Le samedi 23 janvier
au Café des Images :
Le Club Chine-Normandie et le Ciné-club de Caen se sont associés pour proposer de découvrir un grand film du cinéma chinois,
précédé d'un Café Mandarin
Black Coal (Yi’Nan Diao, 2014)
À l’occasion du Nouvel an chinois et dans le cadre du cycle de films chinois proposé du 25 au 29 janvier aux apprenants de chinois de l’Académie de Caen, le Club Chine-Normandie et le Ciné-club de Caen se sont associés pour proposer de découvrir un grand film du cinéma chinois, précédé d'un café mandarin.
Black coal a obtenu l'Ours d'or du meilleur film au festival de Berlin 2014 et l'Ours d'argent, du meilleur acteur. Programmé quinze jours en 2014 dans l'agglomération, le film n'a néanmoins pas obtenu le succès qu'il méritait. Il s'est donc imposé pour ce ciné-club en collaboration avec le Club Chine-Normandie.
Ouverture des festivités
Daniel Delahaye, Président du club Chine-Normandie, par ailleurs Directeur Général de la société coopérative laitière Isigny Sainte-Mère, a ouvert les festivités en souhaitant à tous une bonne année, placée cette année sous le signe du singe, et invité à déguster le magnifique buffet mandarin.
Présentation du film en salle.
Le réalisateur, on en parlera lors du débat, appartient à la 6e génération des cinéastes chinois. Ce n'est pas tant qu'il soit né en en 1968 mais que son premier film date d'après 1989 et les événements de la place Tian'anmen. C'est son 3e film après Uniform en 2003 et Train de nuit en 2007. Le film se situe à Harbin, capitale de l'ex Mandchourie, la province de Heilongjiang.
Comme dans tout grand film noir, la psychologie complexe des personnages dépasse de loin ce que pourrait exiger la seule résolution policière de leur histoire. Il s'agit donc avant tout d'être sensible aux destins de personnages sur lesquels semble peser le destin et de percevoir leurs chances ou non de rédemption.
Néanmoins, ici, la complexité de l'histoire est proche de celle, souvent citée du Grand sommeil (Howard Hawks, 1946) et le débat ne sera pas inutile pour préciser les articulations de l'intrigue. Le choix du titre lui même laisse présager plusieurs interprétations. Les distributeurs français n'ont pris aucun risque en le renommant Black coal. Dès les premières séquences, on voit en effet ce noir charbon, omniprésent dans cette province pauvre qu'est la Mandchourie. Le titre international Black coal, thin ice trouve son explication un peu plus loin dans le film. Le titre chinois, lui, prenait bien plus de risques : Feux d'artifice en plein jour (Bai ri yan huo) ne trouve son explication qu'à la toute fin du film.
Mais au-delà de ces interprétations globales du sens du film, c'est sur les articulations des plans entre eux que j'insisterai pour terminer. Certains raccords entre deux plans pour changer de séquence sont tout à fait surprenants, mystérieux et souvent magnifiques. C'est sur eux, ces plans souvent étranges que nous reviendrons prioritairement pour discuter après le film.
Débat en salle
Rappel des articulations remarquables entre séquences.
Plus surprenante, l'ellipse temporelle entre 1999 et 2004 dans le tunnel. La voiture où sont cadrés Zhang et Wang s'y enfonce en juin 1999. Mais c'est de la neige qui apparait à l'extrémité du tunnel avec cette fois une caméra subjective qui prend en charge la vision d'un homme avachi à côté d'une moto. La caméra passe à côté de lui puis fait demi-tour pour s'en approcher. On découvre alors qu'il s'agit du regard d'un homme sur une mobylette qui abandonne celle-ci pour voler la moto du soûlard endormi. Zhang en 2004 est donc privé de tous ses attributs d'inspecteur de police.
Est alors mis simplement en scène le rôle du destin avec la rencontre improbable, après cinq ans, entre Wang et Zhang justement devant le domicile de Wu, personnage clé de l'affaire qui fut à l'origine de la déchéance de Zhang.
La mobylette, accessoire de Zhang alors perdant, qui ne démarre pas permet néanmoins de voir les pas dans la neige.
A la main blessée, qui révèle Wu bien moins fragile que l'on pourrait croire, et Zhang attentionné qui est parti chercher des pansements succèdent, pour raccord, deux ombres marchant côte à côte dans la nuit.
Wang rejoint alors son ex-collègue et le sermonne gentiment pour son implication dans une affaire qui ne le concerne plus. Zhang en fait toutefois une affaire de dignité et se refuse à être un perdant. L'ironie de Wang est contredite par le plan suivant: une vrille d'un patineur sur une valse de Strauss.
Il a fallu le plan insistant sur les cendres enterrées en juin sous l'arbre pour que le seul plan de celui-ci en hiver fasse comprendre le cheminement de la pensée de Zhang
L'aspect burlesque du film éclate aussi dans le final où policiers et pompiers sont dépassés par les ruses de Zhang, jamais montré, pour faire éclater ces feux d'artifice en plein jour.
L'ensemble de ces plans qui définissent à la fois le cheminement de l'enquête et les sentiments des personnages ne s'accompagne d'aucune explication, d'aucun dialogue. Diao semble ainsi retrouver l'efficacité narrative et émotionnelle du cinéma muet.
Interrogations sur l'intrigue. Pourquoi le numéro du bus n'étant pas le bon, Zhang y retrouve-t-il l'assassin au patin ?
Après l'assassinat de Wang, Zhang déchiffre mal la plaque minéralogique du camion du mari inscrit à la hâte par Wang. Lisant KF 295, il suit un bus, c'est pourtant dans celui-ci qu'il rencontre le mari, porteur de patins à glace.
Zhang ne sait alors pas qu'il est suivi par le meurtrier qui descend, après lui, dans une station proche du terminus. Ce n'est que lorsque le meurtrier pénètre dans le restaurant et laisse ses patins accrochés que Zhang comprend, prend peur et se réfugie dans une salle de danse où il est poursuivi par le meurtrier. Mais c'est alors Zhang qui se met à le suivre et, le lendemain, suit le camion avec sa mobylette.
L'immatriculation du camion est bien KE 295 (repérable au cinéma seulement). En s'approchant Zhang voit le meurtrier disperser les morceaux du corps de l'inspecteur du haut d'un pont où passent des trains. Zhang comprend alors qu'il est l'auteur des crimes de 1999 et le fait appeler par son nom sur la patinoire.
Les mains sont très importantes dans le film. Faut-il y voir une symbolique particulière ?
Beaucoup de plans de mains sont effectivement remarquables dans le film : les mains de l'étreinte qui succèdent à la main du cadavre retrouvée; la main du mari n'osant toucher sa femme; la main de Wu désignant les objets lors de la reconstitution. A mon avis, comme les plans servant de raccords ou ponctuant la réflexion de Zhang, ils possèdent une grande efficacité émotionnelle. Ils ont une signification particulière mais sans aller jusqu'à une métaphore filée qui attribuerait une signification spécifique aux mains. En d'autres termes, à mon avis, ces plans de mains sont à interpréter mais sans aller trop loin.
Les Chinois crachent souvent dans le film. Est-ce une habitude encore bien ancrée en Chine ?
Réponse d'un spectateur averti : c'est une tradition encore bien installée qui a son origine dans des considérations d'hygiène. Cependant cette pratique est en recul sous la pression des autorités. Cela s'est vu notamment dans les recommandations lors des jeux olympiques. Cette pratique, encore vivace dans les campagnes, a ainsi presque disparu en milieu urbain.
Que penser de l'attitude de Wu ? Sera-t-elle lourdement condamnée ?
Il reste une grande part d'inconnu pour définir la psychologie de Wu. Wu a peut-être aimé celui qui l'a violée. A la fin du film, Zhang apprendra de la patronne du bar que le soir de ce qu'elle croit être la fuite de son mari, une femme était venue le chercher. Il est possible que Wu avait fini par harceler celui dont elle était devenue amoureuse et que c'est parce qu'il menaçait de la quitter qu'elle le tua d'un coup de couteau.
A l'appui de cette thèse, les deux scènes de l'enterrement des cendres de l'amant (alors pris pour le mari) par Wu en larmes au pied de l'arbre devant la blanchisserie qui contraste avec la désinvolture avec laquelle elle dit avoir jeté les cendres de son mari lorsque celui-ci finira par être tué par la police. Dia met en scène le regard de Wang vers l'arbre avec suffisamment d'insistance pour qu'il justifie l'enquête qu'il va mener alors pour retrouver qui pouvait bien être le mystérieux premier cadavre et dont il découvrira qu'il s'agit de l'amant, patron du Feu d'artifice en plein jour. Lorsqu'il emmène Wu sur la grande roue et lui désigne le bar dont l'enseigne brille dans la nuit, il rejoue alors le rôle de son amant, jouant tout à la fois sur un chantage sexuel et la passion qui en résultera peut-être. En déclenchant le feu d'artifice final, aux connotations sexuelles transparentes, il fait une véritable déclaration d'amour à Wu. Celle-ci, en dépit de son apparence fragile, a toujours gardé suffisamment de volonté pour survivre et échapper, ne serait ce qu'en se blessant à la main, aux avances grossières de son patron.
Pour la condamnation, je ne sais pas. (Un spectateur averti déclare que la peine pour un crime sera certainement très lourde)
La fin est-elle optimiste ?
Avant cette déclaration d'une peine très lourde, j'aurais dis oui. Quelle plus belle déclaration d'amour faire à Wu que ces feux d'artifice en plein jour qui sont un appel à une vie libérée des mensonges de l'enseigne du bar qui n'était éclairée que la nuit ? Non seulement, Zhang résout l'affaire qui coûta la vie à trois de ses collègues mais il se remet aux cours de danse et adresse un message d'amour à Wu. C'est une vraie rédemption.
Pouvez-vous nous expliquer les six générations, de cinéastes chinois ?
Voir sur le site du ciné-club : Histoire du cinéma chinois (ses 6 générations),Les principaux films chinois, cartographie des films chinois.
Jean-Luc Lacuve le 27/01/2016