Pat Garrett et Billy the Kid

1973

Voir : photogrammes version 1988 et affreux générique version 2005
Genre : Western

(Pat Garrett and Billy the Kid). Avec : James Coburn (Shérif Patrick J. Garrett), Kris Kristofferson (William H. 'Billy the Kid' Bonney), Bob Dylan (Alias), Richard Jaeckel (Shérif Kip McKinney), Katy Jurado (Mme Baker), John Beck (Poe), Matt Clark (J.W. Bell), Slim Pickens ( Sheriff Cullen Baker), Sam Peckinpah (Will) . 2h02.

Près de Las Cruces, Nouveau-Mexique, 1909. Pat Garrett, est abattu dans un guet-apens tendu par Poe et ses hommes pour n'avoir pas respecté les règles du métayage de l'Etat. Ils y mettent le même soin méticuleux et sans pitié que, 28 ans plus tôt, en 1881, Billy et ses hommes avaient mis pour abattre des poules maintenues à mi-corps dans la terre.

Fort Summer, Nouveau-Mexique, 1881. Pat Garrett rend visite à son ami et ancien compagnon de route, Billy, qu'il n'a pas vu depuis plusieurs mois, dans son repaire de Fort Sumner. Il se montre plus précis dans son tir sur les poules que Billy et ses hommes. Pat annonce à Billy qu'il a accepté le poste de shérif du comté de Lincoln et lui suggère de partir au Mexique, sinon il sera obligé de l'arrêté d'ici cinq jours, dès qu'il aura pris ses fonctions. Le jeune hors-la-loi ignore son conseil – comme il refuse de suivre celui de ses complices, qui lui recommandent de se débarrasser de Garrett.

Peu après, Billy et deux de ses amis, O'Folliard et Charlie Bowdre, se retrouvent assiégés dans une cabane par Garrett et une armée d'hommes de main. Seul survivant de la fusillade, Billy finit par se rendre. Alors qu'il attend dans la prison de Lincoln le jour de son exécution par pendaison, une âme charitable lui fait parvenir une arme : il abat Bell et Ollinger, les deux adjoints qui le gardaient, et s'évade sous le regard bienveillant de la population.

A Santa-Fé, le gouverneur Wallace ordonne alors à Garrett de mettre le Kid hors d'état de nuire, les activités de celui-ci étant incompatibles avec le climat d'ordre et de sécurité qu'escomptent les financiers de l'Est, soucieux d'investir dans cet territoire du Nouveau Mexique encore peu exploité. Dès lors, Garrett n'a de cesse de retrouver Billy : lui et ses hommes interrogent et menacent les complices, les amis ou sympathisants du Kid, abattant ceux qui refusent de coopérer ou font mine de résister, comme Black Harris.

Se sachant traqué, Billy, qui a déjà échappé à des tentatives d'assassinat par des chasseurs de prime, envisage de fuir au Mexique. Il reste cependant à Fort Sumner où il a trouvé asile, avec les quelques survivants de sa bande, dont Luke et Alias. Une nuit, Garrett l'y découvre et le tue sans lui laisser la moindre chance. Après être resté près du corps de son ancien ami jusqu'à l'aube, Garrett, las et solitaire, soudainement vieilli, quitte le village sous les jets de pierres des enfants. (En 1909, lui aussi sera abattu sans pitié).

Peckinpah ancre son film dans un contexte historique qui lui tenait à cœur. Il montre la fin des mythes du western et la survie provisoire des rebelles de l’Amérique. L’ancien bandit Garrett vient d’être nommé shérif par des éleveurs et s’engage en échange de cette promesse de respectabilité à arrêter son ami Billy le Kid, hors-la-loi plus jeune que lui. Garrett a vieilli, pour lui les temps ont changé. Le Kid, au contraire, personnifie le romantisme et l’esprit de liberté d’un Ouest sauvage rattrapé par la civilisation et d’autres formes de violence : le capitalisme et la propriété. Le scénariste Rudy Wurlitzer, auteur de Macadam à deux voies (Monte Hellman), apporte à cet ultime western de Peckinpah une dimension existentielle.

Le film se transforme en poème élégiaque, accompagné par les complaintes du troubadour Bob Dylan, auquel Peckinpah confie un petit rôle énigmatique de témoin de la poursuite entre les deux hommes. Une poursuite qui n’en est pas une puisque Garrett, qui s’acquitte de sa mission avec lassitude et dégoût, retarde le moment où il devra tuer son ami. Le film privilégie donc les temps morts, moments d’errance ou de sur-place, pour une traque au ralenti qui dure quelques semaines, mais pourrait aussi bien s’étaler sur plusieurs mois. Les rencontres et les morts violentes qui parsèment la ballade des deux antihéros donnent au film un ton désenchanté : les cow-boys sont des vieillards maltraités par la nouvelle génération, les duels sont truqués, les adversaires désarmés abattus de sang froid. Saisi par la mort dans toute sa force et sa beauté, Billy le Kid abandonne son meurtrier ami à un devenir fantomatique dans un monde en décomposition. Parvenu au bout de son périple, Coburn délivre la morale du film dans une sentence rageuse : « What you want and what you get are two different things. » Peckinpah était un Pat Garrett qui s’était rêvé en Billy the Kid. Brisé par le système hollywoodien, contraint à des compromis, Il aura cependant pu mener jusqu’au bout une poignée de chefs-d’œuvre (dont ce film et le suivant, Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia), authentiques gestes d’insoumission et de désespoir jetés à la face de l’Amérique.

Trois versions pour un même film

Il aura fallu attendre 1988 pour que le film, à l’initiative des studios Action aidés par Turner et FR3, soit visible en salles dans le montage voulu par Sam Peckinpah. Auparavant circulait une version amputée de plusieurs séquences et remontée par la MGM, sanctionnée à l’époque de sa sortie par un grave échec critique et public. Aujourd’hui le film est disponible dans la version « director’s cut » en DVD, chez Warner. Un autre montage de 2005, établi par Warner sosu la conduite de Paul Seydorest en tous points contestable. Lors de la rétrospective 2015 à la cinémathèque française c'est la version 1988 qui a été présentée. A cette occasion Jean-François Rauger a exprimé tout le mal qu'il pensait, à juste titre, du charcutage de 2005, hélas dorénavant présenté en salle pour la version restaurée du film en 4k.

La superbe séquence d’ouverture et le générique voulus par Peckinpah, reconstitués en 1988 a été charcutée, amoindrissant l'effet de montage parallèle. Il est du coup presque possible de voir un flash-back dans cette séquence initiale. Le coup de feu du tueur vient toutefois après le premier insert sur 1881 ce qui rend théoriquement impossible la prise en charge introspective du récit par Pat. Très rarement l'alternance  des séquences rend crédible un possible flash-back. Néanmoins la version de 1988, en intercalant entre la mise en joue et le tir une plus longue séquence, rend plus net  le fait que le montage parallèle soit assumé par Peckinpah comme il l'est dans le générique de son film précédent, Guet-apens.

De même, la suppression de la quasi totalité de la tirade de Peckinpah, qui interprète le personnage de Will à la fin, annihile la dimension de réflexion désabusée sur le western que porte Peckinpah dans son dernier opus consacré à ce genre (seule la partie en gras est maintenue).

Tu as enfin trouvé. Je te croyais dehors à picorer la merde avec la poule. Vas-y, liquide l'affaire. Tu sais ce que je vais faire : mettre tout ce que je possède là, l'enterrer dans cette terre et ensuite partir. Il faut se fier  à personne pas même à soi, Garrett, fouille-merde.

Dommageable aussi la suppression de la sentence énervée de Pat envers Poe qu'il vient de frapper pour avoir voulu découper au couteau le doigt de Billy qu'il tient sur la gâchette. "Ce qu'on veut et ce qu'on a; ce n'est pas la même chose", exprime en effet bien la situation de Pat.

Moins grave à notre avis est l'ajout des paroles de la chanson "Knockin On Heavens Door" sur la version orchestrale seulement de 1988 qui accompagne la lente agonie au bord d’une rivière du sheriff Cullen Baker abattu par des hommes de Billy lors de l’assaut de leur maison. D'autres passages de la BO de Dylan sont en effet accompagnés des paroles. Néanmoins dans celle-ci la séquence est certes plus élégiaque sans paroles.

La fin de la version 2005 est tronquée du retour à l’assassinat inaugural de Garrett. L'image finale de Pat s'en allant seul poursuivi par le gamin qui lui jette des pierres est là, à notre avis, plutôt plus forte et élégiaque que le bouclage sur le rappel de la situation commune du Kid et de Pat... Objet de la superbe séquence de 1988.

Jean-Luc Lacuve le 14/10/2015

Sources :

 

 

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