Le parrain

1972

Voir : photogrammes (montage alterné dans l'église)

Avec : Marlon Brando (Don Vito Corleone), Al Pacino (Mike Corleone), James Caan (Sonny Corleone), Robert Duvall (Tom Hagen), Diane Keaton (Kay Adams), John Cazale (Fredo Corleone), Richard S. Castellano (Clemenza), Richard Conte (Barzini), Al Lettieri (Sollozzo), Abe Vigoda (Tessio), Alex Rocco (Moe Greene), Simonetta Stefanelli (Apollonia), Richard Bright (Rocco Neri), Victor Rendina (Philip Tattaglia). 2h58.

Don Vito Corleone,  "parrain" de la famille mafieuse Corleone, célèbre le mariage entre Constanzia, dite Connie, sa fille, et Carlo Rizzi, un bookmaker, à la fin de l’été 1945, à New York. Conformément à la tradition, aucun Sicilien ne peut refuser un service le jour du mariage de sa fille, ainsi le Don rencontre différentes personnes pour leur accorder différentes faveurs. D'abord, Amerigo Bonasera demande au Don de venger sa fille qui a été battue, car les tribunaux ne lui ont pas donné justice. Vito Corleone refuse d'abord ce meurtre au nom de la loi du talion. Il refuse aussi l'argent de Bonasera car il cherche à le vassaliser par une dette. Quand Bonasera fait finalement allégeance, le Don offre cette "justice" comme un "cadeau", non sans rappeler qu'il pourra, un jour, lui demander un service en retour.... Une autre des demandes concerne un italien auquel il frutdonner des papiers. Arrive enseuite  le filleul de Vito, Johnny Fontane, un célèbre  crooner. Il souhaite profiter de l’influence de Corleone pour faire une carrière à Hollywood, plus précisément pour obtenir un rôle dans lequel il serait parfait, mais que le producteur Jack Woltz lui refuse. Le Don rassure Johnny et décide de faire au producteur « une offre qu’il ne pourra refuser ».

Pendant le mariage, le plus jeune fils du Don, Michael, de retour de la Seconde Guerre mondiale, explique à sa petite amie, Kay, qui ignore tout des pratiques et des règles propres au milieu mafieux, la façon violente dont son père règle les affaires avec ses concurrents. Il lui dit que ce sont les méthodes de sa famille, mais pas les siennes.

Plus tard, le "consigliere" de la famille, Tom Hagen, un enfant des rues germano-irlandais et frère adoptif des fils du Don que celui-ci a élevé comme l'un d'eux, se rend à Hollywood pour persuader le producteur de prendre Johnny Fontane dans le film. Il est accueilli à dîner dans la propriété de Jack Woltz lorsque celui-ci apprend que Tom Hagen travaille pour Don Vito Corleone. Woltz présente à son invité le cheval de course qu'il vient d'acquérir, Khartoum, et qu'il a payé 600 000 $. Au cours du dîner, il annonce son refus d'engager Johny Fontane comme acteur principal de son futur film car il le hait pour avoir débauché uen jeuen actrice prometteuse qui était sa maitresse. Au petit matin, Jack Woltz découvre avec horreur la tête ensanglantée de Khartoum dans son lit.

Virgil Sollozzo (dit "le turc"), qui contrôle le trafic d'héroïne à New York, suscite un rendez-vous d'affaires avec Don Corleone, pour lui demander une protection juridique et politique, ainsi qu'un million de dollars pour développer ses affaires, en contrepartie d'un pourcentage sur les ventes. Inquiet de l’image qu’il donnerait aux politiciens et aux policiers, en acceptant d’être lié à un trafic de drogue, Don Corleone décline l’offre : il restera sur des trafics jugés moins sales : les jeux d’argent clandestins et la prostitution. Ses fils Sonny et Tom Hagen auraient, quant à eux, accepté d'entrer dans ce marché très lucratif. Si la famille Corleone ne le fait pas, pensent-ils, les ressources obtenues par d'autres familles grâce au trafic de drogue permettront de corrompre des juges et des policiers, et en définitive d'éliminer les Corleone. Luca Brasi, un homme de main loyal aux Corleone, est alors envoyé pour obtenir des informations sur la famille Tattaglia, allié apparent de Virgil Sollozzo. Mais il est assassiné sur le lieu du rendez-vous, le bar d'un hôtel de luxe.

Parti en ville avec son fils Fredo, le Don est victime d'une tentative de meurtre orchestrée par Sollozzo. Alors qu'il achète des oranges dans un petit magasin de rue, il est attaqué au revolver par deux hommes. Criblé de cinq balles, il survit miraculeusement mais se trouve dans un état critique. Sollozzo, qui pense que le Don est mort, enlève Tom Hagen et lui impose de transmettre une nouvelle offre à Sonny. Celui-ci refuse de prendre en compte l’offre après la tentative d’assassinat et décide d'attendre les informations glanées par Luca. Mais un paquet contenant un poisson mort, enroulé dans le gilet pare-balles de Luca, est livré aux Corleone : c'est un message habituellement utilisé par les calabrais signifiant que Luca Brasi "dort avec les poissons". La famille Corleone se prépare à une guerre totale contre les cinq autres familles mafieuses de la ville. Pendant ce temps, le "caporegime" des Corleone, Pete Clemenza, fait tuer Paulie Gatto, le garde du corps et chauffeur du Don. Sonny est convaincu que c'est lui qui a trahi le Don.

Michael, qui est reconnu comme ne participant pas aux affaires familiales par les autres familles mafieuses, se rend en ville pour dîner avec Kay puis rend visite à son père hospitalisé. Une fois à l’hôpital, il ne trouve ni policier de garde, ni garde du corps de son père : ils ont tous été arrêtés ou déplacés par la police. Michael comprend que son père est sur le point d’être à nouveau attaqué et déplace son lit avec l’aide d’une infirmière vers une autre chambre. Puis il enrôle un innocent boulanger, venu présenter ses respects à son père, pour simuler la présence de gardes du corps, en adoptant une posture menaçante à l’entrée de l’hôpital. Une voiture arrive, s'arrête un instant, puis repart en voyant les deux hommes. Presque immédiatement, sans le moindre doute et selon un plan élaboré, la police arrive avec le capitaine McCluskey. McCluskey frappe Michael, qui l’accuse d’être corrompu par Sollozzo ; le policier lui casse la mâchoire. Michael est sur le point de se faire arrêter, malgré son statut de héros de guerre et son casier judiciaire vierge, mais Tom Hagen arrive avec des hommes de main et le tire d'affaire. Il indique que McCluskey devra s’expliquer devant la justice en cas d’interférence. Pour le moment, le Don est sauf.

Le lendemain matin, Clemenza, Tom et Michael découvrent qu'une centaine de gardes surveillent la propriété. Tessio leur explique que, le matin même, à quatre heures du matin, Sonny, en guise de représailles, a fait tuer Bruno Tattaglia, fils de Don Tattaglia et principal allié de Sollozzo.

Michael décide désormais de s’impliquer dans les affaires familiales. Se rendant compte que Sollozzo ne s’arrêtera pas tant que son père ne sera pas tué, il se rend volontaire pour assassiner Sollozzo et McCluskey pendant une réunion prévue pour mettre fin au conflit. Le réseau d’indics de Sonny à la police apprend le lieu du rendez-vous à la dernière minute, un restaurant du Bronx, et Clemenza fait placer un pistolet dans les toilettes du restaurant. Lors de la réunion, Michael s’excuse pour aller aux toilettes, prend l’arme et abat Sollozzo et McCluskey. En commettant ce meurtre, Michael plonge définitivement dans la criminalité.

À la suite de ce double meurtre, Michael est envoyé en Sicile sous la protection de Don Tommasino, un ancien ami de Vito mais aussi partenaire en affaires. Là-bas, il rencontre la belle Apollonia qui deviendra son épouse, mais qui sera plus tard tuée dans une voiture piégée destinée à Michael. Don Corleone, de retour de l’hôpital, apprend que Michael a tué Sollozzo et McCluskey, alors qu’il l’avait volontairement éloigné des opérations illégales et qu’il avait pour lui des aspirations politiques.

À New York, Sonny corrige son beau-frère Carlo pour avoir levé la main sur Connie. Après que Carlo eut battu une deuxième fois Connie, Sonny part seul afin de lui régler son compte. Malheureusement, Carlo a trahi la famille Corleone pour la famille Barzini. Battre une nouvelle fois Connie n'était qu'un prétexte pour faire sortir Sonny de ses gonds. Les hommes de main de Barzini attendent Sonny à une gare de péage et l'assassinent dans sa voiture en le criblant de balles.

Au lieu de perpétuer ce cycle de vengeance, Don Corleone – désormais pleinement remis de ses blessures – recherche la paix avec les autres familles pour que son fils puisse revenir à la maison. Don Corleone se rend compte que ce n’est pas Don Philip Tattaglia, mais Don Emilio Barzini qui est derrière cette guerre et le meurtre de Sonny. Michael rentre de Sicile puis, après plus d'un an, reprend contact avec Kay avant de se marier avec elle. Il lui explique que, dans cinq ans, les affaires de la famille seront devenues totalement légales.

Fredo, désormais l'aîné, mais aussi le plus faible et le moins intelligent des frères Corleone, est envoyé à Las Vegas pour apprendre les affaires aux casinos. Les caporegime Clemenza et Salvatore "Sally" Tessio se plaignent d'être poussés par la famille Tattaglia et veulent la permission de contre-attaquer. Quand Michael, à qui son père a désormais transféré tous ses pouvoirs de chef de famille, donc de Parrain, refuse parce que les "choses sont en cours de négociation", ils demandent la permission au Don de fonder leur propre "famille", comme il leur avait été promis par le passé. Michael leur dit qu'il a des projets pour faire des affaires - importation d'huile d'olive - une entreprise légale de façade pour les casinos du Nevada : cela fait, Clemenza et Tessio pourront former leur propre "famille".

À Las Vegas, dans le casino en partie financé par les Corleone et géré par Moe Greene, Michael appelle Johnny Fontane, lui proposant de signer un contrat comportant plusieurs spectacles dans l'année au casino et lui demandant qu'il oblige ses amis à Hollywood à faire de même. Fontane est heureux de pouvoir rembourser la dette morale qu'il a envers son parrain. Mais l'offre de Michael pour racheter la part de Moe Greene est repoussée, puisque Greene croit qu'il peut obtenir plus des Barzini. Fredo essaye de faire intervenir Tom Hagen en sa faveur, qui lui indique que le Don est en semi-retraite et donc que Michael est désormais responsable des affaires de la famille.

Michael retourne à la maison et Vito Corleone, tout en conseillant Michael en stratégie et tentatives possibles d'assassinat, admet qu'il avait espéré que son plus jeune fils ne serait pas mêlé aux affaires familiales. "J'ai toujours refusé d'être un pantin qui danse sur un fil tiré par de gros bonnets… Je voudrais que quand mon heure viendra, ce soit toi qui tires les ficelles".  Vito décède dans son jardin d'une crise cardiaque alors qu'il joue avec son petit-fils. Pendant l'enterrement, le caporegime Tessio propose une réunion avec les Barzini. Mais Vito Corleone a prévenu Michael que ses ennemis essaieront de le tuer en utilisant un homme de confiance pour organiser une réunion et "assurer" sa protection. Cette personne de confiance c'est Tessio, qui est bientôt exécuté bien qu'il ait demandé grâce à Hagen.

Michael s'arrange alors pour assassiner les autres "chefs de famille" : Victor Stracci, Moe Greene, Raphael Cuneo, Philip Tattaglia, Emilio Barzini. Ces meurtres sont commis pendant la cérémonie de baptême où Michael devient parrain du deuxième fils de Connie et de Carlo, Michael Francis Rizzi. Tessio, qui s'apprete à quitter la demeure de Corleone, comprend qu'il est percé à jour et quil va être tué.

Plus tard, Michael questionne Carlo au sujet de la mort de Sonny et lui fait admettre son rôle dans le meurtre. Pour cela, Michael lui a fait croire qu'il allait pouvoir s'en sortir, mais le fait finalement étrangler. Connie accuse ensuite Michael d'avoir commandité le meurtre de Carlo. Kay est témoin de l'attitude hystérique de Connie et demande des explications à Michael. Il répond énergiquement : "Ne m'interroge pas au sujet de mes affaires, Kay". Devant son insistance, il semble se radoucir et accepte une question "seulement pour cette fois", pour finalement nier toute implication dans la mort de Carlo.

Kay est soulagée par le démenti de Michael. Cependant, elle semble avoir des craintes lorsqu'elle observe Clemenza et le nouveau caporegime Rocco Nerri présenter leurs respects à Michael, embrassant sa main et s'adressant à lui comme on s'adressait naguère à Don Corleone.

Après leurs heures de gloire dans les années 30-40, les films de gangsters des années 50-60 montrent un monde criminel marginalisé, un monde en marge de perdants. Le gangster pour survivre devient businessman, patron de sociétés anonymes : L'homme aux abois (Haskin, 1948), L'enfer de la corruption (Polonsky, 1948) La femme à abattre (Raoul Walsh, 1951), Sur les quais (Elia Kazan, 1954), Traquenard (Nicolas Ray, 1958), Les bas fonds de New-York (Samuel Fuller, 1961), Main basse sur la ville (Francesco Rosi, 1963), Le point de non retour (John Boorman, 1967).

Le Parrain opère une révolution, montrant en quoi la mafia est un véritable contre-pouvoir face à une société corrompue. Les scènes de prostitution, de paris clandestins, ou de rackets sont totalement absentes du film au profit d'une véritable mise en scène d'une guerre politique, économique et armée. Coppola met en parallèle les cérémonies religieuses et les conspirations dans lesquelles les membres de la famille doivent s'engager (mariage et affaires au début, déplacement du lit de Vito le soir de Noël, piège mortel proposé dans le cimetière, massacre des rivaux interrompu par le baptême du filleul de Michael) L'or et les fastes de l'Eglise font écho aux machinations brutales et sanglantes de la famille. Ces deux mises en scène sont le fondement de la culture italo-américaine.

La séquence la plus célèbre du film est celle du montage alterné entre la scène du baptême et celles des massacres des rivaux de Michael. Entre le plan d'intérieur de l'église et celui de l'extérieur (4'35) vont alterner les séquences ou Michel répond aux paroles du prêtre pour son filleul, Michael Rizzi, et où lui-même, parjurant les paroles qu'il prononce, visualise mentalement  les crimes qu'il a commandité. L'orgue et les cris de l'enfant (qui perdra son père dans la séquence suivante, exécuté) ponctuent ces massacres, tout comme s'oppose le bruit de l'eau du baptême et les mitraillettes.

La pompe et la pureté de l'église catholique servent à couvrir les pires crimes des Corleone en faisant des anges déchus, des démons. L'assassinat qui suit de Tassio est accompagné de la musique élégiaque de Nino Rota. Tassio accepte sa mort, risque du métier, sur fond d'oiseaux qui chantent. En revanche, la mort de Carlo, auquel Michael donne le faux espoir d'être envoyé à Las Vegas et auquel il rappelle qu'il est le parrain de son fils, est filmée dans une atmosphère extrêmement sombre avec croassements de Corbeau. Le parrain 2 (1974) sera une tragédie de la solitude. La culpabilité viendra plus tard, terrible, tragique et funèbre dans Le parrain 3 (1990).

Cette grande beauté formelle crépusculaire de cette trilogie de la mafia ne trouvera un équivalent qu'avec Il était une fois en Amérique (Leone, 1984), ou L'impasse (De Palma, 1993).

Jean-Luc Lacuve le 16/07/2016