En 1999. Dans la benne d'un camion de charbon, un étrange objet est aussi transporté.
Zhang, dans une chambre joue aux cartes avec une femme avec qui il fait ensuite l'amour. Sur le quai, la femme tend à l'homme leur livret de divorce; ils se voyaient pour la dernière fois. Zhang tente de la retenir mais, après un bref combat, laisse partir, celle qui est désormais son ex-femme.
Le camion a déversé son chargement dans une usine de conditionnement. Les employés découvrent un bras humain. C'est le cinquième morceau du même cadavre que l'on retrouve dans la province de Heilongjiang après ceux de Qingyuan, Pingbaishui et Zhicheng, tout au nord de la Chine. Zhang est inspecteur et est chargé de l'enquête. On retrouve bientôt sur un nouveau morceau de cadavre sa carte d'identité maculée de sang : il s'agit de Liang Zhijun. Zhang et l'inspecteur Wang se rendent chez la femme de la victime qui est employée dans une teinturerie. Ils se rendent ensuite dans le centre de pesée du charbon d'où partent tous les camions et sont informés que l'un des employés, le seul à livrer plus de deux sites, Liu Fayin, a démissionné deux jours plus tôt. Pourtant c'est quinze sites de six villes qui ont été touchées. Zhang s'en va pour l'arrêter ainsi que son frère mais l'un des inspecteurs fait tomber son arme et l'un des malfrats le tue ainsi qu'un autre collègue. Zhang, en légitime défense, ne peut qu'abattre les deux frères.
Quelques jours plus tard, psychologiquement effondré, il sort de l'hôpital de Harbin, traumatisé et n'ayant même pu assister à l'enterrement de ses collègues. L'inspecteur Wang dépose les quels effets de Liang Zhijun devant la teinturerie RongRong où travaille sa femme, Wu, qui enterre avec soin, les cendres du défunt qu'elle a reçu. La voiture de Wang et Zhang s'enfonce dans le tunnel.
La sortie du tunnel est enneigée. Nous sommes en 2014. Zhang est maintenant un homme déchu, saoul à côté de sa moto. Un passant en mobylette semble vouloir le soigner mais vole sa moto. Zhang arrive ainsi, saoul et en retard, au travail. Il est désormais agent de sécurité dans une entreprise.
Un jour, il retrouve en planque son ami l'inspecteur Wang. Deux nouveaux meurtres ont été commis dans l'entourage, un en 2001, la veille de son mariage et l'autre tout récent dans la région, tous deux liés à l'épouse de la première victime dont son second mari. Les meurtres ont été commis alors que les victimes avaient des patins à glace aux pieds. Zhang, qui refuse d'être un perdant, décide de reprendre du service. Il devient client de la teinturerie et suit Wu Zhizhen. Wu travaille dans la teinturerie depuis 1999, elle abîmé une veste de cuir d'un client qui lui réclamait 28 000 yuans puis a perdu son mari. Wu demande à Zhang d'arrêter de la suivre. En découvrant des pas parallèles qui l'ont suivi dans la neige, Zhang pressent que Wu Zhizhen est protégée par un mystérieux personnage. Lorsqu'elle est harcelée par son patron et se blesse la main. Il lui emmène des pansements. Il la provoque en lui demandant de le faire patiner. L'inspecteur Wang les suit. Ils vont au cinéma. Wang arrête un suspect mais, relâchant sa surveillance, il est assassiné à coup de patins à glace. Il laisse un numéro d'immatriculation. Zhang pense qu'il s'agit d'un bus. Il se trompe mais retrouve un curieux suspect aux patins à glace dans une salle de danse. Il le suit et, le lendemain, le voit jeter les morceaux du cadavre de l'inspecteur depuis un pont sur un train de charbon. Il fait appeler Liang Zhijun sur la patinoire. Il a en effet compris que la dispersion du corps ne peut être que du fait de l'auteur de l'affaire de 1999 où le mari, opérateur de pesée, pouvait disperser un cops dans toute la province. Zhang contraint Wu Zhizhen à dénoncer son protecteur. Il s'agit de son ancien mari qui avait découpé la malheureuse victime d'un casse qui aurait mal tourné, et, pour se protéger, l'aurait doté de son identité. Depuis "Elle est la compagne d'un mort vivant". Il a tué deux hommes qui s'étaient trop approché d'elle. Elle accepte, à contrecœur, de tendre un piège à son mari afin qu'il soit fait prisonnier. Mais le piège fonctionne mal et le mari est tué par les policiers.
A l'enterrement de l'inspecteur Wang, Zhang retrouve Wu Zhizhen car on lui donne les cendres de son mari. Alors qu'il la raccompagne chez elle en tentant de se justifier, Zhang voit surgir la police qui suspecte Wu de n'avoir pas dit toute la vérité. Elle surprend tout le monde en déclarant avoir jeté les cendres de son mari. Alors que dans la teinturerie, un client amène une veste, le patron rappelle à Zhang le mort d'il y a cinq ans. Zhang se souvient alors de la vénération avec laquelle Wu avait, cinq ans plus tôt, enterré les cendres qui étaient censées être celles de son premier mari. Il demande au teinturier la fameuse veste qui avait failli coûter sa place à Wu. Il y trouve la carte de visite de Zhao Jining, qui travaille dans l'import-export. Il s'est depuis reconverti dans le jeu en ligne. Il lui indique qu'il avait donné la veste à un ami, propriétaire d'un bar nommé Feux d'artifice en plein jour. La propriétaire indique que son mari avait disparu avec sa maîtresse un soir de juin 1999 et qu'il n'est plus réapparu depuis. Elle est restée amère de la fuite de son mari. Zhang exige une explication de Wu qu'elle lui donne peut-être sur la grande roue du parc d'attraction où ils font l'amour. Wu est arrêtée et déclare enfin la vérité à la police : c'est elle qui a tué l'homme, Li Lianquing, qui devint le premier cadavre retrouvé. Le propriétaire de la veste et de la boîte de nuit avait exigé de Wu qu'elle couche avec lui pour retirer sa plainte au sujet de la veste qu'elle avait abîmée. Wu signale que leur relation avait duré longtemps. Puis elle l'avait assassiné d'un coup de couteau dans l'hôtel minable où ils se retrouvaient. C'est son mari qui, pour la protéger, s'était sacrifié en donnant une fausse identité, la sienne, au cadavre qu'il avait tenté de faire disparaitre.
Wu, accompagnée de la police, doit reconstituer la scène du crime dans l'hôtel. Zhang, qui sait combien elle a fini par aimer son premier amant, a préparé un formidable feu d'artifice en plein jour qu'il déclenche à sa sortie de l'hôtel. La police alertée, l'arrêtera surement pour ce feu d'artifice dangereux. Mais quelle plus belle déclaration d'amour faire à Wu ?
Comme dans tout grand film noir, la psychologie complexe des personnages dépasse de loin ce que pourrait exiger la seule résolution policière de leur histoire. Zhang et Wu ont peu de chances d'échapper aux malheurs que le destin sème sur leur route. Leur rencontre fait néanmoins bouger l'étau qui les maintient à l'état de morts-vivants dans un paysage de charbon, de boue, de neige et de glace. Zhang, affaibli par le départ de sa femme et de son manque de vigilance lors de l'arrestation manquée de deux suspects en 1999 réussit à éviter d'être un perdant. Perspicace, non seulement, il résout l'affaire qui couta la vie à trois de ses collègues mais il se remet aux cours de danse et adresse un message d'amour à Wu. Ce parcours vers une rédemption est ponctué de raccords entre séquences aussi mystérieux que splendides.
Une intrigue policière complexe aux explications retardées
Le cadavre dont on retrouve les morceaux éparpillés dans divers endroits de la Mandchourie n'est pas celui du mari de Wu comme les policiers le croient d'abord mais celui de son violeur qui devint par la suite son amant, le patron de la boite Feux d'artifice en plein jour. Wu fut en effet contrainte par cet homme de coucher avec lui afin qu'il ne porte pas plainte au sujet de sa veste abimée et qu'ainsi elle puisse de conserver sa place. Les deux petits malfrats, dont l'un était chauffeur de camion de charbon ayant malencontreusement démissionné, seront pris pour les assassins. Le massacre dans le salon de coiffure, qui leur sera fatal ainsi qu'aux collègues de Zhang, cachera la vérité.
A la suite du meurtre commis par Wu, le mari, très amoureux de sa femme, va donc tenter de faire disparaitre le cadavre en jouant de sa position de peseur de charbon pour éparpiller les morceaux aux quatre coins de la province et laisser sa carte d'identité pour éviter que l'on recherche quelqu'un d'autre que lui-même, qui disparait alors. Mais de 1999 à 2014, il ne va ensuite cesser d'épier les relations amoureuses de sa femme, de tuer celui qui allait devenir son deuxième mari et plus récemment, un amant... dont on retrouve un œil dans une soupe. L'inspecteur Wang est sur sa piste mais est assassiné par le mari. Après l'assassinat de Wang, Zhang déchiffre mal la plaque minéralogique du camion du mari inscrit à la hâte par Wang. Lisant KF 295, il suit un bus, c'est pourtant dans celui-ci qu'il rencontre le mari, porteur de patins à glace.
Zhang ne sait alors pas qu'il est suivi par le meurtrier qui descend, après lui, dans une station proche du terminus. Ce n'est que lorsque le meurtrier pénètre dans le restaurant et laisse ses patins accrochés que Zhang comprend, prend peur et se refugie dans une salle de danse où il est poursuivi par le meurtrier. Mais c'est alors Zhang qui se met à le suivre et, le lendemain, suit le camion avec sa mobylette.
L'immatriculation du camion est bien KE 295 (repérable au cinéma seulement) et Zhang voit le meurtrier disperser les morceaux du corps de l'inspecteur du haut d'un pont où passent des trains. Zhang comprend alors qu'il est l'auteur des crimes de 1999 et le fait appeler par son nom sur la patinoire.
Wu cherche d'abord à se débarrasser de la présence insistante de Zhang. Elle le décourage de la suivre et le met sur une fausse piste en affirmant d'abord que son mari a tué le complice d'un hold-up dans un moment d'affolement. En l'amenant sur la piste de patin à glace, elle le met sous la menace de son mari qu'elle ne livre qu'à regret à la police bien qu'elle se sente psychologiquement épuisée, "C'est comme si je marchais aux côtés d'un homme mort". Zhang tente de s'imposer en l'amenant vers la grande roue puis en déclenchant le feu d'artifice final, aux connotations sexuelles transparentes, il fait une véritable déclaration d'amour à Wu qui semble y acquiescer d'un sourire.
Des non-dits suggerant des relations plus troubles
Wu a peut-être aimé celui qui l'a violée. A la fin du film, Zhang apprendra de la patronne du bar que le soir de ce qu'elle croit être la fuite de son mari, une femme était venue le chercher. Il est possible que Wu avait fini par harceler celui dont elle était devenue amoureuse et que c'est parce qu'il menaçait de la quitter qu'elle le tua d'un coup de couteau.
A l'appui de cette thèse, les deux scènes de l'enterrement des cendres de l'amant (alors pris pour le mari) par Wu en larmes au pied de l'arbre devant la blanchisserie qui contraste avec la désinvolture avec laquelle elle dit avoir jeté les cendres de son mari lorsque celui-ci finira par être tué par la police. Dia met en scène le regard de Wang vers l'arbre avec suffisamment d'insistance pour qu'il justifie l'enquête qu'il va mener alors pour retrouver qui pouvait bien être le mystérieux premier cadavre et dont il découvrira qu'il s'agit de l'amant, patron du Feux d'artifice en plein jour. Lorsqu'il emmène Wu sur la grande roue et lui désigne le bar dont l'enseigne brille dans la nuit, il rejoue alors le rôle de son amant, jouant tout à la fois sur un chantage sexuel et la passion qui en résultera peut-être. En déclenchant le feu d'artifice final, aux connotations sexuelles transparentes, il fait une véritable déclaration d'amour à Wu. Celle-ci, en dépit de son apparence fragile, a toujours gardé suffisamment de volonté pour survivre et échapper, ne serait ce qu'en se blessant à la main, aux avances grossières de son patron.
Mystères et splendeurs des raccords entre séquences
Il faut bien du temps pour expliciter les relations troubles entre les personnages, leurs sentiments et leurs motivations. Jamais Yi’Nan Diao ne s'attarde en scènes explicatives, laissant au spectateur le temps de s'attacher à des personnages dont il ne cerne que peu à peu la psychologie. Nombreuses sont ainsi les séquences porteuses de signes en attente de résolution et dont le mystère est superbement mis en scène. Ainsi, les mains de l'étreinte amoureuse qui suivent juste la main du cadavre.
Plus surprenante, l'ellipse temporelle entre 1999 et 2004 dans le tunnel. La voiture où sont cadrés Zhang et Wang s'y enfonce en juin 1999. Mais c'est de la neige qui apparait à l'extrémité du tunnel avec cette fois une caméra subjective qui prend en charge la vision d'un homme avachi à côté d'une moto. La caméra passe à côté de lui puis fait demi-tour pour s'en approcher. On découvre alors qu'il s'agit du regard d'un homme sur une mobylette qui abandonne celle-ci pour voler la moto du saoulard endormi. Zhang en 2004 est donc privé de tous ses attributs d'inspecteur de police.
Est alors mis simplement en scène le rôle du destin avec la rencontre improbable, après cinq ans, entre Wang et Zhang justement devant le domicile de Wu, personnage clé de l'affaire qui fut à l'origine de la déchéance de Zhang.
La mobylette, accessoire de Zhang alors perdant, qui ne démarre pas permet néanmoins de voir les pas dans la neige.
A la main blessée, qui révèle Wu bien moins fragile que l'on pourrait croire, et Zhang attentionné qui est parti chercher des pansements succède, pour raccord, deux ombres marchant côte à côte dans la nuit.
Wang rejoint alors son ex-collègue et le sermonne gentiment pour son implication dans une affaire qui ne le concerne plus. Zhang en fait toutefois une affaire de dignité et se refuse à être un perdant. L'ironie de Wang est contredite par le plan suivant: une vrille d'un patineur sur une valse de Strauss.
Il a fallu le plan insistant sur les cendres enterrées en juin sous l'arbre pour que le seul plan de celui-ci en hiver fasse comprendre le cheminement de la pensée de Zhang
L'ensemble de ces plans qui définissent à la fois le cheminement de l'enquête et les sentiments des personnages ne s'accompagnent d'aucune explication, d'aucun dialogue. Diao semble ainsi retrouver l'efficacité narrative et émotionnelle du cinéma muet, l'aspect burlesque aussi. Ainsi du final pourtant si émouvant où policiers et pompiers sont dépassés par les ruses de Zhang, jamais montré, pour faire éclater ces feux d'artifice en plein jour.
Jean-Luc Lacuve (texte réécrit le 27/01/2016 après le ciné-club du 23/01/2016).