dans Gone Girl, David Fincher utilise d'abord le montage parallèle pour décrire deux idées différentes du mariage, l'une appartenant à un passé fantasmatique, c'est le point de vue du journal de Amy, l'autre à un présent beaucoup plus terne, celui de son mari.
Le montage parallèle du présent et du passé
Au milieu de Gone Girl, David Fincher monte en parallèle l'histoire qui se continue au présent pour le mari et l'histoire de Amy telle qu'elle s'est déroulée au premier jour de sa fuite. Le plan de celle-ci a des conséquences dans le présent du mari.
L'étreinte du serpent (Ciro Guerra, 2015) monte en parallèle le voyage de Karamakate guidant, jeune, Manduca et l’ethnologue allemand Theodor Koch-Grünberg puis, plus âgé son voyage avec le seul Richard Evans Schultes, un ethnobotaniste américain. L'idée qui sous-tend ce montage parallèle est que la situation s'est dégradée avec le temps. Les mêmes étapes du voyage montrent qu'en quarante ans de distance la colonisation a remplacé les traditions ancestrales en pseudo-savoir.
Dans One plus one (Jean-Luc Godard, 1968), les quatre séries distantes dans l'espace (La répétition des Rolling stones, les Black Panthers qui fusillent des femmes blanches en lisant les pensées des principaux leaders Noirs, Iain Quarrier qui lit Mein Kampf dans son sex-shop et, dans Londres, Eve Democracy qui peint des slogans) ont lieu au même moment et rendent compte du climat pré-révolutionnaire. Les séries restent autonomes durant le film et ne se rencontrent pas (si ce n'est, de manière symbolique et partielle, sur la plage où le metteur en scène tente vainement de sauver Eve Democracy).
Jean-Luc Lacuve le 02/01/2010 (Source : stage de Vincent Amiel au Café des Images)