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Porcherie

1969

(Porcile). Avec : Pierre Clémenti (le chef des cannibales), Franco Citti (son premier disciple), Jean-Pierre Léaud (Julian Klotz), Anne Wiazemsky (Ida), Alberto Lionello (M. Klotz), Margarita Lozano (Madame Klotz), Ugo Tognazzi (Herdhitze), Marco Ferreri (Hans Günther), Ninetto Davoli (Maracchione), Luigi Barbini (le soldat tué et mangé). 1h38.

Tandis qu'un jeune homme erre au milieu des pentes désertiques de L'Etna, à bout de forces, à demi mort de faim, un autre, Julian Klotz, sensiblement du même âge, goûte les plaisirs d'une agréable demeure à Godesberg à la périphérie de Bonn.

Le vagabond, sous-alimenté, ne trouve à manger qu'un papillon, un serpent et quelques rares végétaux. Il fait par hasard la rencontre d'un soldat. S'engage aussitôt une lutte sans merci d'où sort vainqueur le pauvre affamé; celui-ci, sans doute étourdi par sa férocité, ne peut résister à la tentation de dévorer goulûment son malheureux adversaire après avoir jeté sa tête dans une bouche volcanique .

Dans la splendide villa, Julian n'est pas amoureux de la jolie Ida qui pourtant lui voue un amour inconditionnel. La raison n'en incombe pas au manque de charme de celle-ci mais à une terrible passion qu'il refuse de révéler à Ida. Celle-ci s'en va donc sans lui manifester pour la paix à Cologne avec ses amis gauchistes.

Le cannibale a fait un disciple. Tous les deux attaquent trois soldats qui transportait quatre prisonnières. Le cannibale découpe les soldats pour les manger. Le disciple viole l'une des femmes et tous les six dévorent les trois soldats. Un peu plus tard arrivent un paysan et sa femme sur un cheval. Le paysans s'arrête pour uriner et sa femme est capturée par les cannibales qui lui coupent la tête et la dévore. Le paysan s'en va raconter ces atrocités au village.

Dans sa villa, Julian allongé dans son lit est dans une sorte de coma. Ida est venue le voir et contredit en tous points sa mère qui dénigre son fils. Klotz se désole que son fils ne soit ni obéissant ni désobéissant. Dans un cas il en aurait fait son disciple, dans l'autre il l'aurait anéanti. Dans le cas présent, il ne le comprend pas. Hans Günther, son homme de confiance, vient lui apporter une bonne nouvelle. Celui qui menace son hégémonie sur l'industrie Allemande, Herdhitze, est un ancien officier nazi accusé de crime de guerre pour avoir fait des expérience sur des crânes de juifs bolcheviques à Strasbourg à partir de 1942. Il se nommait alors Hirt et a eu depuis recours à la chirurgie esthétique afin de n'être pas reconnu après la guerre.

Herdhitze est alors annoncé en visite. Klotz se réjouit d'avance de l'ascendant qu'il va prendre sur lui. Mais Herdhitze lui raconte que Julian, venu chez lui, délaissa bientôt son jardin hellénistique pour des visites fréquentes à la porcherie. Il inquiète suffisamment Klotz pour que celui-ci renonce à ses menaces envers lui.

Les religieux du village en bas de l'Etna ont dépêché des hommes armés de mousquetons pour piéger les cannibales. Ils ont ainsi disposés un homme et une femmes nus en bas d'un versant de la montagne. Les six cannibales observent ces deux corps nus avec envie et, renonçant à leur méfiance, descendent vers eux. Surgissent alors les soldats de tous côtés qui les font prisonniers.

Ida revient voir Julian pour lui annoncer qu'elle se marie avec un jeune homme beau, intelligent dont elle n'est pas amoureuse mais qui est prometteur, ainsi que le lui disent ses parents. Julian lui dit adieu en souriant.

Après avoir été ramenés au village pour entendre leur jugement, les cannibales sont conduits sur les flancs de l'Etna pour y être attachés, chacun entre quatre poteaux et abandonnés au soleil mais surtout aux chiens errants qui vont les dévorer. Avant de mourir, le cannibale dit "J'ai tué mon père! j'ai mangé de la chair humaine! J'ai frémi de joie !"

Herdhitze et Klotz célèbrent par une fête chez ce dernier la fusion de leurs entreprises. Julian sort de la villa et se dirige vers la porcherie. Il est salué par le jardinier, Matacchione, mais il ne lui répond pas et entre dans la porcherie.

Herdhitze et Klotz discutent en marge de la fête quand ils sont interpellés par un groupe de paysans, des immigrés italiens. Ils demandent à parler au plus dur d'entre eux. Klotz laisse sa place à Herdhitze. Matacchione prend la parole pour dire qu'ils ont suivi Julian jusqu'à la porcherie et que rien n'est resté de lui. Herdhitze s'enquiert de savoir si d'autres qu'eux sont au courant. Comme ils sont les seuls; il leur ordonne le silence sur tout cela.

Le film est un montage parallèle de deux histoires qui ne se rejoignent ni dans le temps ni dans l'espace. Il ne s'agit donc pas d'un montage alterné, qui a pour but un effet dramatique, mais d'un montage qui favorise un effet de sens. L'une des histoires se déroule sur les pentes de l'Etna durant le Moyen Âge; l'autre en 1967 dans une belle villa des environs de Bonn. L'une est presque muette, l'autre est très dialoguée. Seul point de rencontre entre les deux histoires, l'intervention tardive de Ninetto Davoli, interprétant un spectateur du procès du cannibale, ainsi que Maracchione, le jardinier d'origine italienne des Klotz. Les deux histoires se dirigent aussi vers une même fin, hors champ : la mort des cannibales dévorés par les chiens et la mort de Julian dévoré par les porcs.

Le cannibale et Julian sont ainsi deux aberrations de l'histoire, exprimant un violent désir d'anéantissement face à deux sociétés qui les ont conduit à ces méfaits en les abandonnant à leur sort d'affamé ou de fils de bourgeois. La cannibale assume ses goûts "J'ai tué mon père!  j'ai mangé de la chair humaine! J'ai frémi de joie !". Solitaire abandonné par la grâce sur les pentes de l'Etna, il est une sorte de prolongement du père, nu sur les pentes de l'Etna, à la fin de Théorème. Julian, fils le plus intelligent du capitalisme, délaisse la beauté hellénistique et se sent attiré par les porcs dans une passion sexuelle -les plans insistant sur les anus des cochons- mais surtout destructrice, vers laquelle il marche tel un somnambule.

Il est le plus désobéissant des fils de la bourgeoisie. En effet, les Klotz ne comprennent pas leur fils. Pour le père, Julian est ni obéissant ni désobéissant et la mère se voit contredite par Ida sur toutes les remarques dévalorisantes qu'elle fait sur son fils. C'est le second discours de l'une des stèles de marbre qui ouvrent le film. Mais la première stèle, celle de Herdhitze, le plus dur et le plus criminel, porte lui un discours plus ferme : "Après avoir interrogé comme il le faut notre conscience, nous avons pris la décision de te dévorer en réponse à ta désobéissance".

Interrogata ben bene la nostra coscienza, abbiamo stabilito di divorarti, a causa della tua disobbedienza. (1) Io e te, moglie, siamo alleati. Tu madre – padre, io padre - madre. La tenerezza e la durezza Sono intorno a nostro figlio da tutte le parti. La Germania di Bonn, accidenti, Non è mica la Germania di Hitler! Si fabbricano lane, formaggi, birra e bottoni. Quella dei cannoni è un’industria d’esportazione. È vero, si sa che anche Hitler era un po’ femmina, ma, com’è noto era una femmina assassina: la nostra tradizione è così decisamente migliorata. Dunque? La madre assassina, lei, ebbe figli obbedienti con gli occhi azzurri pieni di tanto disperato amore, mentre io, io, madre affettuosa, ho questo figlio Che non è né obbediente né disobbediente? (2)

L'hédonisme capitaliste auquel se résout Ida est la voie de l'oubli des crimes fascistes. Ida veut se dédouaner du passé nazi de ses parents en participant à une marche pour la paix à Cologne; comme les filles et les fils du capitalisme, elle va se fondre dans l'héritage de son père une fois mariée. C'est ce  qui convient  à Herdhitze qui veut faire silence sur les atrocités passées de l'histoire.

Jean-Luc Lacuve, le 15 mars 2025.

(1) Après avoir interrogé comme il le faut notre conscience, nous avons pris la décision de te dévorer, en réponse à ta désobéissance.

(2) Toi et moi, femme, nous sommes alliés. La tendresse et la rigueur
Enserrent notre fils de toute part.
L’Allemagne de Bonn, ohhh (bon sang),
Ce n’est pas celle d’Hitler !
On fait de la laine, des fromages, de la bière et des boutons.
L’industrie des canons, elle, est une industrie d’exportation.
Oui, bien sûr, on sait qu’Hitler était un peu femme,
Mais, on sait d’autre part que c’était une femme assassine : notre tradition a ainsi fait d’énormes progrès.
Et alors ? La mère assassine , elle, eut des fils obéissants
Aux yeux bleus remplis d’un grand amour désespéré,
Tandis que moi, moi, mère affectueuse, j’ai ce fils
Qui n’est ni obéissant ni désobéissant.

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